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Un monde de solutions - Liban

Dans les prisons libanaises, les détenus renouent avec la vie

Plus de 500 détenu(e)s ont bénéficié à ce jour des ateliers de dramathérapie, d’art et de culture, organisés par l’ONG Catharsis.

Répétitions, à la prison de Roumieh, du spectacle « 12 Libanais en colère ». Photo Dalia Khamissy/Catharsis-LCDT

Une frénésie règne en cette matinée de mai à la prison centrale de Roumieh, à l’est de Beyrouth. Plusieurs dizaines de détenus, dont certains sont condamnés à perpétuité, s’apprêtent à recevoir des invités de marque : les frères Chéhadé, musiciens et chanteurs, Rabih Abou Serhal, violoniste, et Michel Eléftériadès, fondateur et propriétaire d’Elefrecords.

 

Cette visite constitue un événement en soi pour les détenus de Roumieh, une institution carcérale surpeuplée, initialement conçue pour recevoir 1 500 personnes, mais qui en abrite plus de 3 500, selon un rapport du Centre libanais des droits humains. À Roumieh, comme dans l’ensemble des prisons du Liban, les journées se ressemblent et s’étirent en longueur entre des murs défraîchis et dans une ambiance morose qui baigne dans le gris. Le contact avec le monde extérieur est quasi inexistant, se réduisant aux simples rencontres avec les familles et les avocats.

Cette journée de mai constitue toutefois une de ces exceptions que les prisonniers attendent impatiemment. Les artistes ont en fait répondu présent à l’invitation que leur avait adressée l’ONG Catharsis, une association à but non lucratif spécialisée dans la dramathérapie au Liban et au Moyen-Orient, pour inaugurer la nouvelle salle d’activités. Il y a cinq ans, ce quotidien sinistre a changé pour de nombreux prisonniers grâce à la dramathérapie (thérapie par le biais du théâtre) introduite à la prison, en 2008, par Zeina Daccache, actrice, dramathérapeute et directrice exécutive de Catharsis. Un projet qui a permis à ses bénéficiaires de se réconcilier avec eux-mêmes.

 

 

Les « 12 Libanais en colère » répétant les chansons de la pièce dans un atelier de la prison de Roumieh. Photo Dalia Khamissy / Catharsis-LCDT

 

 

« Zeina nous a restitué notre humanité », affirme ainsi Atef, qui déplore « la négligence, la marginalisation et la routine dont nous souffrons ici. » « Pour les gens, nous sommes des criminels et avons reçu le châtiment que nous méritons, poursuit-il. La dramathérapie nous a permis de prendre conscience de notre situation en tant qu’êtres humains. Même les invités de Zeina finissent par porter sur nous un regard différent... bienveillant. »

« La société est sévère à notre égard, renchérit Ali. Elle met tous les prisonniers dans un même sac et se presse de porter des jugements, sans même prendre la peine de se demander si, parmi ces “criminels”, ne se trouvaient pas des personnes arrêtées injustement ou même des criminels qui n’attendent qu’une chance pour changer. »

Pour Khalil, condamné à cinq ans de prison, le changement est venu par le biais de ces ateliers. « La dramathérapie m’a permis de renouer avec moi-même, puis avec ma famille que je refusais de voir depuis des années, confie-t-il. Les toutes premières fois, les activités me semblaient bizarres. J’y participais, parce que je n’avais rien d’autre à faire. C’était un passe-temps, mais j’ai rapidement réalisé le sérieux de ces ateliers et au fil des sessions, j’ai commencé à me sentir mieux. J’ai appris à dire “nous” et à penser en tant que communauté, non en tant qu’individu. »

 

 

Zeina Daccache au cours d’une séance de dramathérapie dans l’enceinte de la prison de Roumieh. Photo Dalia Khamissy / Catharsis-LCDT

 

 

De Roumieh à Baabda

La première année de dramathérapie à Roumieh a été couronnée par la présentation, dans l’enceinte même de la prison, de la pièce 12 Libanais en colère (une adaptation libre de Twelve Angry Men de Reginald Rose), qui a mis l’accent principalement sur les problèmes et les revendications des prisonniers. Celle-ci a été largement applaudie et le documentaire du spectacle – réalisé à la demande de nombreux auditeurs ayant exprimé le souhait de découvrir les « coulisses » de la pièce – récompensé dans de nombreux festivals internationaux du film.

