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À La Une - Éclairage

Deux versions contradictoires... et un même résultat

De l’avis de nombreux observateurs, le Liban n’a jamais été aussi proche de l’éclatement d’une discorde confessionnelle entre sunnites et chiites. L’explosion des voitures piégées dans la banlieue sud et à Tripoli aurait pu être un facteur d’unité, mais les tensions sont tellement exacerbées sur le terrain qu’il devient difficile de laisser parler la raison.

 

C’est ainsi que la première réaction de nombreuses parties à Tripoli, vendredi soir, après l’explosion des voitures piégées était de pointer du doigt le Hezbollah, ou plus poliment « le régime syrien et ses agents au Liban ». Il a fallu tous les efforts du ministre de l’Intérieur Marwan Charbel, du Premier ministre Nagib Mikati, du ministre Fayçal Karamé et de certains cheikhs modérés pour calmer plus ou moins les esprits enflammés. Hier, le courant du Futur s’est aussi impliqué dans le refus de « l’autosécurité », pour que Tripoli et le Nord en général n’échappent pas au contrôle de l’État. De son côté, le président de la République a lancé son appel au dialogue, ce dialogue dont les Libanais ont plus que jamais besoin aujourd’hui.


Au fond, toutes les parties sont convaincues que les explosions de la banlieue sud et de Tripoli ne sont pas des incidents isolés. Elles s’inscrivent dans un vaste plan de déstabilisation du Liban, désormais profondément impliqué dans la crise syrienne. Sur ce point-là, tout le monde est d’accord, mais c’est sur la partie qui se tient derrière l’exécution de ce plan que les versions divergent totalement. Pour le courant du Futur, et avec lui le 14 Mars, c’est le Hezbollah qui, à travers son intervention directe dans les combats en Syrie, a ouvert la boîte de Pandore au Liban. En menant la bataille de Qousseir aux côtés des forces du régime, le Hezbollah a, aux yeux du courant du Futur, entraîné le Liban dans la mauvaise direction, et il est devenu une cible légitime pour l’opposition syrienne et ses alliés, ainsi que pour leurs protecteurs régionaux et internationaux. Les réactions de ce courant après l’explosion de Roueiss se résumaient ainsi : c’est atroce, mais il fallait en quelque sorte s’y attendre après la bataille de Qousseir.


Concernant les explosions de Tripoli, certains, toujours dans cette mouvance, y voient la réponse du Hezbollah à l’attentat de Roueiss, d’autant que Nasrallah avait proféré des menaces claires à l’égard des takfiristes, appellation que tous les groupes, même les plus extrémistes, de Tripoli rejettent totalement. En dépit des déclarations du ministre de l’Intérieur dans lesquelles il laisse entendre que l’auteur des explosions est probablement le même, à Tripoli comme à Roueiss, les groupes islamistes ne veulent rien entendre. Au final, pour ce courant et ses alliés, aucun dialogue n’est possible avant que le Hezbollah ne donne « un signe de bonne volonté » en annonçant le retrait de ses troupes de Syrie.


Du côté du Hezbollah, on est au contraire convaincu que ce qui se passe actuellement au Liban n’est que la suite d’un processus commencé après l’échec de la guerre de juillet 2006. Les Israéliens ont compris après cette guerre de 33 jours qu’ils ne peuvent pas éliminer le Hezbollah, ni même l’affaiblir militairement, puisqu’il est maintenant plus fort qu’en 2006, tout comme le Hamas à Gaza. Il leur fallait donc trouver d’autres moyens pour le combattre. Il y a eu ainsi, indirectement, les tentatives de l’isoler politiquement et de le placer sur le banc des accusés, d’abord via le TSL, puis avec la décision européenne de placer sa branche armée sur la liste des organisations terroristes. Mais ces moyens n’ayant pas donné de résultats concrets, il fallait recourir à la carte de la discorde confessionnelle.

Dans ce contexte, le Hezbollah affirme avoir mené à Qousseir une bataille préventive pour éviter de créer dans la zone frontalière allant du nord du Liban jusqu’à la Békaa, un fief de l’opposition syrienne qui n’avait pas caché son intention, une fois le régime syrien battu, de s’en prendre à lui. Il a donc préféré mener la bataille sur le territoire « de l’ennemi », plutôt que d’attendre que celui-ci vienne chez lui. Pour le Hezbollah, le conflit en Syrie n’est plus une bataille pour la démocratie et les libertés, mais un épisode de plus, sans doute le plus meurtrier, dans la lutte contre l’axe dit de la résistance. Au Liban, il prend la forme d’une volonté de susciter une discorde entre les sunnites et les chiites en prenant pour prétexte la participation du Hezbollah aux combats en Syrie.


Pour confirmer sa théorie, le Hezbollah relève le refus du chef des renseignements saoudiens, l’émir Bandar ben Sultan, aux leaders libanais qui l’ont consulté, d’un gouvernement avec une participation de la formation chiite. Et aux émissaires du chef druze Walid Joumblatt qui lui auraient transmis l’impossibilité pour ce dernier d’accepter un gouvernement sans le Hezbollah à une période aussi délicate, l’émir aurait répondu qu’il ne faut pas se presser, mais attendre plutôt les développements des prochains mois qui pourraient être porteurs de changements... L’émir n’en aurait pas dit plus, mais sur le terrain en Syrie, les informations ont fait état de la préparation d’une grande offensive à partir de la Jordanie de plusieurs milliers de combattants de l’opposition qui voulaient effectuer une percée par Deraa, jusqu’à Damas. Ayant eu vent d’une façon ou d’une autre du plan, le régime s’est empressé de lancer une contre-offensive à Ghouta, dans la banlieue de Damas, empêchant ainsi l’opposition d’avancer.

Selon le Hezbollah, c’est parce que ce plan minutieusement préparé depuis des semaines a échoué que la communauté internationale a aussitôt lancé l’affaire de l’utilisation des armes chimiques. Le débat occupe aujourd’hui les Nations unies et il est clair que les Russes n’ont pas l’intention de permettre l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité autorisant une intervention militaire quelconque contre le régime. Ce qui pousse d’ailleurs aujourd’hui les Occidentaux à menacer d’une intervention sans mandat de l’ONU, dans le genre des frappes aériennes américaines au Kosovo.


Selon le Hezbollah, la confrontation est donc aujourd’hui généralisée. De Téhéran à la banlieue sud en passant par Bagdad et Damas, c’est le même bras de fer qui se joue. Les voitures piégées du Liban ne seraient donc que le nouveau moyen utilisé pour y provoquer une discorde destinée à embarrasser le Hezbollah et, avec lui, ses alliés régionaux...

 

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C’est...

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