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À La Une - Proche-Orient

Des négociations israélo-palestiniennes pour maintenir le statu quo ?

La persistance des désaccords entre les belligérants sur presque tous les dossiers laisse peu de chances de réussite au processus de paix.

Gelées depuis 3 ans, les négociations israélo-palestiniennes ont repris récemment sous la houlette du secrétaire d’État américain, John Kerry. Les pourparlers devraient s’étendre sur 9 mois, après plus de six décennies de conflit et de multiples échecs de relance du processus de paix. La persistance des désaccords sur les frontières d’un futur État palestinien, le statut de Jérusalem, les colonies juives en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et le sort des réfugiés, laisse cependant peu de chances à une possible réussite de ces discussions.


Depuis son entrée en fonction, en février 2013, le secrétaire d’État américain a fait de la reprise des négociations israélo-palestiniennes l’une de ses priorités. Après s’être rendu au Proche-Orient six fois, dont la dernière à la mi-juillet, ses efforts ont finalement abouti à une relance des pourparlers les 29 et 30 juillet à Washington dans une discrétion absolue que tous les acteurs du dossier ont tenu jusqu’à présent à respecter. Lors de cette première session, le négociateur palestinien Saëb Erakat et Tzipi Livni, ministre de la Justice israélienne également chargée du dossier des négociations, ont préparé le terrain pour les rencontres à venir. Celles-ci devraient se tenir en alternance en Israël et dans les territoires sous contrôle de l’Autorité palestinienne... sans trop d’espoir de succès. Analyse.

 


Timing
Pourquoi reprendre les négociations maintenant ? Le choix du timing pour une reprise des négociations n’est fortuit pour aucun des acteurs. « D’abord, John Kerry déploie une énergie considérable car il joue personnellement sa dernière carte pour entrer dans l’histoire. De son côté, le gouvernement israélien prend conscience de son isolement croissant sur la scène internationale », explique Dominique Moïsi, conseiller spécial à l’Institut français des relations internationales (IFRI). À ces éléments s’ajoute la conformité avec les intérêts stratégiques américains. Khader Bichara, spécialiste du Moyen-Orient au Centre d’études et de recherche sur le monde arabe contemporain de l’UCL, explique qu’« il s’agit pour les États-Unis, d’éviter que les Palestiniens ne réclament l’adhésion pleine et entière de l’État de Palestine aux Nations unies, (...) et de profiter de la fragilisation du Hamas suite à la chute de Mohammad Morsi en Égypte ». Les États-Unis ont par ailleurs tout intérêt à sauver l’Autorité nationale palestinienne qui souffre d’un grand manque de légitimité. « L’Autorité palestinienne reste, de leur point de vue, le seul interlocuteur et leur seul véritable partenaire sur place avec lequel ils acceptent de discuter (...). Or, celle-ci est en crise et manque de légitimité populaire et politique. Il faut donc la faire exister politiquement, sinon elle dépérit naturellement », note Nicolas Dot Pouillard, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient.


« De son côté, poursuit le chercheur, l’Autorité palestinienne rentre dans les négociations essentiellement afin de donner de nouveaux gages aux États-Unis, alors que la déclaration d’indépendance de l’État palestinien en mars 2013 s’était vu opposer un veto américain. En se remettant à la table des négociations, Mahmoud Abbas souhaite s’assurer le soutien sécuritaire et économique des Américains. Et les promesses d’aide financière de John Kerry ont sans doute également joué un poids important dans la décision de rejoindre les négociations. »

 


