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Liban

Sur une plage du Liban-Sud, la folle course vers la mer des bébés tortues

Chaque année, Mona Khalil, maîtresse de la Maison orange, assiste ses protégées...

Un bébé tortue sur la plage de l’Orange House.

Dernier vendredi du mois d’août, 6h du matin. Le soleil se lève sur un Liban en proie aux tensions, un pays qui se demande de quoi cette journée sera faite.
Mais dans ce Liban qui flirte avec la catastrophe, il existe encore quelques havres de paix, comme isolés du bruit et de l’angoisse. La « Orange House » est l’un de ces endroits. Cette maison, située à Mansouri (caza de Tyr, Liban-Sud), est le domaine de Mona Khalil qui, en cet avant-dernier matin d’août, regarde Rami penché sur des seaux orange eux aussi. À l’intérieur, des tortues âgées d’à peine trois jours. Elles ont éclos ici, dans l’ombre du cagibi attenant à la cuisine.
L’année dernière, les œufs étaient restés sur la plage, et y avaient éclos. Mais cette année, Mona et Rami ont décidé de les placer à l’abri, car il en va de la survie des bébés tortues.
« Depuis la guerre de 2006 (contre Israël), des renards viennent sur la plage. Chaque année, ils sont plus nombreux. Pour protéger les œufs, nous installions des cages en métal autour du nid. Et à 4h du matin, nous nous levions pour assister à la course vers la mer des bébés tortues et nous assurer qu’aucun prédateur (crabe, oiseau ou renard) n’en ferait son petit déjeuner. Mais cette année, les renards ont réussi à atteindre les nids malgré les cages. Nous ne pouvions plus laisser les nids sur la plage jusqu’à l’éclosion. Aucune petite tortue n’aurait survécu. Nous nous sommes donc résolus à déplacer les œufs dans ce cagibi 45 jours après la ponte pour qu’ils éclosent à l’abri. »
Voilà pourquoi, en ce matin d’août, comme chaque matin de ce mois, Mona et Rami retournent consciencieusement chaque petite tortue tout juste éclose pour vérifier si le point d’attache du cordon ombilical est refermé. Si c’est le cas, elles sont prêtes à gagner la mer.
Ce vendredi-là, 20 bébés tortues vertes et neuf petites Caretta sont prêtes à prendre le large, sous la surveillance de Mona et du jeune bénévole Rami, qui l’a aidée tout l’été.

Aujourd’hui, je vis mon rêve
L’engagement de Mona Khalil pour les tortues remonte à 1999. C’est par une nuit de mai de cette année-là que cette Libanaise aujourd’hui âgée de 66 ans découvre sur la plage de Mansouri une tortue en train de pondre ses œufs. Il n’en faut pas plus pour que Mona décide de s’installer dans la maison posée en bordure de la plage à 200 mètres de là, une maison construite par son père et dans laquelle elle passait tous ses étés, enfant. Laissant sa vie de restauratrice d’art aux Pays-Bas derrière elle, Mona Khalil crée Orange House project en 2000, lorsque le Sud est libéré de l’occupation israélienne, afin de protéger ce lieu de ponte et veiller à ce qu’aucun obstacle n’entrave la course à la mer des petites tortues tout juste écloses.
« J’ai commencé avec une amie. Nous étions deux femmes, seules. Je ne connaissais rien aux tortues. J’ai écrit à la “Mediterranean Association to Save the Sea Turtles” pour demander de l’aide. On nous a envoyé un biologiste marin qui nous a tout appris. Aujourd’hui, je vis mon rêve », explique Mona, dont les cheveux courts et blancs captent les premiers rayons du soleil.
Depuis, Mona Khalil collecte toutes les données sur les tortues de la plage de Mansouri et représente le Liban lors des conférences méditerranéennes qui ont lieu tous les trois ans.
« Quand j’étais petite, c’est la plage publique de Tyr qui était appelée la plage des tortues, car c’est là qu’elles venaient pondre leurs œufs, se rappelle Mona. Mais quand des kiosques ont été installés sur la plage, les tortues ont déserté les lieux. Depuis, elles viennent plus nombreuses pondre sur la plage de Mansouri. »

Intimidations
Mona Khalil, qui semble ne jamais se départir d’un pendentif représentant une tortue, se bat depuis 13 ans maintenant pour ces 1,4 km de plage. « Des jeunes hommes pêchaient à la dynamite ici. Toutes les cinq secondes, on entendait boum, boum. J’ai cherché à les empêcher d’utiliser cette technique de pêche. Eux, pour me faire partir, sont venus une nuit tirer en l’air autour de ma maison, pour me terrifier. Mais il n’y a pas moyen que je quitte cet endroit, je reste. Au bout de quelques années, ils ont abandonné », se souvient-elle.
Protéger le lieu de ponte des tortues est essentiel, car les tortues viennent toujours pondre sur leur lieu de naissance.
Il y a quelques mois, Mona Khalil a de nouveau tiré la sonnette d’alarme, la municipalité du village menaçant de mettre en œuvre un projet d’aménagement touristique de la plage. Le projet a été suspendu, mais Mona et Rami restent attentifs.
Et justement, alors qu’ils s’apprêtent à lâcher les tortues vers la mer en ce matin d’août, Mona et Rami constatent qu’un bout de plage, la section F, est la cible d’un empiètement. « Apparemment, la municipalité cherche à faire passer un cours d’eau à cet endroit. Si cela est fait, ça changera l’humidité du sable, et nous devrons alors déplacer les œufs vers l’autre partie de la plage », déplore Rami.

Personne ne m’aide
Dans son combat pour protéger les tortues aussi bien de leurs prédateurs naturels que de la pollution (la plage est nettoyée tous les jours des déchets rejetés par la mer) ou des atteintes d’origine humaine, Mona dit être seule ou presque. « Personne ne m’aide, souligne-t-elle. Je suis allée voir le ministère de l’Environnement où on m’a fait comprendre que la protection des tortues n’était pas une priorité. »
Alors, pour financer son projet, Mona Khalil loue des chambres d’hôte, invitant ses visiteurs à assister à la ruée vers la mer des bébés tortues. Et elle peut désormais compter sur Rami, ce jeune de Mansouri qui, il y a deux ans, s’est assis derrière elle alors qu’elle protégeait l’accès à la mer de jeunes tortues, et qui, depuis, est présent chaque matin de la saison pour l’épauler. « Il entre à l’université cette année pour étudier la biologie marine, ma relève est assurée ! » se réjouit Mona Khalil.
Sur le sable, les tortues sélectionnées sont sorties délicatement des seaux orange. Il ne leur faut qu’une seconde pour repérer la mer. La course commence vers les vagues, sous l’œil attendri et les encouragements de Mona.
(Voir aussi notre vidéo à l’adresse suivante : http ://www.youtube.com/watch ? v=HNShWhmwcwQ)
Dernier vendredi du mois d’août, 6h du matin. Le soleil se lève sur un Liban en proie aux tensions, un pays qui se demande de quoi cette journée sera faite.Mais dans ce Liban qui flirte avec la catastrophe, il existe encore quelques havres de paix, comme isolés du bruit et de l’angoisse. La « Orange House » est l’un de ces endroits. Cette maison, située à Mansouri (caza de Tyr,...

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