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Moyen Orient et Monde - Le point

Sanction pour excès de vitesse

Qu’est-ce qui est plus efficace que 22 millions de signatures au bas d’une pétition ? Réponse : autant, sinon plus, de millions d’hommes et de femmes dans la rue, d’un bout à l’autre de l’Égypte, scandant : « Dégage ! » et « À bas le régime ! » à l’adresse d’un président convaincu de son bon droit, celui issu des urnes, et qui s’évertue à appeler au calme et à proposer le dialogue.

 

Mohammad Morsi n’a rien compris : plus que de charia, plus que de cette légitimité désormais perdue mais dont il continue à se prévaloir, c’est de pain, d’un emploi, d’un accès de ses enfants à l’instruction que l’homme de la rue a besoin; en un mot : de dignité. Voilà pourquoi, totalement déphasé, le discours présidentiel sonnait creux. Parce que 51,73 pour cent des voix au vainqueur de l’an dernier, cela signifie aussi que 48,27 pour cent sont allées à Ahmad Chafic et donc que, contestée depuis, cette élection ne représente pas un bail pour un nombre déterminé d’années. Dans un pays comme l’Égypte d’aujourd’hui, la confiance, cela se gagne au quotidien, un objectif qui paraît hors de la portée du chef de l’État au lendemain d’un week-end sanglant qui a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés.


Au départ pourtant, on aurait eu mauvaise grâce à ne pas saluer les performances des Frères musulmans depuis mars 2011. Un référendum gagné haut la main, des législatives remportées puis une présidentielle, ce n’est pas rien. L’erreur aura été de penser que, fort de ce triplé, on pouvait entreprendre de squatter l’une après l’autre les allées du pouvoir, l’armée ayant été neutralisée, elle qui, d’ailleurs, ne demandait qu’à préserver ses acquis. Avec des gardiens de la Loi décidés à mettre un terme à une dangereuse dérive, il en a été tout autrement. En brandissant bien haut le glaive de la justice, les magistrats ont, sans le vouloir peut-être, nourri un autoritarisme présidentiel qui a apporté de l’eau au moulin des chefs de l’opposition, leur fournissant l’occasion d’attiser le feu de la révolte populaire.


Analysée à chaud, la situation présente ne peut que déboucher sur l’un des deux termes de l’alternative suivante : la fin de la démocratie ou la reprise par l’armée des commandes du pouvoir... ce qui signifie en quelque sorte la disparition totale ou partielle du semblant de démocratie, tout de même préférable à son éclipse, même provisoire.
D’un côté, une institution militaire rechignant à servir de rempart au régime ; une police refusant de s’engager et laissant le soin de défendre la présidence aux Ikhwane ; un ministère de l’Intérieur demeurant acquis à la cause de Hosni Moubarak. De l’autre côté, un mouvement, le « Tamarrod », qui regroupe les oppositions laïque, libérale, de gauche décidées à en découdre ; une population exsangue et manquant de tout. Avec en perspective le jour pas très lointain où l’État ne serait plus en mesure de subventionner le pain et l’essence car les réserves en devises ont atteint la cote d’alerte. Après le Qatar, il y a quelques semaines, la Libye a puisé dans les redevances de son pétrole pour fournir à la Banque centrale égyptienne deux malheureux milliards de dollars, d’ailleurs inutilisables.


Autre perspective : si d’aventure des législatives étaient appelées à se tenir demain, elles pourraient donner la victoire aux adversaires de la confrérie tant est évidente l’érosion de celle-ci. Distribuer dans les dispensaires des compresses de gaze et des antipyrétiques est une chose ; régir les affaires d’un pays en est une tout autre. Cela nécessite une préparation longue et minutieuse, des équipes qualifiées, une perception aiguë de la chose publique, une culture démocratique permettant de tenir un discours pédagogique cohérent et non point basé seulement sur le Très-Haut.
Tout porte à croire que l’armée – « espoir suprême et suprême pensée » – a longtemps hésité, contente apparemment de se tenir en réserve de la République. Le communiqué du commandement la semaine dernière, un modèle d’ambiguïté, plaidait pour la réconciliation et, dans le même temps, laissait entendre qu’il ne reculerait devant rien pour protéger la nation « si la violence venait à échapper à tout contrôle ». L’opposition pour sa part semblait appeler de ses vœux un tel recours. Le nationaliste de gauche Hamdine Sabbahi entrevoyait même une solution qui verrait « le peuple, l’autorité judiciaire et l’armée mettre au point un plan destiné à gérer la transition ».
Hier, l’état-major a, pour la première fois depuis le début de la crise, montré les dents et abattu une seule de ses innombrables cartes en laissant entendre qu’il avait sa propre feuille de route. Laquelle ? On verra bien dans quarante-huit heures.


L’ultimatum du général Abdel Fattah el-Sissi n’élude pas une question : s’il avait fallu dix-huit jours pour déloger Hosni Moubarak du palais d’el-Ourouba, combien de temps se donnera Mohammad Morsi avant de faire ses valises ?

 

 

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