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À La Une - Frappes occidentales

Syrie : Quels que soient les scénarios, le Liban en pleine zone de turbulences

Avec les bruits de bottes qui s’intensifient au Moyen-Orient, Élias Hanna, général à la retraite et analyste en stratégie, propose une lecture de la future frappe américaine attendue sur la Syrie, ainsi que ses répercussions sur le Liban et la région.

Le général Élias Hanna.

Depuis que le président américain Barack Obama agite la menace d’une frappe sur des objectifs militaires en Syrie, accusant le régime syrien d’avoir « franchi la ligne rouge » et utilisé des armes chimiques dans la zone de la Ghouta près de Damas, une zone contrôlée par les rebelles, la région vit au rythme des déclarations, des informations et des analyses. Le Liban inclus. Quels sont les scénarios envisagés d’une éventuelle frappe américaine sur des objectifs syriens et quelles répercussions à craindre ?


« Je suis de ceux qui affirment depuis longtemps, même avant qu’une frappe sur la Syrie ne soit envisagée par les États-Unis, qu’il y a des limites à tout, même à la puissance militaire, estime le général Élias Hanna. Dans l’esprit des Américains, toute intervention militaire, où qu’elle soit, doit servir à façonner l’étape qui suit, de manière à servir leurs intérêts. Pour eux aujourd’hui, il existe beaucoup de contraintes, de variables et de paramètres à prendre en compte. Le président Obama doit tenir compte de l’opinion publique interne et internationale, afin de donner à ses actions une légitimité. De plus, il est vigilant de par son caractère et calcule prudemment les conséquences de toute frappe. Ses déclarations sur les armes chimiques et les événements de la Ghouta, avec leurs multiples victimes, l’ont mis devant le fait accompli. »


Concernant les preuves contre le régime, et à quel point elles seraient convaincantes pour l’opinion publique mondiale, il souligne que la question qui s’impose est celle de savoir qui a la capacité d’utiliser de telles armes. « Dans le principe, seul le régime syrien possède de telles capacités militaires, souligne-t-il. En fait, le missile qu’on lance dans pareil cas ne se désintègre pas en éclats : il explose, libère l’agent chimique, mais reste relativement intact. De plus, l’impact laissé par le missile pourrait permettre de retracer son itinéraire et savoir d’où il a été lancé. Sans compter les données fournies par les images satellite, étant donné que les Américains observent continuellement les zones qui représentent de l’intérêt pour eux. À cela, il faut ajouter l’interception de conversations téléphoniques et les agents sur place. »


Concernant le scénario attendu de la frappe, le général Hanna pense que le président Obama chercherait, le cas échéant, à administrer une frappe « punitive » au régime syrien parce que ce dernier a, par son attaque chimique, changé les règles du jeu. « Le président américain voudrait, selon moi, doser son attaque pour qu’elle ne provoque ni la chute du régime ni la victoire de l’opposition, afin de les laisser dans l’impasse actuelle, une guerre d’attrition qui use les forces combattantes, estime-t-il. Cette guerre, en fait, n’affecte pas les États-Unis, mais use les forces du Hezbollah, du régime, de l’Iran et même de la Russie. Les États-Unis veulent gérer la situation sans s’impliquer davantage. Ils entendent, par là même, dissuader d’autres régimes d’utiliser des armes non conventionnelles, plus particulièrement l’Iran et la Corée du Nord. »


L’ancien militaire ne voit pas, dans le report de la frappe et le recours au Congrès, un signe de faiblesse ou d’hésitation de la part du président américain. « Il souhaite donner à son action plus de légitimité, mais aussi pousser ses adversaires politiques républicains, qui contrôlent la Chambre des représentants, à prendre position, explique-t-il. Il ne veut donc pas se noyer dans les sables mouvants syriens, mais simplement gérer le conflit afin qu’il n’ait pas d’impact sur la Turquie, sur Israël et sur la Jordanie. S’il s’implique trop, il donne un avantage au projet mondial de la Chine et de la Russie. Selon moi, le président Obama n’a aucune urgence pour frapper la Syrie, il peut prendre son temps pour mieux préparer cette frappe et s’assurer que la responsabilité sera partagée. Il peut aussi être désireux de donner au processus diplomatique une dernière chance, même improbable, par le biais de son entretien attendu avec le président russe Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg, en marge du G20. »

 

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Des missiles « intelligents » et des « Bunk Buster »
Pour ce qui est de la frappe militaire, les Américains assurent qu’ils ne veulent pas d’invasion terrestre, que les objectifs sont exclusivement militaires et qu’il devrait y avoir un minimum de dommages collatéraux, rappelle l’analyste. « Les objectifs seront des aéroports, des sièges de commandement militaire, des systèmes de transport..., dit-il. Jusqu’à quel point le haut commandement militaire syrien sera touché, on n’en sait rien. »


