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À La Une - La Perspective de Michel TOUMA

Feu de paille et jeu d’échecs

On ne stigmatisera jamais suffisamment les agressions dont a été victime l’armée à Saïda et Abra ces dernières quarante-huit heures. On ne condamnera jamais suffisamment l’appel lancé par cheikh Ahmad el-Assir aux militaires sunnites pour les inciter à faire défection. Les pertes en vies humaines enregistrées en deux jours de combats tout aussi inutiles qu’absurdes sont d’autant plus déplorables et désolantes qu’elles sont le fruit d’une ligne de conduite, de la part du groupuscule salafiste, en tout point primaire. Et, surtout, irresponsable.


Mais au-delà du drame humain vécu par la population de la capitale du Sud ces derniers jours, et ces dernières semaines, les récentes secousses sécuritaires ont mis en relief encore une fois une réalité indéniable : le Liban est de plus en plus confronté à la montée en puissance de deux fondamentalismes, l’un sunnite et l’autre chiite, qui sont tous deux étrangers et en totale contradiction avec les spécificités historiques et les racines socio-politico-culturelles du pays du Cèdre. Sauf que les événements de Saïda ont illustré, malheureusement dans le sang, ce que d’aucuns – non seulement au Liban mais également à l’étranger – se refusent de voir, et d’admettre, à savoir qu’il existe une différence fondamentale entre le danger que représentent les courants radicaux et jihadistes sunnites et la menace que constitue l’intégrisme chiite incarné par le Hezbollah.


La manière avec laquelle cheikh Ahmad el-Assir a mené son combat, politique et militaire, contre celui qu’il considère, à juste titre, comme la tête de pont de l’Iran en Méditerranée est très caractéristique de la nature de l’action menée un peu partout dans la région et dans le monde par les organisations extrémistes sunnites. Celles-ci se livrent à des opérations terroristes d’éclat, lancent des initiatives militaires spectaculaires et ponctuelles, en se basant sur un discours radical et populiste ne présentant aucun horizon.


Cette gesticulation du sunnisme jihadiste fait beaucoup de bruit ... et de mal. Elle reste toutefois limitée dans l’espace et le temps. Elle bouleverse moult stratégies géopolitiques et provoque dans bien des cas des interventions militaires musclées pour en venir à bout. Mais en définitive, elle ne constitue qu’un feu de paille, elle est l’œuvre d’un « tigre en papier ». Et pour cause : elle ne repose sur aucun projet politique solide et bien réfléchi, sur aucune stratégie d’action fondée sur des structures bien établies et enracinées dans les sociétés où elle se manifeste. De surcroît – et c’est là le point le plus fondamental – ce sunnisme radical et jihadiste est un phénomène marginal, minoritaire et rejeté dans son propre milieu social.


L’ensemble de ces facteurs caractérisent cet extrémisme sunnite aussi bien au Liban que dans les pays du Moyen-Orient. C’est cette absence de vision, de stratégie d’action et de projet politique préétabli, c’est cette marginalisation dans le milieu environnant qui expliquent la déroute militaire rapide des courants radicaux en question. Le sort réservé en quarante-huit heures à cheikh el-Assir et ses hommes en est l’exemple le plus frappant. Hormis quelques religieux salafistes, eux-mêmes marginaux et ne bénéficiant pas d’une véritable implantation populaire, nul pôle d’influence sur l’échiquier sunnite, nul leader, responsable politique ou faction notoire n’a volé au secours du trublion de Abra.
Cette mise au pas rapide n’est d’ailleurs pas spécifique uniquement au Liban. On a vu ainsi, tout récemment, le sort réservé par les forces régulières françaises en un temps record, et avec un minimum de pertes, aux jihadistes qui prétendaient vouloir faire la loi au Mali. Là aussi, ces derniers n’ont bénéficié d’aucun élan populaire, d’aucune solidarité politique, susceptible d’empêcher la débâcle. Et c’est cette même marginalisation fatale que ne manqueront pas de subir inéluctablement les jihadistes syriens participant à la révolution contre le régime de Bachar el-Assad.

 


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Le cas d’école du Hezbollah est radicalement différent. Le directoire du parti chiite, sous l’impulsion de son parrain iranien, a, lui, un esprit stratégique. Il est un excellent joueur d’échecs. Il a, lui, une vision claire du chemin qu’il s’est tracé de manière soigneusement réfléchie, sur base d’un plan d’action préparé minutieusement à l’avance. Il avance ses pions, planifie ses coups, en se fondant sur une réflexion à long terme, sur des structures solidement implantées, sur un long et lent travail de sape bien orchestré, sur un noyautage systématique et soutenu, de longue haleine, des positions-clés et des institutions. À la lumière de tels paramètres, le Hezbollah se montre ainsi de loin plus dangereux, à long terme, que les courants radicaux sunnites, parce que, précisément, plus pernicieux et plus stratégique dans son action destructrice.


Le Hezbollah se montre d’autant plus pernicieux et dangereux que, lui, n’est nullement marginal et rejeté dans son milieu socio-communautaire. Bénéficiant des largesses des mollahs de Téhéran sous la forme d’un soutien militaire, financier, logistique, social et politique quasi illimité, auquel viennent s’ajouter de substantiels revenus provenant de structures douteuses mises en place un peu partout dans le monde, le Hezbollah est parvenu à encadrer et verrouiller l’ensemble de la communauté chiite grâce à une aide pédagogique, médicale, sociale et caritative, massive et planifiée sur des fondements solides.


Mais ce qui rend la ligne de conduite du Hezbollah véritablement dangereuse pour une entité telle que le pays du Cèdre c’est indéniablement son projet politique. Lorsque Hassan Nasrallah proclame, après la bataille de Qousseir, que son parti compte poursuivre son implication dans la guerre syrienne, lorsqu’il affirme que son parti continuera à exécuter la mission qu’il s’est assignée – ou, plus exactement, la mission que son parrain de Téhéran lui a assignée – lorsqu’il annonce que ses combattants « seront présents (en Syrie) là où il faudra qu’ils soient présents », il ne fait que confirmer que son projet politique est totalement déconnecté des réalités et des spécificités libanaises. Il ne fait que réaffirmer que l’appareil de son parti ne représente qu’une des pièces essentielles d’une stratégie régionale, d’un vaste projet transnational ancré aux desseins hégémoniques des mollahs de la République islamique iranienne.

 


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Un « tigre en papier » allumant un feu de paille (fût-il impressionnant), contre un doué joueur d’échecs, doté d’un solide esprit stratégique et possédant largement les moyens de sa politique : telle est la différence fondamentale entre l’intégrisme sunnite et l’intégrisme chiite. Il ne devrait pas être difficile, de ce fait, de faire preuve de discernement pour déterminer lequel est le plus pernicieux et lequel des deux est le plus dangereux. Non seulement au pays du Cèdre, mais également dans la région. Et, en passant, sur les bords du Barada aussi.

On ne stigmatisera jamais suffisamment les agressions dont a été victime l’armée à Saïda et Abra ces dernières quarante-huit heures. On ne condamnera jamais suffisamment l’appel lancé par cheikh Ahmad el-Assir aux militaires sunnites pour les inciter à faire défection. Les pertes en vies humaines enregistrées en deux jours de combats tout aussi inutiles qu’absurdes sont d’autant...

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