« La fenêtre pour la création de deux États se referme »
L’urgence d’une relance du processus se fait également sentir au regard de l’intensification de la colonisation israélienne dans les territoires occupés. En avril dernier, devant la commission pour les Affaires étrangères de la Chambre des représentants, John Kerry s’exprimait en ces termes : « Je crois que la fenêtre pour la création de deux États se referme. Je crois que nous avons un peu de temps, un an et demi ou deux, et ensuite c’est terminé .» Depuis les dernières négociations en 2010, les logements construits dans les colonies se sont en effet multipliés, au point qu’en 2011, Israël a pris, selon le centre israélien d’informations B’Tselem, le contrôle de 50 % du territoire de la Cisjordanie. Historiquement, la construction des colonies israéliennes a débuté après la guerre de 1967. À l’issue de ce conflit, Israël a agrandi son territoire en gagnant le contrôle sur plusieurs zones alors possédées par l’Égypte et la Jordanie. Les Nations unies considèrent que les colonies sont illégales. Parmi les dossiers épineux qui détermineront l’issue des négociations, celui-ci constitue sans doute l’un des plus brûlants. Les dernières négociations qui s’étaient tenues en 2010 avaient d’ailleurs échoué au bout de trois semaines, en raison de la poursuite de la colonisation à Jérusalem-Est et en Cisjordanie.

 


Israël isolé
Côté israélien, deux évènements majeurs incitent le pays à sortir de l’isolement : l’admission de la Palestine en tant qu’État observateur à l’Assemblée générale de l’ONU l’an dernier et la décision de l’Union européenne en juillet d’exclure les territoires occupés depuis 1967 – autrement dit les colonies de Cisjordanie, Jérusalem-Est et le plateau du Golan – de l’aide financière à Israël à partir de 2014. Pour Bernard Botiveau, chercheur au CNRS et spécialiste du monde arabe, « un tel consensus européen n’avait pratiquement pas été atteint jusqu’à présent. Il signifie désormais pour les Européens la non-reconnaissance de ces implantations considérées comme illégales ».


Côté américain, des voix se sont également élevées pour souligner les risques qu’un isolement accru d’Israël pourrait avoir sur la sécurité des États-Unis. Fin juillet, à l’Aspen Institute, l’ancien chef du commandement central de l’armée américaine, le général James Mattis, a notamment exprimé ses craintes qu’Israël ne devienne un « État apartheid » si la colonisation des territoires occupés se poursuivait. L’ex-général estimait en outre que « les États-Unis paient, chaque jour, un prix militaire et sécuritaire élevé à cause du conflit israélo-palestinien ».


Face à ces injonctions, Israël a donc donné des gages de bonne volonté et accéléré la reprise du dialogue en annonçant la libération de 104 prisonniers palestiniens détenus depuis plus de vingt ans pour des actions terroristes. En se pliant ainsi à l’une des conditions fixées par les Palestiniens pour revenir à la table des négociations, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a provoqué de nombreux mouvements de colère en Israël, y compris au sein de son gouvernement. « Les terroristes doivent rester en prison. Ces terroristes qu’on libère ont tué des femmes et des enfants. Et je ne comprends pas bien en quoi relâcher des prisonniers peut aider la paix », a notamment déclaré le ministre du Logement, Uri Ariel, issu du parti nationaliste religieux Foyer juif. Mais pour Nicolas Dot Pouillard, le gouvernement israélien souhaite également lâcher du lest sur la question des prisonniers pour une autre raison : « Ces dernières années, les plus importantes libérations de prisonniers se sont déroulées suite à des échanges avec le Hamas ou avec le Hezbollah libanais. Tout cela ramène à l’idée que les négociations actuelles n’existent pas tant pour trouver un accord entre Israéliens et Palestiniens que pour recrédibiliser l’Autorité palestinienne. (...) La fin de l’Autorité peut signifier le début et la reprise d’une troisième intifada », explique N. Dot Pouillard.


Mais M. Botiveau relativise la portée de cette concession. « La dernière libération de prisonniers politiques palestiniens remonte à l’accord d’octobre 2012 avec la libération de 1 000 prisonniers en échange du soldat israélien Gilad Shalit. La nouvelle vague annoncée de libérations ne sera guère “coûteuse” puisqu’elle se fera en quatre fois et en fonction de la mise en route des négociations. De plus, Israël ne libérera vraisemblablement que des anciens prisonniers ayant purgé une bonne partie de leur condamnation. »
Enfin, Israël souhaite s’assurer l’appui technique diplomatique, voire militaire de Washington dans le cas d’une éventuelle attaque des infrastructures nucléaires de l’Iran.

