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À La Une - Liban

Les habitants de Roueiss en état de choc face au lourd bilan de l’explosion

Plusieurs cherchent toujours leurs proches et leurs parents dans les hôpitaux.

Façades soufflées et calcinées. Au moins six immeubles ont été endommagés par l’explosion. Photo AFP

Imad est fébrile. Devant l’entrée de l’hôpital al-Rassoul al-Aazam, il parle au téléphone, raccroche, compose un numéro, gesticule, parle à voix haute, engueule presque l’homme qui l’accompagne.
« J’ai fait tous les hôpitaux, je ne retrouve pas son corps. » Imad cherche sa sœur Rania Hocheimi, 33 ans. « Elle venait de quitter son travail, à côté de l’église Mar Mikhaël. Elle passe par la route de Roueiss. Quand j’ai entendu l’explosion, j’ai accouru. J’ai retrouvé sa voiture calcinée en pleine rue. Et depuis, je cherche son corps, mais en vain », raconte-t-il.


Un peu plus loin, à l’hôpital Bahmane, Samir, silencieux et le regard perdu, s’adosse contre un mur. Il cherche son frère Mohammad Jaber, 45 ans. « Mon frère a un magasin de colifichets dans la rue. Il travaille avec ma sœur. Elle est indemne. Mohammad, lui, est sorti de la boutique au moment de l’explosion. J’ai fait les morgues de tous les hôpitaux. Je ne l’ai pas retrouvé. Mon frère est grand et costaud... Les cadavres que j’ai vus sont frêles, petits, calcinés », dit-il.

 

(Diaporama : Les images de l'attentat dans la banlieue-sud de Beyrouth)


Après avoir fait le tour des hôpitaux, les familles de Rania et Mohammad se sont rendues auprès de la police militaire, au Musée, pour effectuer des tests ADN. Peut-être pourraient-elles retrouver les corps parmi les cadavres non identifiés ou encore parmi les débris humains qui ont été transportés aux hôpitaux entre jeudi soir et vendredi matin.
Selon des sources hospitalières, la plupart des blessés ont quitté les hôpitaux. Ils souffrent de blessures légères et de brûlures diverses. Il ne restait plus hier dans les hôpitaux de la banlieue sud et de Baabda qu’une trentaine de blessés. Leur cas avait nécessité des interventions chirurgicales et leur état était stable.

 

Cris et pleurs lors des funérailles de Hamad Mokdad, l'une des 24 victimes de l'attentat de jeudi dans la banlieue-sud de Beyrouth. Anwar Amro/AFP


Ont notamment été identifiés parmi les morts : Hassan Ramadan, Daoud Hadraj, Batoul Diab (vendeuse dans un magasin de la rue), une mère et son enfant (de la famille d’un concierge syrien dans un bâtiment situé dans la rue ravagée par l’explosion), Ahmad Halaoui, Afif Daher (décédé hier matin des suites de ses blessures), Hamad Mokdad, Hussein Beydoun (coiffeur dans la rue) et Mohammad Safa (employé à an-Nahar).
Hassan Ramadan, réfugié palestinien, était à bord de sa voiture. Il était accompagné de son épouse Nada et de ses enfants Fatima et Kawthar. Toutes les trois sont portées disparues.
Les corps de Saleh Abbas et de ses trois enfants, Mohammad, Mariam et Malak, n’ont toujours pas été retrouvés. La famille se rendait chez un dentiste de la rue.


Dans la nuit de jeudi à vendredi, les corps d’une famille entière ont été retrouvés calcinés dans un ascenseur, alors qu’hier matin, peu après 9 heures, un cadavre a été retrouvé dans la rue non loin de l’explosion.

 

Un blessé, à l'hôpital Bahman, dans la banlieue sud. AFP/STR 



Quatre heures pour maîtriser les flammes
C’est un paysage désolé qui régnait hier sur un tronçon de la route de Roueiss, une rue passante et grouillante de monde normalement, perpendiculaire au boulevard Hadi Nasrallah. L’explosion a eu lieu jeudi, à 18 heures, à quelques mètres de Moujammaa Sayyed al-Chouhada, un centre où le Hezbollah tient ses rassemblements.


À en croire les témoins oculaires, la voiture piégée, une BMW série 7 de couleur noire, était conduite par un kamikaze. Elle a explosé en pleine rue, alors que son chauffeur était derrière le volant.
Selon les premiers éléments de l’enquête, la charge pèserait environ 60 kilogrammes de TNT mélangés à des matières inflammables.

 

(Lire aussi : Les milieux politiques français pensent que le Liban peut encore éviter le pire)


Hier matin, on sentait toujours l’odeur de brûlé sur les lieux de l’attentat. Il a fallu plus de quatre heures, jeudi soir, pour que les pompiers puissent maîtriser les flammes. Les habitants des immeubles touchés ont fui vers les toits en attendant les secours.
Six immeubles ont été gravement endommagés par l’explosion, certains ont la façade soufflée, d’autres calcinée.
Il faut aussi compter plusieurs dizaines de voitures entièrement calcinées.


