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À La Une - Commentaire

La conversion de Genève

*Christopher R. Hill, ancien secrétaire d’État des États-Unis en Extrême-Orient, est doyen de la Korbel School of International Studies, à l’Université de Denver.

L’accord sur les armes chimiques de la Syrie conclu entre la Russie et les États-Unis est important non pas tant pour ce qu’il signifie sur le terrain – ce qui se décide au moment où des inspecteurs commencent à affluer en Syrie et, espérons-le, où les réserves d’armes chimiques vont être détruites. La principale signification de l’accord consiste plutôt dans le simple fait qu’il ait été conclu : le secrétaire d’État des États-Unis John Kerry a rencontré son homologue russe Serguei Lavrov à Genève, le plus éminent lieu pour les sommets diplomatiques, et a négocié une entente sur une question du plus haut intérêt.


Dans les jours, les semaines et les mois qui viennent, les arrangements pour retirer les armes chimiques de Syrie inaugurent, comme chacun l’espère, une nouvelle ère où les États-Unis et la Russie vont travailler ensemble sur d’autres problématiques mondiales tout aussi urgentes. Une relation de coopération entre les États-Unis et la Russie est essentielle si le système international, maintenant presque dysfonctionnel, doit fonctionner correctement à l’avenir.
L’accord sur la Syrie a pu accomplir autre chose : les Américains pourraient bien reconnaître, une bonne fois pour toutes, qu’il existe d’autres méthodes pour résoudre les problèmes que de larguer des bombes. L’incursion maladroite du président russe Vladimir Poutine dans le débat américain a fâché de nombreux Américains (dont je fais partie), mais a certainement marqué un moment édifiant. Bien des gens hors des États-Unis ont pensé qu’il était vraiment temps que quelqu’un donne à l’Amérique un aperçu de son propre paternalisme – et mieux encore, que ce quelqu’un soit Poutine, un politicien qui, pour le dire gentiment, a son propre lot de faiblesses.


Les Américains pourraient donc vouloir atténuer leur rhétorique anti-Poutine. En pratique, Poutine ne semble subir aucune conséquence politique nationale défavorable suite à son dénigrement des États-Unis. Plus largement, la dispense de conseils moralisateurs – voire même grossiers – de la part des États-Unis au reste du monde a considérablement dépassé la demande internationale. Et leur volonté de s’engager militairement au début du conflit, plutôt qu’en dernier recours, a mécontenté de nombreuses personnes dans le monde. Aucune « aide aux musulmans » ou autre mesure de diplomatie publique n’y changera rien.


Le soutien en faveur des insurgés en est un exemple. De nombreux pays (la Syrie est à cet égard un cas typique) souffrent sous des gouvernements horribles et brutaux. Mais soutenir une rébellion armée est une étape déterminante, particulièrement quand les rebelles que l’on soutient, comme en Syrie, ont commencé une chose qu’ils ne pourront peut-être pas achever.


Cela ne veut pas dire que les États-Unis ne doivent jamais soutenir des insurrections contre des gouvernements établis. Mais s’engager en ce sens ainsi est presque toujours une affaire isolée, sans aucun espoir réaliste d’enrôler beaucoup de partenaires dans ce processus. De telles options politiques devraient être prises rarement, et avec une claire notion que le soutien en faveur du renversement violent d’un gouvernement n’est pas très populaire autour du monde.


La route qui a conduit des États-Unis à l’accord de Genève avec les Russes a été longue et sinueuse et a pu aussi causer quelques dommages à la position des États-Unis dans le monde, même si les résultats ont été meilleurs que toutes les autres possibilités envisagées. Pour faire avancer ce processus, les États-Unis doivent entretenir leur relation avec les Russes et établir un modèle de coopération plus large, trop longtemps attendu.


On peut l’appeler par exemple un bouton « Reset » – comme l’a fait la secrétaire d’État d’alors Hillary Clinton avec Lavrov en 2009. Mais cela devrait être plus qu’un cadeau amusant. La remise à zéro doit se produire dans le contexte d’efforts visant à résoudre ensemble des problèmes réels.


Un bon moyen de commencer serait de chercher une entente sur la paix syrienne permettant aux différentes communautés du pays, en train de s’étriper mutuellement, de vivre au sein d’un seul et même État. Peut-être les États-Unis ont-ils raison de dire que le président brutal et fallacieux de la Syrie Bachar el-Assad ne peut faire partie d’aucune solution définitive. Mais il est temps de trouver une solution et les élections de 2014 en Syrie pourraient permettre une sortie de cette impasse en gardant la tête haute. Un rôle pour les Russes pourrait consister à amadouer Assad en lui proposant des concessions qu’il ne fera pas, tant qu’il perçoit ce processus comme un mécanisme programmé pour le détruire.


En ce moment, tout processus de paix est peu vraisemblable, mais il en va de même de la perspective que l’un ou l’autre camp remporte la victoire par les armes, avec ou sans l’arrivée des armes américaines pour les rebelles. L’option de permettre à ce combat à mort de se dérouler jusqu’à son terme (une proposition entendue chaque jour dans les commentaires télévisés américains) n’est pas digne de notre civilisation. Un tel scénario pourrait coûter la vie du dernier enfant syrien.
Le monde a besoin de toutes les bonnes volontés, non seulement russes et américaines, mais également celle des Arabes, des Chinois, des Européens et de tous les autres sans exception. La lueur d’espoir qui pointe à Genève devrait nous servir de guide à tous.



© Project Syndicate, 2013.

L’accord sur les armes chimiques de la Syrie conclu entre la Russie et les États-Unis est important non pas tant pour ce qu’il signifie sur le terrain – ce qui se décide au moment où des inspecteurs commencent à affluer en Syrie et, espérons-le, où les réserves d’armes chimiques vont être détruites. La principale signification de l’accord consiste plutôt dans le simple fait...

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