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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

Chimiopolitik

Redoutable chose que la chimie, dès lors qu’elle se mêle de politique. Ou pire encore de guerre, laquelle n’est, selon la formule célèbre, que la continuation de la politique mais par d’autres moyens.

 

Dans la sombre chronique du régime baassiste de Syrie, la chimie n’est pas exactement une nouvelle venue. Elle opéra longtemps – dans le bon sens – entre Damas et les États-Unis dont le secrétaire d’État de l’époque Henry Kissinger ne cachait pas sa fascination pour le président défunt Hafez el-Assad, en qui il voyait le Bismarck du Proche-Orient. C’était l’ère des atomes crochus, le temps où Washington qualifiait d’élément stabilisateur l’occupation syrienne du Liban, pour en venir plus tard à faire sonner l’heure des comptes.


Pour faire le poids face à l’arsenal nucléaire israélien, le raïs syrien de l’époque se dotait d’un stock impressionnant de gaz toxiques sans que de telles acquisitions soulèvent trop de protestations occidentales. Car l’avisé Assad père se gardait bien d’en faire usage contre l’ennemi, et même de se frotter seulement à ce dernier, se bornant à faire de la résistance par Libanais interposés. Même contre ses adversaires de l’intérieur, c’est-à-dire les Frères musulmans entrés en révolte à Hama en février 1982, Assad père s’en était tenu au bon vieux canon de campagne, bombardant sans répit, quatre semaines durant, la ville insurgée. Pour faire bonne mesure, il finissait néanmoins par inonder d’essence enflammée les égouts de la cité martyre ; mais d’arme chimique point, au contraire de son frère ennemi du Baas, l’Irakien Saddam Hussein, qui devait achever au bout d’une corde une carrière non moins sanguinaire.


Assad fils a eu droit lui aussi, à ses débuts, à un préjugé favorable, que lui valaient sa jeunesse et son bagage de modernité. Pour ses guerres par procuration il a disposé, au Liban, d’un Hezbollah considérablement plus puissant et aventureux que naguère. Mais il n’aura retenu en définitive qu’une partie de la leçon. Confronté, il est vrai, à un soulèvement d’une ampleur sans précédent, il a ajouté en abondance, au classique canon de papa, avions, hélicoptères et même supplétifs iraniens et libanais. Avec cent mille morts répertoriés, il a ainsi quintuplé le score paternel homologué à Hama. L’erreur, la faute, le crime de trop c’était cependant l’usage de gaz sarin contre les populations civiles.


Non point que le président risque forcément, désormais, d’être renversé par l’effet des frappes américaines et françaises annoncées, lesquelles sont, par définition, ciblées et limitées. Mais lui, qui maniait le chantage à l’embrasement de tout le Moyen-Orient, a provoqué une crise non plus régionale mais internationale, dont il ne saurait en aucun cas émerger gagnant. Une petite phrase de John Kerry, prestement reprise à son compte par Sergueï Lavrov : et voici que par la magie d’une rare alchimie diplomatique entre puissances rivales, un projet de règlement russe vient, pour le moment, ravir la vedette à la solution militaire.


En adhérant sur-le-champ au principe d’une remise de ses armements chimiques à l’ONU en vue de leur destruction, la Syrie espère visiblement laisser passer l’orage et désamorcer, à force de finasseries et de dérobades, la mobilisation des États-Unis et de leur allié français, eux-mêmes en porte-à-faux d’ailleurs avec leurs opinions publiques. De deux choses l’une, cependant. Ou bien Bachar s’exécute au grand soulagement des capitales concernées et se désiste d’une arme épouvantable dont il n’aurait probablement pas usé si la situation de ses forces sur le terrain était réellement aussi confortable qu’il le dit. Ou bien alors ses tergiversations finissent inévitablement par réactualiser une option militaire que commande aussi bien la morale internationale que la crédibilité de la superpuissance US.


Dans un cas comme dans l’autre aucune alchimie, aucune realpolitik, aucune nappe de brouillard ne doit faire oublier l’intolérable hécatombe du 21 août.


Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Redoutable chose que la chimie, dès lors qu’elle se mêle de politique. Ou pire encore de guerre, laquelle n’est, selon la formule célèbre, que la continuation de la politique mais par d’autres moyens.
 
Dans la sombre chronique du régime baassiste de Syrie, la chimie n’est pas exactement une nouvelle venue. Elle opéra longtemps – dans le bon sens – entre Damas et les...

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