 


Éternels litiges
Pour Bernard Botiveau, il n’y a guère de raisons d’être optimiste quant aux chances de succès de ces négociations. Il semble, en effet, difficile de dépasser les éternels litiges entre les deux parties. Les Israéliens excluent un retour aux frontières de 1967 réclamé par les Palestiniens pour la formation d’un État et entendent annexer les principaux blocs de colonisation. Plus de 560 000 colons israéliens sont présents en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, formant des quartiers qui morcellent le territoire palestinien. Or, les colons sont, depuis début 2013, solidement représentés au sein de la coalition parlementaire et du gouvernement de Benjamin Netanyahu. Au sein du Likoud, la formation politique du Premier ministre, un front contre les négociations s’est même constitué dès l’annonce de la reprise des discussions. À sa tête, la députée Miri Regev, ancienne porte-parole de l’armée, extrêmement opposée à tout moratoire sur les colonisations, a déjà annoncé qu’elle « ne fera aucun cadeau à Benjamin Netanyahu dans sa quête d’un accord, même a minima ».


Les dossiers sur le statut de Jérusalem et le sort des réfugiés palestiniens restent par ailleurs au point mort. Les Palestiniens, tout comme l’ONU, considèrent Jérusalem-Est comme un territoire occupé par Israël. Ils souhaitent obtenir la pleine souveraineté sur leurs lieux saints, mais revendiquent également cette partie de la ville comme capitale de leur futur État. Les Israéliens, pour leur part, considèrent Jérusalem comme une « ville entière et unifiée », dont ils défendent l’indivisibilité. On compte environ cinq millions de réfugiés palestiniens, la grande majorité étant des descendants des quelque 760 000 Palestiniens ayant fui ou été chassés de leur terre lors de la création d’Israël en 1948. Les Palestiniens exigent qu’Israël reconnaisse au moins le « principe » d’un droit au retour des réfugiés, conformément à la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU, ce que l’État hébreu refuse catégoriquement. Benjamin Netanyahu a d’ailleurs clairement exprimé son souhait que les Palestiniens reconnaissent Israël « comme l’État du peuple juif » afin de garantir que la question des réfugiés se résoudra dans le cadre du futur État palestinien.
Lors de la réunion qui s’est tenue le 30 juillet, aucune base de négociations claire n’a été fixée sur ces questions déterminantes. Il semble difficile dans ces conditions de prévoir ce à quoi ce dialogue pourrait prétendre aboutir. « Tant que ces préconditions ne seront pas définies, les négociations risquent d’être vides de toute substance », affirme ainsi Khader Bichara.


Mais pour Nicolas Dot Pouillard, ces négociations ont avant tout vocation à maintenir un statu quo. « Elles tendent plutôt, pour Israël, les États-Unis et l’Autorité palestinienne à gagner du temps pour sauver l’Autorité dans un contexte régional extrêmement volatil. L’instabilité régionale, avec la situation en Égypte et en Syrie, pousse les uns et les autres à préserver le calme sur le front cisjordanien. »
De même, pour Dominique Moïsi, les révolutions arabes incitent Israël à se montrer patient pour voir comment vont évoluer les équilibres régionaux. « Pour les Israéliens qui ne sont pas au pouvoir, il serait possible de négocier, mais pour ceux au pouvoir, la situation est trop complexe pour bouger. »

 


De mauvais présages
Les parties ont par ailleurs entamé leurs discussions sous de bien mauvais auspices. Uri Ariel a annoncé dimanche 11 août, la publication d’un appel d’offres pour la construction de 1 187 logements dans les colonies de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Une décision immédiatement critiquée par le négociateur palestinien Mohammad Chtayyeh qui considère que cette décision prouve qu’Israël « n’est pas sérieux sur les négociations ». M. Abbas a, quant à lui, condamné cette politique sans pour autant annoncer une rupture des négociations qui ne ferait que desservir sa cause.
Trois Palestiniens ont par ailleurs été abattus le 26 août par des soldats israéliens lors de heurts dans le camp palestinien de Qalandiya, entraînant l’annulation d’une réunion de négociation qui devait se tenir à Jéricho, en Cisjordanie.


