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Moyen Orient et Monde

La réinitialisation révolutionnaire de l’Égypte

Par Ishac DIWAN et Hedi LARBI

Ishac Diwan enseigne les affaires publiques à la Kennedy School of Government de l’Université Harvard ; il est directeur pour l’Afrique et le Moyen-Orient au Centre pour le développement international. Hedi Larbi a été directeur de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Que Mohammad Morsi, le tout premier président démocratiquement élu de l’Égypte, ait été écarté du pouvoir par un coup militaire est discutable, mais il est indéniable que les manifestations du 30 juin à l’origine de son éviction ont constitué le plus important mouvement de masse de l’histoire de l’Égypte. Il est aussi la preuve flagrante de l’échec de la première phase de la révolution égyptienne. Les hommes politiques, les généraux et les juristes ne sont pas parvenus à dépasser leurs petits intérêts pour composer le socle d’une nouvelle république. Le départ forcé d’un président élu aurait du être évité – l’opposition libérale aurait pu apaiser la colère populaire en obtenant du gouvernement quelques concessions jusqu’aux élections législatives, programmées plus tard cette année. Et ils auraient pu alors convaincre les Frères musulmans de Morsi d’accepter les compromis nécessaires. Les conséquences les plus dangereuses de l’éviction de Morsi sont devenues évidentes le 8 juillet lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les dizaines de milliers de ses partisans qui s’étaient réunis au Caire pour exiger son retour, provoquant la mort de plus de 50 personnes. Les Égyptiens craignent maintenant une situation comparable à celle de l’Algérie en 1962, lorsque les militaires supprimèrent les élections et déclenchèrent une guerre civile sanglante, ou à celle du Pakistan en 1999, lorsque le général Pervez Musharraf organisa un coup qui fut célébré, avant d’être regretté, contre le Premier ministre Nawaz Sharif.
La situation en Égypte n’a jamais été aussi volatile depuis l’éviction de l’ancien président Hosni Moubarak au début de l’année 2011. Mais les erreurs du passé ont aussi appris aux Égyptiens des leçons importantes sur ce qu’exige une transition réussie. La première transition n’a pas su réunir une légitimité populaire suffisante. Plutôt que d’unir les différentes forces politiques autour d’un ensemble d’institutions démocratiques admises, le processus constitutionnel n’est parvenu qu’à polariser la société sur une ligne identitaire, en grande partie du fait d’un scénario défectueux : contrairement à la Tunisie, un président avec les pleins pouvoirs a été élu avant qu’une nouvelle Constitution ait été élaborée. Les incitations de Morsi ont été de consolider le pouvoir plutôt que de produire une Constitution inclusive ; mise au référendum, la version préliminaire soutenue par les Frères musulmans a été approuvée par 64 % des votants, mais avec un taux de participation de seulement 33 %. Les forces d’opposition en portent aussi la responsabilité ;
ils ont refusé de coopérer avec les Frères musulmans, pariant sur le fait que l’isolation politique et l’économie en berne finiraient par fragiliser leurs opposants. La seconde révolution a mis en lumière la réticence d’une grande part de la population diversifiée de l’Égypte à accepter ce processus non inclusif. Ceux qui sont descendus dans la rue pour exiger la reprise du processus – des Égyptiens majoritairement laïques, libéraux et éduqués – n’étaient pas seulement motivés par des doléances politiques et économiques, mais aussi, comme les classes moyennes rétives ailleurs dans le monde, par des aspirations à la liberté et à l’inclusivité.
Dans un tel contexte, les progrès futurs dépendent de trois facteurs majeurs. D’abord, l’Égypte a besoin d’une Constitution largement acceptée et d’une feuille de route politique. Le nouveau processus de transition doit se faire dans le consensus, avec comme principe directeur : « Ni vainqueur ni vaincu. » La révision de la Constitution doit faire l’objet d’un débat public, et le texte qui en résultera doit réunir le soutien d’une supermajorité dans le cadre d’un référendum populaire. Faire en sorte que les groupes islamiques soient inclus dans le processus politique est une condition préalable à toute avancée. Les islamistes égyptiens ont troqué la militance par la violence pour la modération et la participation lorsqu’ils ont décidé de participer aux élections parlementaires sous le règne de Moubarak. Les récents évènements menacent ce renversement historique. Si les islamistes ne sont pas intégrés de manière permanente dans la vie politique, l’islam politique adoptera des formes d’autant plus violentes à l’avenir. Deuxièmement, les nouveaux dirigeants du pays devront introduire des mesures impopulaires destinées à revitaliser l’économie affaiblie. Cela nécessitera d’expliquer à la population les réels défis économiques auxquels le pays est confronté. Le nouveau gouvernement doit parvenir à convaincre la classe moyenne d’accepter une baisse des subventions énergétiques, qui représentent actuellement 30 % des dépenses publiques, et d’assurer une meilleure régulation de la concurrence et de la démocratisation du crédit. Il doit protéger les pauvres, assurer leur sécurité et un plus grand accès aux services, et les convaincre que les réformes seront à leur avantage. Finalement, la « rue » devra maintenir la pression sur les hommes politiques pour faire en sorte que la transition aboutisse à un accord politique acceptable aux yeux de l’ensemble des parties prenantes. La rue est maintenant devenue beaucoup plus stratégique.
Tamarrod, le mouvement populaire à l’origine des récentes manifestations et qui a réuni des millions de signatures pour une pétition revendiquant une élection présidentielle anticipée, a obligé les partis libéraux divisés à se rapprocher. Les partisans de Morsi ont effectivement fait preuve de résilience, mais la popularité croissante des autres partis religieux traduit une insatisfaction vis-à-vis des Frères, y compris parmi des islamistes. Toute avancée implique un dialogue et des compromis. L’agenda de la feuille de route annoncé par le président par intérim Adli Mansour est un bon point de départ – d’abord une Constitution puis un Parlement, et enfin un président. Le Premier ministre par intérim Hazem Beblawi, un économiste hautement considéré, gestionnaire expérimenté et diplomate, est héritier de la mosquée al-Azhar, la plus haute autorité de l’islam sunnite, et respecté. Il est idéalement placé pour diriger un cabinet technocratique de dernier ressort. Mansour comme Beblawi peuvent s’élever au-dessus des tentations de court terme parce qu’ils ne participeront pas aux prochaines élections. Entre-temps, les militaires devraient être ramenés à la raison à la suite de leur récente maladresse et choisir de faire profil bas. La transition démocratique de l’Égypte peut encore être un succès. Mais parvenir à des institutions plus inclusives et durables nécessitera des Égyptiens qu’ils prennent la pleine mesure des principales erreurs commises durant les deux années et demie qui viennent de s’écouler.

Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats.
© Project Syndicate, 2013.
Que Mohammad Morsi, le tout premier président démocratiquement élu de l’Égypte, ait été écarté du pouvoir par un coup militaire est discutable, mais il est indéniable que les manifestations du 30 juin à l’origine de son éviction ont constitué le plus important mouvement de masse de l’histoire de l’Égypte. Il est aussi la preuve flagrante de l’échec de la première phase de...

commentaires (1)

On se pince pour s'assurer d'être réveillé...ainsi donc, l'opposition aurait dû laisser faire les frérots, et même les soutenir, "en attendant les prochaines élections législatives"! Mais sont complètement azimutés ,ces deux génies de la bastille. En tous cas, ils traduisent bien les positions "occidentales", et notamment américaine et teutonne. Juste hallucinant, ahurissant. Pauvres c..s!

GEDEON Christian

03 h 47, le 20 juillet 2013

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Commentaires (1)

  • On se pince pour s'assurer d'être réveillé...ainsi donc, l'opposition aurait dû laisser faire les frérots, et même les soutenir, "en attendant les prochaines élections législatives"! Mais sont complètement azimutés ,ces deux génies de la bastille. En tous cas, ils traduisent bien les positions "occidentales", et notamment américaine et teutonne. Juste hallucinant, ahurissant. Pauvres c..s!

    GEDEON Christian

    03 h 47, le 20 juillet 2013

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