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À La Une - Analyse

« Les monarchies du Golfe craignaient l’exportation de la révolution des Ikhwane chez eux »

Ce que Riyad n’a pas pardonné à la confrérie, c’est son flirt avec l’Iran chiite...

Des partisans du président islamiste égyptien déchu Mohamed Morsi. Photo AFP

La majorité des dirigeants arabes ont appuyé tacitement le coup de force sanglant contre les Frères musulmans en Égypte, y voyant un coup d’arrêt à la menace que représente la confrérie pour leur pouvoir, estiment des experts. Seuls le Qatar, parrain de la confrérie, et la Tunisie, où le parti au pouvoir appartient à la même mouvance, ont condamné de manière virulente le bain de sang qui a fait près de 600 morts mercredi, selon un bilan officiel. En revanche, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a proclamé hier son appui au pouvoir égyptien « face au terrorisme » et a appelé « les Égyptiens, les Arabes et les musulmans à s’opposer à tous ceux qui tentent de déstabiliser l’Égypte ».


« Toutes les monarchies du Golfe, à l’exception du Qatar, ainsi que la Jordanie et d’autres pays arabes craignaient l’exportation de la révolution des Frères musulmans chez eux. C’est pour cela qu’elles ont misé sur un retour au schéma classique d’un pouvoir fort en Égypte, pays pivot du monde arabe », note Khattar Abou Diab, professeur à Paris-Sud. La majorité des pays arabes, Riyad en tête, « ont constaté avec déplaisir le poids grandissant de la Turquie et de l’Iran sur tous les dossiers concernant le monde arabe. Leur soutien au (nouveau) régime égyptien montre leur volonté de refonder un nouveau système régional purement arabe sur des bases plus classiques », estime M. Abou Diab, spécialiste du monde arabe. Pour M. Abou Diab, « l’option démocratique dans le monde arabe est plus ou moins stoppée. Ce qui s’est passé en Égypte peut donner des idées à d’autres en Libye et en Tunisie et cette mainmise de l’armée en Égypte pourrait faire tache d’huile ».

« Guerre froide arabe »
Même son de cloche pour Shadi Hamid, expert du Moyen-Orient auprès du Brookings Doha Center : « Ce qui s’est passé en Égypte s’inscrit dans ce qu’on peut appeler une “guerre froide” arabe et il est facile aujourd’hui de savoir qui est le vainqueur. » Selon lui, les gagnants sont l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, principaux parrains du nouveau pouvoir en Égypte, au détriment du Qatar et des Frères musulmans. Riyad et Abou Dhabi « ont été ravis du coup d’État militaire qui profite à leurs intérêts régionaux et qui porte un coup à leurs plus dangereux opposants que sont les Frères musulmans », ajoute l’expert. Rappelons que les relations entre l’Arabie et les Frères musulmans, bonnes durant trois décennies, se sont dégradées avec la première guerre du Golfe en 1990 quand la confrérie a critiqué le royaume pour avoir accepté des bases américaines sur son territoire. Beaucoup de Frères musulmans ont été expulsés, et les relations se sont tendues davantage après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. À l’époque, Riyad avait accusé les Frères musulmans d’être à l’origine de l’idéologie jihadiste et le ministre de l’Intérieur, le prince Nayef, avait déclaré publiquement en 2002 que « tous les groupes extrémistes sont issus des Frères musulmans ».


« Pour les Émiratis et les Saoudiens, les Frères musulmans ont une ambition régionale qui peut être un danger pour les monarchies du Golfe », renchérit Stéphane Lacroix, professeur à l’Institut des sciences politiques de Paris et spécialiste des Frères musulmans. « Ces monarchies estiment que leur intérêt est d’avoir plutôt des dictatures que des régimes démocratiques qui sont trop instables et imprévisibles à leurs yeux », ajoute l’expert. Ce que Riyad n’a pas pardonné à la confrérie, c’est son flirt avec l’Iran chiite, principal rival du royaume sunnite au Moyen-Orient. « Les Frères n’ont jamais été hostiles à des relations avec l’Iran chiite alors que pour les Saoudiens, c’est une ligne rouge tant du point de vue de l’orthodoxie sunnite que pour des raisons de géopolitique régionale », estime M. Lacroix. « Les deux pays se battent pour la suprématie dans la région et pour Riyad, Téhéran est l’adversaire numéro un », ajoute-t-il.

Ankara vs Le Caire
De son côté, la Turquie a durci très fortement le ton envers l’Égypte, rappelant son ambassadeur Huseyin Avni Botsali au Caire après la répression sanglante des Frères musulmans, « pour discuter des derniers développements qui se déroulent en Égypte », a déclaré un porte-parole du ministère turc, avant que l’Égypte ne réplique en rappelant son ambassadeur en Turquie pour consultations, selon les médias égyptiens. Le président turc Abdullah Gül a cependant nié toute ingérence de son pays dans les affaires intérieures de l’Égypte, affirmant que les messages d’Ankara devaient être vus comme des « avertissements amicaux ». « Tous ces événements sont une honte pour le monde islamique et les pays arabes », a jugé M. Gül, cité par l’agence Dogan News lors d’une visite en Azerbaïdjan. « Les amis (de l’Égypte) souffrent. Je souffre pour chaque mort égyptien », a-t-il ajouté.


Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, chef du Parti de la justice et du développement (AKP) issu de la mouvance islamiste, avait fortement renforcé les liens entre son pays et l’Égypte sous la présidence de Mohammad Morsi, élu en juin 2012, Ankara ayant fait du Caire l’un de ses partenaires privilégiés dans sa stratégie d’influence régionale. Le Premier ministre, qui a d’emblée condamné un « coup d’État » de l’armée en Égypte et reconnu Mohammad Morsi comme unique représentant légitime du pouvoir, avait écourté ses vacances en juillet pour participer à un sommet sur la crise égyptienne. Mais malgré les vives critiques contre les militaires après le coup de force dirigé par le général Sissi, les dirigeants turcs ont laissé entendre qu’ils ne rompraient pas les relations avec l’Égypte. Les analystes estiment cependant que la répression sanglante des manifestants pro-Morsi constitue un « point de non-retour » pour la Turquie, qui rendra très difficile une réconciliation entre le gouvernement d’Erdogan et le régime militaire en Égypte.

 

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