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À La Une - Éclairage

Une lutte d’influence derrière les affrontements au sein de l’opposition syrienne

Les combats entre les différentes factions de l’opposition syrienne, pratiquement en concomitance avec l’annonce de l’accord russo-américain sur l’arsenal chimique du régime syrien, ont surpris les milieux politiques libanais. Les partisans du régime syrien ont du mal à dissimuler leur satisfaction. Tout en déplorant les victimes, ils ne se privent pas de dire que cela était prévisible, tant l’opposition est désunie et hétérogène, sans vision ni projet communs. De leur côté, les partisans de l’opposition syrienne sont déçus, tout en essayant de réduire la portée de ces accrochages et de les considérer comme mineurs, même s’ils reconnaissent à contrecœur que ces combats servent les intérêts du régime.


Mais au-delà des réactions subjectives dictées par les sympathies et les alliances, ces affrontements « fratricides » sont, selon un spécialiste de la scène islamique, l’indice qu’une solution est en vue et que chaque camp souhaite être l’interlocuteur au nom de l’opposition dans cette sorte de « Taëf libanais » que pourrait devenir la conférence de Genève 2. Ce spécialiste précise qu’en période de guerre, surtout interne, au sein d’un même pays, ce genre d’affrontement est presque banal lorsque plusieurs parties et courants se battent dans la même tranchée. Même si la coordination est à son apogée, ce genre de lutte est fréquent et même dans la suite logique des événements, surtout lorsque les parties concernées sentent que la fin du conflit est proche et que l’enjeu principal est d’obtenir un siège à la table des négociations.

 

(Repère : Principaux points de l'accord russo-US sur l'élimination des armes chimiques syriennes)

 

Mais dans le cas de la Syrie, ces combats fratricides revêtent aussi une autre dimension, puisque derrière les deux grands groupes, l’Armée syrienne libre et le Front al-Nosra qui se battent contre le régime (et entre eux), se profilent les États qui les soutiennent. Le spécialiste de la scène islamique précise ainsi que ces combats reflètent en réalité la grande division du monde islamique entre le courant des Frères musulmans et celui des wahhabites. En théorie, ces deux courants considérés comme fondamentalistes ont la même démarche religieuse et relèvent d’un même chef de file, Hassan el-Banna. En revanche, tout en prônant un islam pur et dur, Hassan el-Banna n’appelait pas au Jihad (la lutte sacrée), ni au Takfir (retirer à quelqu’un son appartenance au monde musulman). C’est d’ailleurs pour cette raison que les Frères musulmans, qui sont bien implantés dans la région, ont un double visage, celui de la non-violence qui a séduit de nombreux musulmans et celui qui au contraire appelle à la violence et qui est apparu clairement récemment en Égypte et ailleurs. Au départ, il s’agit donc d’un courant de pensée non violent, mais le second chef de file du mouvement, Sayyed Kotb, a lancé, lui, le concept du jihad.

 

(Pour memoire: Ahmad Toameh face au « défi » d’el-Qaëda en Syrie)


Nés en Égypte, les Frères musulmans se sont développés dans l’ensemble du monde musulman. Et en dépit du fait qu’ils ont souvent été contraints à la clandestinité, ils sont bien implantés dans plusieurs pays de la région : en Égypte, bien sûr, mais aussi en Tunisie, en Libye, en Jordanie, au Qatar, au Yémen, en Turquie, à Gaza (le Hamas)... et en Syrie. Appuyés par le Qatar et la Turquie depuis que le parti d’Erdogan y a pris le pouvoir – tous deux fournissaient les armes et les fonds –, les Frères musulmans ont pratiquement pris le contrôle des « révolutions arabes », en s’emparant du pouvoir en Égypte, en Tunisie et en devenant la force montante de l’opposition syrienne, via l’Armée syrienne libre entre autres formations. C’est alors que sont intervenus les wahhabites d’Arabie saoudite qui, tout en ayant la même base idéologique, ont ajouté au concept fondamentaliste jihadiste, le takfirisme (c’est-à-dire la possibilité de tuer ceux qui ne sont pas dans la ligne religieuse). Le pouvoir wahhabite en Arabie saoudite considère en effet les Frères musulmans comme des ennemis car ils sont avant tout des rivaux. Les Frères musulmans et les wahhabites doivent se partager la même base sunnite et c’est là le véritable enjeu de leur conflit. Tant que l’influence des Frères musulmans restait clandestine et limitée, les wahhabites pouvaient tolérer leur présence. Mais après la prise du pouvoir des Frères musulmans en Égypte, le danger a commencé à devenir pressant et des parties saoudiennes ont encouragé le Front al-Nosra et ses satellites, tous affiliés à el-Qaëda, à faire obstruction aux adeptes de Hassan al-Banna en Syrie. Ils ont aussi appuyé le renversement du pouvoir des Frères musulmans en Égypte et c’est l’ensemble de la nébuleuse islamique qui en pâtit. 


Ce qui se passe aujourd’hui entre les factions de l’opposition syrienne serait donc un épisode de cette lutte sourde mais violente entre les Frères musulmans et les wahhabites, qui veulent, chacun de son côté, être les grands représentants du monde musulman. Les parties de l’opposition inscrites dans la mouvance des Frères musulmans sont appuyées par la Turquie et le Qatar et les autres sont appuyées par l’Arabie saoudite. Et derrière leurs combats pour le contrôle des terrains pris par les factions de l’opposition, se profile donc la lutte sourde que se livrent la Turquie et l’Arabie saoudite pour le leadership du monde musulman. Car, comme toujours au Moyen-Orient, un conflit en cache un autre. Au-delà des combats sur le terrain, il y aurait donc une lutte d’influence régionale, mais le résultat est le même.

 

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