L’homme connaît bien la Syrie. Il a suivi des cours en langue arabe et en études islamiques à Beyrouth puis à Damas avant de découvrir, en 1982, les ruines du monastère syriaque catholique de Mar Mûsa, bâti au XIe siècle autour d’un ancien ermitage occupé dès le VIe siècle par saint Moïse l’Abyssin. Il y fonde dix ans plus tard une communauté religieuse œcuménique mixte, la communauté al-Khalil (« l’ami de Dieu », en arabe), nom biblique et coranique du patriarche Abraham, qui prône le dialogue islamo-chrétien.
Expulsé de Syrie en juin 2012 pour ses prises de position, Paolo Dall’Oglio se rend à Beyrouth. C’est là que je fais sa connaissance. L’homme est littéralement obsédé par la nécessité d’agir le plus rapidement possible pour faire arrêter le massacre. Il vit avec le sentiment accablant d’être, d’une certaine manière, complice de crime de non-assistance à peuple en danger, un peuple victime d’une nouvelle guerre froide entre les États-Unis et le Russie, mais aussi d’une « guerre familiale » interne à l’islam qui oppose chiites et sunnites.
Son ouvrage constitue le premier « reportage » sur le terrain effectué non pas par un journaliste, mais par un prêtre qui, après avoir été expulsé de Syrie vers le Liban, retourne dans sa patrie d’adoption à partir du Kurdistan irakien. Son périple nous apprend beaucoup sur la réalité de ce qui se passe en Syrie, sur la vie quotidienne des gens, les relations entre les communautés, les forces militaires… Il y décrit longuement la violence qui a déjà fait plus de 100 000 morts et près de 5 millions de déplacés et de réfugiés. Il s’attarde sur la cruauté dont fait preuve le régime dans la répression qu’il mène contre son peuple et relate de nombreux témoignages de torture. « Pour décrire cette horreur, il faut, dit-il, un estomac de fer. »
Le P. Paolo ne baisse pas pour autant les bras et tente de trouver des solutions et des arrangements. Il se rend pour une mission de médiation à Qousseir où il devient un observateur accrédité par les Nations unies et la Croix-Rouge, et multiplie les contacts avec les personnes concernées pour initier des actions d’apaisement. Mais la violence est toujours au rendez-vous.
Sur la militarisation de l’opposition qui pendant de longs mois avait opté pour la non-violence, le P. Paolo ne veut pas porter de jugement. « Si je crois, dit-il, à l’action non violente, à son efficacité et à sa valeur morale, je ne crois pas au droit de juger l’option d’autodéfense armée face à un régime “tortureur” et liberticide comme celui-ci dans une totale indifférence mondiale. » « Tout cela, ajoute-t-il, nous amène à cette question : à partir de quand la non-violence devient-elle une résignation coupable ? Et quand la violence, assumée comme légitime défense, se transforme-t-elle à nouveau en une agression coupable ? »
Le P. Paolo, qui souffre de voir ses « frères, les chrétiens orientaux, piégés entre les deux camps », initie une réflexion sur l’avenir de la Syrie, menacée dans son intégrité par des logiques séparatistes alors même que le courant dominant demeure unitaire, et parle des problèmes qui attendent les Syriens après l’arrêt des combats, tout en insistant sur la nécessité d’une « réconciliation sur la base de la vérité et de la justice ».
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commentaires (3)
Les frères orientaux ne sont pas que "piégés"...ils sont aussi massacrés, violés, torturés, expulsés, églises et couvents détruits et autres amabilités du même genre...et puisqu'on en parle...que n'a-il dénoncé le régime syrien pendant les 30 ans précédents? Drôle de vision de l'œcuménisme que celle qui consiste à sacrifier les siens.
GEDEON Christian
12 h 53, le 08 juillet 2013