On peut enfin s’interroger sur la pertinence de certaines modalités techniques des négociations.
L’absence de véritable date butoir à cette nouvelle phase de discussions alimente les craintes que le dialogue ne s’enlise à nouveau. Les paramètres d’une solution sont tous connus. « Pourquoi dans ce cas faire traîner la négociation 9 mois? » Pour Bernard Botiveau, les différents acteurs reprennent la voie des erreurs du passé. « Grosso modo, alors que la méthode suivie à Oslo consistait à temporiser en organisant un début d’autonomie palestinienne et à différer la discussion des différends jugés à l’époque insurmontables (frontières, souveraineté palestinienne, réfugiés, Jérusalem), c’est malheureusement dans cette erreur que l’on semble retomber puisque les négociations amorcées fin juillet à Washington consisteront à définir des procédures de discussion permettant ensuite d’aborder les vrais sujets. »
Le Conseil des ministres israélien a également adopté le 28 juillet un projet de loi prévoyant un référendum en cas d’accord de paix. Il constituerait alors une dernière étape après l’approbation du gouvernement puis celle du Parlement. Cette mesure est à double tranchant. Elle rend plus difficile la conclusion d’un accord en ajoutant une condition nécessaire à son adoption. Mais, souligne Dominique Moïsi, « s’il s’agit bien entendu d’une manœuvre de Netanyahu pour amadouer les extrêmes, les sondages montrent que plus de la moitié des Israéliens sont prêts à soutenir un accord de paix avec les Palestiniens ». Un référendum pourrait donc, en cas d’adoption, donner encore plus de poids à un éventuel accord.

 


Une solution à deux États est-elle encore envisageable ?
Pour M. Botiveau, cela paraît difficile. « Maintes fois reportée depuis 1999, date à laquelle elle devait être proclamée, la création d’un véritable État n’est plus à l’ordre du jour autrement que dans les vœux pieux des résolutions internationales. L’Autorité palestinienne n’a même pas pu se faire admettre comme membre à part entière de l’ONU et doit se contenter d’un statut de membre observateur. » M. Bichara considère, pour sa part, qu’un scénario à deux États peut être envisageable « mais dans ce cas, tout au plus, les Palestiniens peuvent-ils espérer un État à souveraineté diminuée, avec des bases israéliennes sur leur territoire, une présence militaire tout le long du Jourdain, et des colonies parsemées sur le territoire palestinien bénéficiant d’un statut particulier ». Au risque de maintenir les discriminations qui ont conduit l’UE à modifier sa politique et les États-Unis à exercer des pressions plus actives, bien que modestes, sur Israël.


Les divisions entre les autorités de Gaza et de la Cisjordanie représentent également un obstacle important à la formation d’un État palestinien unifié. « La scission de la Cisjordanie et de Gaza depuis 2007 constitue un problème intérieur majeur pour M. Abbas qui ne peut compter que sur le soutien de la Cisjordanie, un soutien du reste fort tiède. Dans l’état actuel des choses, le Hamas ne peut approuver cette relance des négociations. En effet, la réconciliation en cours entre Palestiniens n’a pas produit de résultats tangibles quant à une réduction de l’isolement de la bande de Gaza ni quant à l’approbation par les deux parties d’une relance des processus électoraux interrompus par la force en 2006 », affirme M. Botiveau.


Les échecs répétés du gel des colonisations risquent d’entamer un peu plus la légitimité de l’Autorité palestinienne. Le Hamas, qui contrôle Gaza, a d’ores et déjà rejeté toute possibilité de compromis. Ce parti souhaite voir la reconnaissance d’un État palestinien sur « la totalité de la Palestine », y compris sur le territoire de l’État hébreu, c’est-à-dire sur l’ensemble de l’ancienne Palestine mandataire.
Il n’est d’ailleurs pas le seul aujourd’hui à critiquer les négociations. « La gauche laïque palestinienne s’y oppose aussi », explique Nicolas Dot Pouillard. La société civile quant à elle – les comités populaires engagés dans la lutte contre le mur par exemple, les comités de paysans, ou les mouvements de droits de l’homme palestiniens – se montre méfiante sur les négociations actuelles car elle a peur qu’elles entérinent une partie de la colonisation de facto.

 

Commentaire

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