Dans la matinée d’hier, beaucoup d’habitants regardaient, désœuvrés, les façades de leurs appartements. Un cordon de sécurité avait été dressé par l’armée libanaise et les services de sécurité du Hezbollah sur le lieu de l’attentat, empêchant les habitants d’accéder aux bâtiments.

« C’était pire qu’un cauchemar »
Nombre d’habitants du quartier sinistré ne se trouvaient pas chez eux, mais dans leur village d’origine dans la Békaa ou au Liban-Sud où ils estivent. D’autres avaient profité de la journée fériée du 15 août pour se rendre à la plage. Cela a probablement réduit le nombre de victimes.


Nagib est médecin. Il regarde la façade de sa clinique. « Il était 18 heures. J’étais en train de fermer la clinique et je m’apprêtais à sortir. J’ai eu de la chance. Heureusement que je n’étais pas déjà dans la rue », dit-il. Nagib a vu de la fumée, des flammes et des blessés qu’il a aidés à sortir du périmètre de l’explosion.
Sa secrétaire Najate, debout à côté de lui, est toujours en état de choc. « J’ai couru, c’était pire qu’un cauchemar. J’ai vu un mort, des blessés, du sang partout... Il y avait des flammes et de la fumée. J’ai quitté la rue et je suis montée chez moi, un bâtiment plus loin. Puis, après une dizaine de minutes, le feu prenait dans la cage d’escalier de mon immeuble. Je suis montée au toit, attendant les secours », raconte-t-elle.

 

 


Carte réalisée par Elie Wehbé

 

 

Rania regarde avec son mari Ali la façade calcinée de leur immeuble. « Nous habitons le sixième étage. Nous regardions la télévision. Nous n’avons rien entendu, mais nous avons senti une horrible pression, indique-t-elle. La baie vitrée est tombée sur le canapé où mes deux enfants étaient assis. Nous les avons portés et nous avons voulu fuir. Il y avait de la fumée sur le palier. Nous ne pouvions pas descendre. Nous sommes montés vers le toit. Le feu prenait de plus en plus, nous avons sauté pour aller sur le toit d’un immeuble voisin », indique-t-elle.
Rania a passé la nuit chez ses parents. Hier, elle espérait pouvoir rentrer chez elle, juste pour évaluer les dégâts et peut-être sauver quelques affaires, retrouver par exemple sa carte d’identité.


Ici, les voisins accourent aux nouvelles, font le décompte des morts et des survivants.
« Hussein le coiffeur est mort. Il avait chez lui un jeune homme qui devait se marier aujourd’hui. Il habite le Canada. Lui aussi a péri dans l’attentat. Le concierge d’un immeuble a survécu. La jeune vendeuse Batoul a péri. Le vendeur de batteries de voiture aussi. Un homme du Hezbollah qui se trouvait tout le temps au croisement de la route de Roueiss avec celle qui abrite Moujammaa Sayyed al-Chouhada est mort », indique un homme machinalement, les yeux rivés sur les lieux du drame.

 

(Lire aussi : Nasrallah : Nous nous battrons contre les takfiristes, et s’il le faut nous irons tous en Syrie)


Ali Mahfouz est le propriétaire de la boutique Mahfouz, entièrement détruite. Ses vingt employés sont sortis indemnes de l’explosion. « Les pertes matérielles sont récupérables. Seules les vies humaines comptent et je n’ai perdu aucun employé dans l’explosion. Contrairement à ce qui a été annoncé par les médias, mes dépôts n’ont pas brûlé », dit-il, entouré de ses employés.


Nour, légèrement blessée à la main, attend avec sa voisine Zahida la permission de pouvoir inspecter leurs maisons.
« Je regardais la télé. J’ai été blessée par la vitre... Sans réfléchir, j’ai pris les clés de la voiture, mon téléphone, j’ai fermé la maison et je suis sortie. Une fois dans la rue, on m’a emmenée à l’hôpital », dit-elle.


Zahida, elle, estive à Baalbeck. Elle a vu l’explosion à la télévision. « Heureusement que tous mes enfants étaient avec moi. Certains d’entre eux dorment ici en semaine en été. Mais jeudi, c’était un jour férié. Ils étaient tous au village. J’ai passé une nuit blanche et j’ai quitté Baalbeck à 6 heures. Depuis, j’attends pour pouvoir entrer dans mon appartement », note-t-elle.


Aux alentours du site de l’explosion, hier en matinée, des calicots rendant hommage à l’esprit indomptable des habitants de la banlieue et à « la résistance de la banlieue sud » ont été accrochés. Des drapeaux du mouvement Amal ainsi que du Hezbollah et de son secrétaire général, Hassan Nasrallah, ont fait leur apparition sur certains balcons.


Hier, dans la banlieue sud de Beyrouth, les membres de la sécurité du Hezbollah qui montaient la garde, contrôlant les entrées vers le lieu de l’attentat, et dont certains arboraient des casquettes sur lesquelles l’on pouvait lire « Le 14 août, date de la victoire divine », rappelant le cessez-le-feu de 2006, étaient calmes et silencieux... Comme s’ils venaient de réaliser qu’ils sont désormais vulnérables.

 

 

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