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Liban - Patrimoine

Les trésors immémoriaux livrés par Sidon s’exhibent enfin

43 objets archéologiques entassés depuis des années à la Direction générale des antiquités sortent du placard. Claude Doumet Serhal et son équipe du British Museum peuvent enfin sourire.

Une vue d’angle de la salle d’exposition.

La plus ancienne tasse minoenne retrouvée au Levant, la statue d’Aphrodite Anadyomène, le sistre de la déesse Hathor, les armes de bronze des guerriers et le reste, le tout livré par une des plus vieilles villes de la côte phénicienne, s’exhibent désormais devant le public. Il était temps qu’un tel événement se produise: les trésors archéologiques conservés dans les dépôts de la Direction générale des antiquités doivent, par définition, sortir de leurs placards. C’est un des droits élémentaires de n’importe quel citoyen dans n’importe quel pays...


Les 15 dernières années de fouilles menées par la mission archéologiques du British Museum sur le site de l’ancienne école américaine de Saïda ont permis d’exhumer 1400 objets archéologiques, dont 43 sont exposés aujourd’hui dans les locaux de la Direction générale des antiquités à Bouwebet el-Fawqa, près de la Savonnerie Audi. Ils constituent un magnifique échantillon des découvertes faites dans ce haut lieu de culte funéraire, assoupi depuis des millénaires. Le site, qui a révélé des couches stratigraphiques allant «sans discontinuité» du chalcolithique jusqu’à l’époque des croisades, n’a pas fini de dévoiler ses trésors: cet été, des fragments de la muraille médiévale de la ville et des colonnes romaines réutilisées pour sa construction sont sortis de terre ! Il faut toutefois attendre la prochaine campagne de fouilles pour recueillir de plus amples détails.
Intitulée «The Best of 15 Years», l’exposition s’articule autour de deux thèmes principaux: le culte et le rituel à travers les âges et les activités maritimes de Sidon.

 


Des bossus et des têtes portant une coiffe rayonnante comme celle d'Héliopolis.

 


Dieu ithyphallique
La virilité, idéal de puissance, d’assurance, de courage et de vaillance n’a cessé d’angoisser les hommes. Et ce depuis l’Antiquité. Dans une des vitrines illustrant le troisième millénaire, les empreintes de sceaux-cylindres relatent la chasse aux lions qui peuplaient l’orée de la cité. La tête mi-humaine, mi-animale, le personnage accompagné du grand félin affiche fièrement ses attributs. C’est un dieu de la fertilité, un dieu ithyphallique, qui lève un bras avec les trois doigts de la main tendus et, de l’autre, brandit un rameau de végétation.
Dans la vitrine 2 s’est glissée une figurine miniature en gypse. Ce dieu ou orant est accompagné d’un petit bol indiquant le dépôt d’une offrande symbolique.

 


Les bijoux aussi s'exposent.

 


Banquets funéraires
Devenu une nécropole au début du 2e millénaire, le site a livré jusqu’à présent 123 tombes et «la plus grande concentration jamais trouvée au Levant de rythas», ces espèces de flûtes à champagne. Les vitrines correspondant à cette époque donnent à voir des armes en bronze et de la vaisselle de table utilisée pour les fêtes célébrées lors des funérailles autour des tombes; mais aussi des sceaux, une boîte en os et une statue représentant un dieu cananéen dont les yeux reliés à l’arête du nez évoquent les cornes de bélier. Il peut s’agir d’une sorte de masque (vitrine 10) porté lors des cérémonies de purification du temple (découvert sur plus de 37 mètres de long), vers lequel la pratique du banquet funéraire s’est déplacée en 1500 av. J-C.
Outre les banquets et la casse des assiettes, la musique et la danse accompagnaient le mort. Pour illustrer ce rituel, un sistre, instrument authentiquement égyptien appartenant au domaine sacré et portant une image de la déesse Hathor, est également exposé.
Par ailleurs, la statue d’Aphrodite Anadyomène en marbre de 30 cm de haut, fleuron de l’exposition, et un défilé de torses mâles, de personnages bossus, de têtes portant une coiffe rayonnante comparables à celles d’Héliopolis évoquent la période romaine.

 

 


Magnifique échantillon de céramiques importées.


Europe et la reine Tawosret
L’autre volet est une traversée du temps ponctuée par des contacts maritimes qui ont permis d’engranger un trésor de céramiques. Celles datant du 3e millénaire et du 2e millénaire av. J-C témoignent de multiples échanges, notamment avec l’Égypte et Égée. Un grand nombre de jarres provenant de Sidon (vitrine 5) furent retrouvées dans les tombes égyptiennes de Saqqarah et d’Abydos. Il s’agit essentiellement de récipients propres à des produits particuliers, huile ou vin.


D’autre part, les importations crétoises dévoilent la tasse minoenne, «considérée comme étant la plus ancienne importation minoenne retrouvée au Levant, antérieure par conséquent aux importations provenant d’Ashkelon, Hazor, Beyrouth, Byblos, Ugarit et Qatna», explique Claude Doumet Serhal, chef de la mission archéologique du British Museum. Ce réseau de relations commerciales est également illustré par la monnaie représentant Europe.
L’exposition offre à voir, de plus, une grande jarre décorée de dauphins plongeant sur une ligne ondulée évoquant les vagues. Selon l’archéologue, «les comparaisons avec les modèles crétois sont tellement proches que seules la forme de la jarre et l’analyse chimique de l’argile ont pu prouver que ce vase avait été fabriqué localement, très probablement selon un modèle crétois».
Quant au bronze récent, il s’affiche à travers des importations égéennes associant les vases mycéniens à boire (rhytas) et les cratères qui servaient à mélanger le vin et l’eau, dont le spectaculaire vase en faïence orné d’une frise de fleurs de lotus peintes en noir. Dotée de cartouches portant les noms de naissance et d’intronisation de la reine Tawosret d’Égypte, cette pièce est une des rares attestations de la reine en dehors du pays des pharaons.
Pérennité


Le 1er millénaire à Sidon est représenté par un fragment d’assiette gravée d’une inscription phénicienne: «Les autels de Abd Yahu». «C’est la plus importante découverte en 50 ans», souligne Pierre Bordreuil, grand historien et épigraphiste, directeur de recherche émérite au CNRS. «Une aubaine pour les épigraphistes que de disposer maintenant d’un document dont l’origine sidonienne est certaine, l’authenticité avérée et l’ancienneté précieuse; en effet, c’est l’un des trop rares témoins de la documentation épigraphique levantine du VIIIe siècle, époque où la différenciation entre les écritures dites cananéennes, hébraïques et phéniciennes est encore difficile à établir. De plus, il confirme le caractère religieux du site fouillé dont l’archéologie semble bien attester de la pérennité multiséculaire», a dit Bordreuil.
Cette exposition a été organisée par la Lebanese British Friends of the National Museum, en collaboration avec la Direction générale des antiquités. Elle a été généreusement financée par l’Association Philippe Jabre avec la contribution des architectes Dagher et Hanna, ainsi que les graphistes Scope Ateliers et Martine Harmouche.
Jusqu’au 3 novembre, de lundi à samedi, de 8h à 16h et dimanche, de 14h à 18h. Un catalogue Sidon 15 Years dans les deux versions anglaises et arabes accompagnent l’exposition.

 

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