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À La Une - Le point

Pour en finir avec un faux débat

Sur la marmite où mijote le brouet, trop de cuisiniers s’étaient penchés. Le désolant résultat, annoncé hier par la présidence égyptienne : un échec d’autant plus cuisant qu’il était prévisible tellement les bonnes âmes, américaines surtout, avaient multiplié les maladresses. À défaut d’habileté, les Européens Catherine Ashton et Bernardino Leon, l’Africain Alpha Omar Konaré, l’Allemand Guido Westerwelle, le Qatari Khaled ben Mohammad al-Attiya, l’Émirati Khalifa ben Zayed al-Nahyan et même le numéro deux du département d’État Nicholas Burns avaient fait dans la discrétion. Droits dans leurs santiags, Lindsay Graham et John McCain, le tandem de choc du Grand Old Party, ont donné du clairon : « Nous ne savions pas que ça allait aussi mal. Il faut bien vite trouver une solution, sinon, dans quelques jours, quelques semaines tout au plus, et c’est le bain de sang », ont-ils tonné, déclenchant une vague d’antiaméricanisme comme l’Égypte n’en avait plus connu depuis les beaux jours de Gamal Abdel Nasser.


Avant de s’embarquer pour Le Caire, le sénateur de la Caroline du Sud avait brandi l’arme ultime, appuyé par son collègue de l’Arizona : « L’armée doit regagner ses casernes, sinon nous allons lui couper les vivres. » Plus facile à dire qu’à faire puisque la Maison-Blanche continue de tergiverser, refusant de parler de coup d’État, allant même jusqu’à laisser John Kerry évoquer un rétablissement de la démocratie.


Pro et anti-Morsi ont si bien manœuvré qu’ils se trouvent aujourd’hui prisonniers chacun de sa rhétorique, les premiers exigeant la libération du président destitué, les seconds posant comme condition préalable à tout dialogue la fin des sit-in devant la mosquée cairote de Rabaa el-Adawiya et sur la place an-Nahda à Guizeh.


L’impasse est telle qu’il y a lieu de s’interroger sur la suite à donner à l’appel, hier, d’al-Azhar en faveur de pourparlers après les festivités marquant la fin du mois de ramadan. Et aussi sur la menace à peine voilée, formulée au même moment, par les autorités pour justifier le non-recours à la force (« par respect pour le mois de jeûne ») pour déloger les manifestants favorables aux Frères musulmans. Tout semble indiquer que l’on s’achemine vers une nouvelle confrontation, bien entendu sanglante, pourrait-on dire, si l’on n’était en Égypte, pays où les menaces sont rarement suivies d’effet.


Par contre, autrement plus grave est le débat surgi sur la scène régionale, dans la foulée de ce qu’il faut bien appeler une crise de régime. On voit se multiplier ces jours-ci les prises de position favorables aux uns ou aux autres. Ainsi, la tentative de mise au pas des Frères musulmans se justifierait-elle, aux yeux de leurs tombeurs, par l’échec patent de leur représentant à la tête de l’État, qu’il s’agisse de l’économie, traitée en parent pauvre, ou de la priorité donnée à la nomination de membres de la confrérie aux principaux postes officiels. Face à l’argument de la légitimité des urnes, la réponse paraît évidente : fallait-il attendre la fin du mandat présidentiel (quatre ans) pour passer à l’action, avec entre-temps le risque d’une multiplication des accidents de parcours ? Et puis, qui donc a décrété que le peuple devrait respecter l’échéance constitutionnelle, surtout que la Loi fondamentale avait été, en son temps, fortement contestée, après avoir été approuvée par un référendum auquel avaient pris part près d’un tiers de la population.


Ce que le général Abdel Fattah el-Sissi et ses compagnons défendent depuis le 30 juin dernier, c’est tout autant une certaine idée – la leur, quelque spécieux que puissent être leurs arguments – de la démocratie que leurs privilèges. À chaque camp, ses bienfaiteurs : si les Ikhwane avaient obtenu 8 milliards de dollars du Qatar, leurs adversaires ont déjà reçu plus du double de l’Arabie saoudite, du Koweït et des Émirats arabes unis, ce qui leur a permis d’ignorer désormais le Fonds monétaire international et son hésitation à leur assurer un prêt de 4,8 milliards de dollars.
Ce que les héritiers de cheikh Hassan el-Banna défendent, c’est un certain mode de gouvernement basé sur la charia, mais surtout la concrétisation d’un rêve vieux de plus de quatre-vingts ans, au risque d’aller à l’encontre des aspirations du peuple, lequel réclame une amélioration de son quotidien. Or, comme par miracle, c’est après leur départ que les prix des produits de première nécessité ont retrouvé un niveau acceptable, que la monnaie nationale a renoué avec un semblant de stabilité, que la Bourse a retrouvé quelque couleur.


Autant de preuves que ce qui compte en définitive, c’est le primum vivere du sage cardinal Jacques de Portugal. Pendant que les analystes continueront d’analyser, les politicailleurs de politicailler et les ergoteurs d’ergoter.

 

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