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À La Une - Témoignage-Syrie

« Cinema Paradiso ? » Oui, à... Damas

« Je préfère mourir avant de voir ce cinéma fermer ».

Le cinéma Ferdos à Damas. LOUAI BESHARA/AFP

Au cœur de Damas, le cinéma Ferdos était fréquenté par les pauvres venus des banlieues, mais avec la guerre, la quasi-totalité de ses clients ont disparu et faute de nouveaux films, il repasse les mêmes depuis plus de deux ans.
Au centre de cet établissement, avec sa salle vétuste et mal aérée, des affiches de films jaunies et une légère odeur de moisi, se trouve un personnage digne du film de Giuseppe Tornatore, le réalisateur du classique Cinema Paradiso. D’ailleurs Ferdos signifie paradis en arabe. « Tout petit, je suis tombé amoureux du cinéma », confie Jamal al-Sassa, un quinquagénaire gérant du local depuis une quinzaine d’années. « À 12 ans, j’ai commencé ici à vendre des friandises, mais j’allais dans la salle de projection pour voir comment on mettait les bobines », affirme ce Syrien au large sourire. Il se revoit dans le petit garçon qui aujourd’hui patiente à l’entrée pour vendre des tablettes de chocolat et autres sucreries à des clients qui se font attendre.
En raison de la guerre, Cinema City, l’un des rares complexes multisalles modernes de la capitale qui achetait les gros succès du box-office mondial, a fermé ses portes en avril. Au centre-ville, face au pont Victoria, on peut toujours voir l’entrée du local bloquée par un mur de pierres en béton. « Leur clientèle chic a quitté la capitale, plus personne n’allait au cinéma », explique Jamal. Cette fermeture s’est répercutée sur les multiples cinémas « de seconde main » de la ville, dont Ferdos, qui rachetaient à l’agent de City, au rabais, des films datant des dernières années. Au cinéma Ferdos, on voit encore des affiches de Bride Wars (2009) avec Kate Hudson et Anne Hathaway ou encore Friends with Benefits avec Justin Timberlake et Mila Kunis (2011), aux côtés de films arabes ayant rencontré très peu de succès commercial.

« Je peux même fumer »
« Le dernier lot de films qu’on a acheté remonte à 2011 », l’année où a débuté le conflit syrien, affirme Jamal. « Depuis, je passe quatre films par mois », ajoute-t-il, d’un air fataliste. « Et quand cette trentaine de films est visionnée, je les repasse de nouveau. » Parce que non seulement il ne peut plus acheter de nouveaux films en raison de la disparition de City, mais en plus la clientèle se fait rare. En fin d’après-midi, moins de dix personnes ont acheté des billets. « Les cinémas en Syrie étaient déjà en crise à cause d’Internet et des télévisions satellitaires », poursuit Jamal, en référence à des locaux qui avaient fermé avant même le conflit. « Mais avec la guerre, les gens pauvres qui venaient de la province de Damas pour voir des films chez nous ne sont plus là », ajoute-t-il, en référence aux combats qui font rage dans les grandes banlieues de la capitale entre l’armée et les rebelles.
« On recevait plus d’une quarantaine de clients en soirée, aujourd’hui, c’est quatre maximum », regrette-t-il. « Parfois, après 17h00, personne ne vient car les gens craignent de s’aventurer une fois la nuit tombée. Avant la guerre, on restait ouvert jusqu’à minuit. »

 

Au Ferdos, et malgré les rares clients, la salle de projection tourne toujours. Louai Beshara/AFP

 


La morosité règne d’ailleurs dans la salle de 800 places, où une poignée de personnes, dont l’une est assoupie, regardent un film occidental sous-titré, assis sur des sièges délabrés, dans une ambiance hors du temps. « Parfois je viens regarder le même film. Ici je me sens bien. Je peux même fumer », affirme laconiquement Samer, un des aficionados de Ferdos.
« Certains passent toute la journée dans la salle obscure », indique le gérant en riant. Mais il reprend vite son sérieux, car, pour lui, voir aussi peu de monde est une blessure personnelle. « J’en suis tombé malade. Pour moi la plus belle chose au monde est d’être derrière mon guichet et de regarder la réaction des gens après un film. Avant, je demandais aux gens de respecter la queue, aujourd’hui, l’heure me paraît interminable », dit-il, rappelant que le local a été inauguré en 1948, lorsque « les files faisaient 100 mètres », Jamal est conscient qu’à moins d’un gros investissement, le local est condamné.
« Mais qui va investir en pleine guerre ? Je préfère mourir avant de voir ce cinéma fermer. »

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