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Moyen Orient et Monde - Éclairage-Syrie

« Si vous êtes un criminel, comment pourriez-vous revenir ? »

Pendant des siècles, les localités du nord de la Syrie, patchwork confessionnel et ethnique aux communautés imbriquées, ont coexisté, parfois de manière pacifique, parfois de façon moins paisible. Ces deux dernières années, le pays a basculé dans une guerre civile aux allures confessionnelles opposant le clan alaouite au pouvoir à la majorité sunnite, et cet équilibre a été rompu.
À Zambaki, un village en ciment niché dans une vallée proche de la frontière turque, des familles sunnites ont emménagé dans des habitations abandonnées par leurs propriétaires alaouites ; des instructeurs sunnites enseignent à l’école élémentaire alaouite ; des slogans religieux sunnites ont été peints en noir sur les murs. Mohammad Skafe, un professeur de mathématiques sunnite de 40 ans, se souvient des premiers départs d’alaouites il y a près d’un an. Au moment du départ de l’armée et de l’arrivée des rebelles, il téléphone à un ami du village pour le supplier de rester. « Il m’a répondu : “Peux-tu me protéger ?”. Je lui ai répondu que je n’avais aucune garantie. »
Depuis que le soulèvement, au départ à la tonalité résolument politique et laïque, s’est transformé en guerre civile, les communautés se sont divisées le long de lignes de fracture religieuses et ethniques.
Les sunnites dominent désormais l’opposition, tandis que les chiites et les alaouites se sont rangés derrière le régime en place. D’autres minorités, comme les chrétiens, les druzes et les kurdes, se sont divisées ou tentent de rester neutres.

Parallèle avec la Yougoslavie
À travers la Syrie, la violence et la peur ont vidé des villages entiers, contraint des millions de civils à fuir leur foyer et transformé le paysage politique et confessionnel. L’implication de l’Iran chiite aux côtés de Damas d’une part et l’ascendant pris par les islamistes dans les rangs insurgés de l’autre ont accéléré le processus. Pour certains combattants, la guerre a pris un tour apocalyptique. Pour d’autres, l’inimitié est profondément enracinée dans des rivalités et des soupçons ancestraux.
Lors d’un déplacement de dix jours à travers les territoires contrôlés par l’insurrection, les envoyés spéciaux de Reuters ont pu constater combien les divisions communautaires ont redessiné la cartographie politique. Ces divisions et rivalités, et le risque de représailles à grande échelle, expliquent en partie les hésitations des Occidentaux à intervenir. Aujourd’hui, les États-Unis s’apprêtent à armer les rebelles et risquent de se laisser entraîner dans un conflit compliqué opposant souvent un voisin à son voisin. Comme en Yougoslavie il y a vingt ans ou plus récemment en Irak, où les guerres ont été marquées par des violences religieuses et des épurations ethniques, la Syrie a très peu de chances de redevenir ce qu’elle était en février 2011. Même si les canons se taisent, le redécoupage confessionnel des villes et villages laissera un pays très différent, ce qui pourrait avoir des répercussions à travers toute la région.

« On était des voisins »
À Zambaki, une famille sunnite de dix membres ayant dû fuir son foyer des environs de Hama, dans le centre, s’est installée dans une maison jadis propriété de alaouites. « Notre village a été entièrement évacué. Nous sommes allés dans un camp de réfugiés en Turquie, à tel point surpeuplé qu’on a décidé de revenir », témoigne l’un des membres de la famille. « Le régime joue gros, très gros. Nous avions des voisins alaouites et nous vivions, je le jure, comme des frères. Mais le régime a pesé sur leurs esprits et leur a fait peur. On était des voisins. »
Le professeur de mathématiques enseigne à une douzaine d’élèves sunnites de l’école de Zambaki, qui fait office de casernement pour les insurgés. L’homme qui squatte la maison appartenant à des alaouites vend des cigarettes, des biscuits et des sodas, et dans la rue, des enfants jouent et une femme enceinte chemine avec un enfant. Il espère que les propriétaires pourront revenir un jour et propose qu’un tribunal soit mis sur pied pour décider qui a travaillé pour Bachar el-Assad et qui ne l’a pas fait. « Certains devraient être autorisés à rentrer, ceux qui n’ont pas collaboré avec le régime. Mais si vous êtes un criminel, comment pourriez-vous revenir ? » s’interroge-t-il. Pour Mohammad Skafe, il sera impossible aux alaouites de revenir prochainement. « Pas maintenant. Seulement si les circonstances changent. Quoi exactement ? Je ne sais pas. À l’heure actuelle, je n’en sais rien », confie-t-il.

(Source : Reuters)
Pendant des siècles, les localités du nord de la Syrie, patchwork confessionnel et ethnique aux communautés imbriquées, ont coexisté, parfois de manière pacifique, parfois de façon moins paisible. Ces deux dernières années, le pays a basculé dans une guerre civile aux allures confessionnelles opposant le clan alaouite au pouvoir à la majorité sunnite, et cet équilibre a été...

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