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À La Une - Le point

Duo de têtes

Ces « petites phrases » dont on dit qu’il est préférable de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de les prononcer... Sur les écrans de télé, cela avait du panache et sonnait fort. Barack Obama s’adressait à ses concitoyens et au monde entier quand il a affirmé : « Lorsque, avec des moyens modestes et un minimum de risques, nous pouvons éviter à des enfants d’être gazés à mort et donc assurer sur le long terme la sécurité de nos enfants, alors oui, je crois que nous devons agir. C’est cela qui rend l’Amérique différente, qui nous rend exceptionnels. »


Ce n’est pas la première fois qu’un orateur politique US adopte ce ton messianique et parle en des termes mystiques de la mission qu’il croit impartie à son pays. Cette fois, cependant, le mot n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. En bon judoka, Vladimir Vladimirovitch l’attendait, ce moment où il pourrait s’en saisir pour déséquilibrer l’adversaire, lui faire la leçon même. Extrait de l’opinion signée Poutine, parue dans le New York Times, le 11 septembre (notez en passant le choix de la date) : « Je ne suis pas d’accord avec l’allusion à une Amérique exceptionnelle (...). Il est extrêmement dangereux d’encourager les gens à se croire exceptionnels, quelle que soit leur motivation. Il y a de grands pays comme il y en a de petits, des nations riches et des nations pauvres, les unes jouissant d’une longue tradition démocratique et les autres cherchant leur voie vers la démocratie. Nous sommes tous différents. Mais quand nous invoquons la bénédiction du Très-Haut, nous ne devons pas oublier qu’Il nous a créés égaux. »


Depuis cette leçon assénée par le maître de toutes les Russies, le monde politico-médiatique ne décolère pas. L’histoire nous a appris qu’une Amérique forte et engagée est bénéfique pour le monde (...). Nous demeurons source d’espoir pour tous, écrit dans la National Review le sénateur Marco Rubio. Et dans le Washington Post, Dana Mailband commence par un minicours de sémantique : « Exceptionnel ne signifie pas meilleur mais seulement différent », avant d’expliquer que « les Américains ne sont pas meilleurs que les autres ; c’est notre expérience qui est unique et elle a donné le jour à l’économie, la force militaire des plus puissantes, utilisées, plus souvent qu’on ne le croit, pour le bien des autres peuples ». Le mot de la fin, si l’on peut dire, est antérieur à cette querelle ; il remonte au mois de mars 2012 et appartient à Terrence McCoy qui révélait alors dans la revue Atlantic que le mot honni a été prononcé pour la première fois par nul autre que le petit Père des peuples, parlant des communistes yankees qui refusaient de collaborer avec l’URSS.


Par-delà cette querelle de mots et la réponse de la Maison-Blanche qu’elle a entraînée, il n’est pas exagéré de prétendre que le début d’accord russo-américain sur la Syrie augure, dans les rapports entre les deux grands adversaires de l’après-Seconde Guerre mondiale, d’un nouvel avenir dont il est trop tôt de dire s’il sera radieux ou au contraire chargé de nuages, comme au temps de la sinistre guerre froide. Pour l’heure, une chose est sûre : rien désormais ne saurait être comme avant, le Kremlin vient de confirmer son retour aux premières loges de l’histoire et il sera difficile de l’en déloger. Maintenant que l’on observe les derniers soubresauts d’un affrontement qui a failli mettre le feu aux poudres, il appartient aux autres nations de modifier en conséquence leur approche des problèmes qui ne vont pas manquer de naître. Pendant que le cabinet Cameron en est encore à compter les plumes qu’il laisse dans le débat instauré aux Communes sur l’intervention en Syrie, la France a déjà choisi de franchir le Potomac, d’aligner sa position sur celle de Washington, de se payer même le luxe de prendre la tête d’un peloton, étique pour l’heure, des profrappes. C’est que Paris a besoin, avec le triomphe annoncé d’Angela Merkel aux législatives de dimanche prochain qui permettront de désigner les 598 nouveaux membres du Bundestag, de chercher du côté américain un contrepoids à l’influence grandissante de Berlin – et pas seulement sur la scène européenne.


Ce n’est pas là l’unique exemple des bouleversements appelés à naître dans le sillage du rapprochement Obama-Poutine. Ce que recherche ce dernier? Un petit univers qui lui rappelle que son pays fut, avant de redevenir la Russie, l’Union des Républiques socialistes soviétiques; il réclame un allié dans la lutte contre l’extrémisme qui frappe à sa porte ; enfin, il revendique la place qui lui revient de droit, celle d’un Grand, estime-t-il, dans le concert des nations. S’il ne s’agissait que de cela...

Ces « petites phrases » dont on dit qu’il est préférable de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de les prononcer... Sur les écrans de télé, cela avait du panache et sonnait fort. Barack Obama s’adressait à ses concitoyens et au monde entier quand il a affirmé : « Lorsque, avec des moyens modestes et un minimum de risques, nous pouvons éviter à des enfants...

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