Le général Hanna reprend des informations suivant lesquelles les armes privilégiées de cette frappe seront les missiles de croisière Tomahawk. « C’est un missile intelligent extrêmement précis, qui s’adapte à la nature du territoire, parfaitement capable d’atteindre son objectif, explique-t-il. Mais il ne peut atteindre des zones très profondes. Dans ce cas, seront probablement utilisées des « Bunk Buster », des bombes de plusieurs tonnes qui pénètrent profondément même dans des structures en béton. Ces bombes doivent être larguées par des avions de guerre. Et pour que les avions puissent entrer dans l’espace aérien syrien, les Américains chercheront probablement à détruire les défenses antiaériennes syriennes au préalable, à moins d’employer les bombardiers B2 indétectables par les radars. Ces avions décolleraient directement des États-Unis, ou de la base Diego Garcia dans l’océan Indien, ou d’une des bases du Golfe. Je doute que les bombardiers F15 et F16 soient employés dans cette frappe. Il y a des F22 tout neufs qui ont été placés par les États-Unis aux Émirats arabes unis, ils pourraient également participer aux combats. Dans le principe, la Ligue arabe est favorable aux frappes et des bases dans les pays arabes pourraient être utilisées. »

 

 

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« L’espace aérien libanais pourrait être évité »
Les missiles et/ou les avions passeront-ils par l’espace aérien libanais ? « S’ils le font, ce sera clairement une violation de cet espace aérien, souligne l’expert. Mais qui, au Liban, pourra les en empêcher ? Cela dit, il n’est pas certain que les Américains auront besoin de le faire. Les missiles Tomahawk peuvent être lancés par des bateaux face aux côtes syriennes, étant donné que ces missiles ont une portée de 1 800 kilomètres. Je crois, personnellement, que les Américains chercheront à éviter un tel embarras pour le Liban, de peur de créer des problèmes supplémentaires. »
Croyez-vous que les Syriens tenteront de contre-attaquer ? « Je doute qu’ils aient les moyens de s’attaquer aux Américains directement ou qu’ils aient la capacité d’ouvrir des brèches dans les défenses antiaériennes dont sont dotés les navires US », répond-il. Pensez-vous, comme le craignent certains, qu’ils pourraient attaquer des cibles au Liban en représailles ? « Ce serait comme se tirer une balle dans le pied, affirme-t-il. Le Liban, et plus particulièrement le Hezbollah, leur apportent leur appui aujourd’hui. »

 

(Pour mémoire : Le Liban "ne sait vraiment pas quoi faire" face à l'afflux de réfugiés syriens)


Cela ne signifie pas pour autant qu’aucun danger ne guette le Liban. « Ce pays sera perdant quel que soit le scénario de guerre, déplore-t-il. En cas de frappe, certains Libanais ne manqueront pas de crier victoire suite aux pertes subies par le régime syrien. Une nouvelle dynamique politique sera enclenchée après une éventuelle frappe. Quand la pression augmentera sur le Hezb, quelle sera sa réaction ? Ripostera-t-il ou non ?


Si l’Iran veut riposter, le fera-t-il directement ou par procuration ? Idem pour le régime syrien. Toutefois, toute riposte sera inévitablement décidée par l’Iran. Il semble que les visites de Jeffrey Feltman et du sultan Kabous à Téhéran aient été destinées à dissuader l’Iran de toute riposte à l’instar, par exemple, d’un bombardement des pays du Golfe ou d’une attaque contre Israël. Toutefois, même en cas d’attaque contre Israël, celle-ci ne serait probablement pas assez provocatrice pour déclencher une guerre. »


Le général Hanna met les déclarations catastrophistes des Iraniens et des Syriens sur le compte de « l’inévitable rhétorique politique ». « La priorité actuelle du régime en Syrie est sa survie, dit-il. Les risques qu’il prendra seront nécessairement calculés. » Et le Liban sera-t-il en première ligne en cas de riposte ?
« Si le Hezbollah entre en jeu, ce sera le cas, répond-il. S’il dirige son action contre Israël, celui-ci attaquera des objectifs du gouvernement libanais, faute de trouver des objectifs spécifiques au parti. Et dans ce cas, les conflits intérieurs seront exacerbés. »


Toutefois, l’expert se dit convaincu qu’il y a peu de chances d’une guerre israélienne de grande envergure contre le Liban. « De toute évidence, nous ne verrons qu’un niveau de violence contrôlé, géré de loin par les Américains, estime-t-il. Le Hezbollah ne peut combattre sur plusieurs fronts. Et Israël est plus préoccupé par la question iranienne que par le Hezbollah. »

 

 

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