Cette expérience « positive » a poussé la dramathérapeute à la transposer à la prison des femmes à Baabda, à l’est de Beyrouth, à la demande des prisonnières impressionnées par le travail des détenus hommes. Quarante femmes ont ainsi pu profiter dès 2011 de ces ateliers qui ont été clôturés par la présentation, l’an dernier, de Schéhérazade, un spectacle inspiré des 1 001 nuits passées dans le « Royaume » des détenues à Baabda, et qui reflète « l’ambiance des 1 001 détentions ».

 

À l’instar de leurs « confrères » de Roumieh, ces femmes évoquent elles aussi une « renaissance », une « volonté de changer » et une « liberté ». « Pour la première fois de ma vie, je sens l’humanité dans les yeux des autres, constate Fatma. Ils ont peut-être réalisé que je ne suis pas qu’une “méchante criminelle”, mais une femme victime d’injustice. »

 

Même son de cloche chez Mariam, accusée d’avoir passé sous silence le parricide commis par son fils. « La dramathérapie m’a appris l’importance de faire entendre ma voix, d’autant que j’avais l’habitude de me taire n’osant même pas dénoncer mon mari qui me violentait et qui abusait sexuellement de mon fils et de ma fille, admet-t-elle. C’est entre ces murs que j’ai appris le sens de la liberté. »

 

Les « Schéhérazade » dans leur « Royaume » à Baabda. Photo Dalia Khamissy / Catharsis-LCDT

 

Durabilité du projet

Engagée depuis son adolescence dans l’œuvre sociale, Zeina Daccache ne cache pas sa fierté de constater l’ampleur de son action au sein des prisons. « La dramathérapie figure désormais au nombre des activités mentionnées dans la loi 463 pour la réduction des peines, annonce-t-elle. C’est l’un des nombreux critères que les juges prennent en considération pour étudier le dossier des prisonniers qui sollicitent une réduction de leur peine. »

« Je suis convaincue qu’il ne faut pas mettre de barrières à l’art et à la culture, poursuit-elle, après un moment de silence. Toutes les couches de la société doivent y avoir accès, même les plus marginalisées d’entre elles. Qui a dit que le théâtre ne peut être joué que sur les scènes conventionnelles, et que les prisonniers doivent être privés de théâtre et de thérapie, alors qu’ils en ont le plus besoin ? Quoi de mieux que d’allier ces deux disciplines pour leur venir en aide ! »

 

L’implication de Zeina Daccache dans les prisons ne se limite pas à la dramathérapie. La jeune femme a organisé une session de maquillage artistique pour les prisonnières au terme de laquelle ces dernières ont reçu un diplôme certifié de l’État. Son ONG tient également un club de lecture à la prison de Baabda.

À Roumieh, certains détenus ont suivi une session de drumtherapy (thérapie par l’apprentissage du djembé). Plus de soixante-dix autres bénéficient de l’atelier de bougies. « Catharsis assure la vente des bougies et les revenus sont entièrement versés aux prisonniers », assure Zeina Daccache. Et de conclure : « Mon plus grand souhait, c’est d’assurer la durabilité du projet. J’aimerais que la dramathérapie fasse partie intégrante d’un projet national pour la réhabilitation des prisonniers et que ces ateliers soient organisés dans l’ensemble des institutions carcérales du pays. »

 

 

Cet article fait partie de notre notre édition spéciale "Un monde de solutions".

 

 

Une frénésie règne en cette matinée de mai à la prison centrale de Roumieh, à l’est de Beyrouth. Plusieurs dizaines de détenus, dont certains sont condamnés à perpétuité, s’apprêtent à recevoir des invités de marque : les frères Chéhadé, musiciens et chanteurs, Rabih Abou Serhal, violoniste, et Michel Eléftériadès, fondateur et propriétaire d’Elefrecords.
 
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