Rechercher
Rechercher

À La Une - Reportage

À Damas, on se presse dans les jardins publics pour oublier la guerre

« C’est là où on se sent le plus en sécurité ».

Photo Louai Beshara/AFP

Le jardin Arnous, dominé par une statue de style soviétique de l’ex-président Hafez el-Assad, se remplit en soirée de familles damascènes qui tentent, sous haute sécurité, d’oublier un peu la guerre autour d’un narguilé. « Chez moi, je m’énerve et je m’angoisse à regarder les nouvelles. Je viens ici pour respirer », affirme ainsi la corpulente Oum Sami, souriant derrière ses petites lunettes et son voile blanc, alors que le bruit sourd des bombardements résonne au loin par intermittence. « Quand je vois tous ces gens, je n’ai plus peur », ajoute-t-elle en désignant les nombreuses tables et chaises en plastique installées près de stands de vendeurs de café, de jus, de barbe à papa, de maïs et de douceurs, au son de la musique orientale populaire, donnant au site des allures de kermesse. Ce coin vert dans le quartier central de Salhiyé, une place publique où l’on se promenait avant le conflit, s’est transformé en café à ciel ouvert où l’on vient rechercher un peu de chaleur humaine, alors que gronde la guerre entre armée et rebelles à quelques kilomètres de là, dans les grandes banlieues de la capitale.


Faute de pouvoir, comme avant la guerre, passer leur week-end dans les vergers de la Ghouta orientale, aujourd’hui synonymes de danger et d’attaque chimique, les habitants de la capitale se sont repliés sur les jardins publics. À Techrine, al-Jahez, Mazraa, Baramké, une foule de Damascènes se pressent donc dans ces jardins protégés par un grand nombre de militaires et d’hommes de sécurité. Pour les badauds, leur présence est réconfortante. « Je viens ici chaque jour et je suis tranquillisée, car l’armée est partout », affirme avec un grand sourire Rouqayya al-Zayyat, vêtue de noir. « C’est là où on se sent le plus en sécurité », renchérit Samar, venue avec sa mère et ses petites filles assises dans une poussette. « On change d’ambiance. En plus, c’est moins cher que les cafés », note-t-elle. « Les gens viennent ici car il y a de la vie et aussi parce que les gens pauvres ne peuvent se permettre un narguilé à 300 livres syriennes », ou plus d’un dollar, le triple d’avant la guerre, explique Mounir, qui tient une agence de tourisme. « Mon boulot, c’était le tourisme et les voyages. Maintenant, c’est juste les voyages », ironise-t-il avec amertume. « On y passe des heures pour défier la guerre », lance Wassim, un costaud de 33 ans, enchaînant les bouffées de narguilé, alors que des enfants s’amusent à côté sur des trottinettes, des vélos et des patins et que des amoureux se promènent main dans la main.


Le défi est également lancé aux militants antirégime, quand retentit sur un air de disco la chanson en vogue dans les milieux prorégime : « Le peuple syrien dans les places est en train de crier/Nous sommes tes soldats, O Bachar ! » Amir Najar égrène des vers louant également le président syrien et fustigeant le président américain Barack Obama, qui a accusé le régime d’une attaque chimique dévastatrice mais a fini par demander le feu vert du Congrès avant d’éventuelles frappes punitives qui semblaient pourtant imminentes il y a quelques jours. « Misérable Obama, tu te soumettras devant Assad », chante Amir Najar, sous les applaudissements.

Damas « by night »
Derrière l’insouciance apparente, les drames personnels sont nombreux. « Je travaillais à Jaramana (banlieue sud-est de Damas) mais les terroristes (rebelles selon la terminologie du régime) ont détruit notre usine de bonbons », confie Oussama, qui vend depuis un an du jus, du café et du thé. Et si ce jardin reste animé jusqu’à tard en soirée, comme certaines ruelles commerçantes, l’ambiance la nuit dans le reste de Damas a bien changé depuis le début du conflit. À minuit, le rideau de la guerre tombe sur la capitale et la plupart des rues sont totalement désertes, alors que l’été, toutes les grandes villes arabes restent animées jusqu’aux premières heures de l’aube. Les voitures passent à grande vitesse place des Abbassides, près du champ de bataille de Jobar, tandis que Bab Touma, un quartier du Vieux Damas, est méconnaissable : son entrée ressemble à celle d’une caserne avec des barrages et des soldats postés près des vieux murs de la ville. Les ruelles faiblement éclairées sont sinistres, même si dans les restaurants traditionnels, on retrouve toujours les experts du backgammon et des fanatiques du narguilé. Mais Oum Sami reste optimiste : « J’espère que Damas redeviendra comme avant. »

 

Lire aussi

Quand la crédibilité des Occidentaux se retrouve menacée sur la scène mondiale...

 

« Plus jamais la guerre », tweete le pape François

 

Voir aussi notre dossier

Repères : vers une intervention militaire étrangère en Syrie
Le jardin Arnous, dominé par une statue de style soviétique de l’ex-président Hafez el-Assad, se remplit en soirée de familles damascènes qui tentent, sous haute sécurité, d’oublier un peu la guerre autour d’un narguilé. « Chez moi, je m’énerve et je m’angoisse à regarder les nouvelles. Je viens ici pour respirer », affirme ainsi la corpulente Oum Sami, souriant derrière...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut