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À La Une - Repère

Jardin des Jésuites : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la polémique...

Le projet de la municipalité de Beyrouth suscite une vague de contestation. Explications des uns et des autres.

"Les vestiges présents dans le parc et recensés par la Direction générale des Antiquités seront replacés, après les travaux, au même endroit mais de façon plus moderne", affirme Rachid Achkar, responsable du Comité du transport au Conseil municipal de Beyrouth.

1-Le projet présenté par la municipalité

 

« Nous comptons construire un parking souterrain sur quatre niveaux sous le jardin des Jésuites », situé à Jeitaoui, un quartier populaire de Beyrouth, explique Rachid Achkar, responsable du comité du transport à la municipalité de Beyrouth. Son collègue Hagop Terzian précise que le projet de la municipalité vise « à créer quelque 700 places de parking pour les habitants de la zone. Nous n’avons jamais voulu supprimer ce jardin, il sera reconstruit en plus beau encore », poursuit-il.

 

« L'aire de jeux pour enfants sera refaite de manière plus contemporaine, et les vestiges (mosaïques et vestiges d’une église byzantine) présents dans le jardin et recensés par la Direction générale des Antiquités seront replacés, après les travaux, au même endroit mais de façon plus moderne », assure Rachid Achkar.

 

La municipalité ne dispose pas de document pour étayer ses dires. « Nous n’avons pas encore de maquette du futur jardin, mais la plus proche des illustrations serait le jardin actuel », indique le responsable.

 

Aujourd'hui, poursuit-il, « nous en sommes au stade des sondages. Une équipe est venue vendredi dernier prélever des échantillons pour connaitre la nature du sol. Cela rentre dans le cadre d'une étude confiée au bureau d’études Team International (voir point 7) par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) ».

 

En ce qui concerne le coût, le projet n'en étant qu'au stade de l'étude, il n'est pas encore défini.

 

Une fois les études terminées, un appel d’offres sera lancé pour la réalisation des travaux, qui devraient durer entre un an et un an et demi, selon la municipalité.

 

« Selon l’étude de faisabilité, nous traiterons le dossier soit avec un système de BOT (Build operate transfer : une entreprise privée construit le projet, le gère et le transfère ensuite à l’autorité publique), soit nous lancerons un appel d’offres pour la gestion et la maintenance du parking. Mais il est entendu que le système tarifaire sera imposé par la municipalité avec une option résidentielle prioritaire », indique M. Achkar.

 

Quid de l'impact environnemental ? « Le bureau d’étude doit également faire une étude environnementale pour déterminer l'augmentation du taux de CO2 provoqué par les mouvements dans le parking. Cela fait partie de leur cahier de charge », indique le responsable.

 

 

 

 

 

 

2-Les arguments avancés par la municipalité pour justifier le projet

 

« Autour du jardin, les voitures sont garées des deux côtés de la route faute de places de parking ; du coup les camions de Sukleen (la compagnie chargée du ramassage des ordures ménagères) n'arrivent pas à passer pour récupérer les poubelles, explique Rachid Achkar. Les riverains doivent donc payer deux fois, une fois pour les taxes en vue du ramassage des ordures et une autre fois pour le petit camion qui récupère les déchets pour les amener à la benne à ordure de Sukleen».

 

Ne suffisait-il pas, dès lors, d'interdire aux voitures de se garer d'un ou des deux côtés de la route?

« Si l'on interdit aux gens de se garer sur les bords d’une route, il faut leur proposer des alternatives. Les emplacements de parking qu’on retire de l’exploitation au bord des routes seront compensés par les emplacements disponibles dans le parking sous le jardin, ce qui permettra l’aménagement des routes. Et si l'on arrive à mettre en place des transports en commun, l'utilisation des voitures sera sensiblement réduite. Ce parking permettra de dégager les routes et trottoirs, et nous aurons ainsi des rues beaucoup plus agréables pour la population », argumente le responsable.

 

« Ce projet fait partie de notre politique d’aménagement urbain de la ville, du déplacement doux et de la mobilité, afin de libérer les routes périphériques, augmenter la surface des trottoirs et permettre aux cyclistes d’avoir une piste dédiée », insiste-t-il.

 

 

 

3-Pourquoi construire un parking sous le jardin des Jésuites et pas ailleurs ?

 

Si un parking est prévu sous le jardin des Jésuites, il n'en est pas de même pour deux autres jardins beyrouthins, celui de Sanayeh et le jardin Saint Nicolas, qui font aussi l'objet de travaux d'aménagement.


« Les travaux de réhabilitation du parc de Sanayeh ont déjà commencé et le jardin Saint Nicolas sera aussi amélioré. Mais dans ces deux parcs, il n'y aura pas de parking. Dans le secteur de Sanayeh, ce n’est pas la peine de faire un parking sous le jardin, car le projet de la Bibliothèque nationale en prévoit déjà. Quant au jardin Saint Nicolas, il est trop étroit pour y construire un grand parking, ce serait impossible d’y installer des rampes d’accès. Par contre, nous pourrions envisager des espaces de parking sur les terrains mitoyens sans faire d’expropriation, en finançant, aux frais de la municipalité, la construction d’un ou deux étages de parking dans les projets des promoteurs immobiliers ».

 

 

En ce qui concerne Jeitaoui, ne pouvait-on pas construire un parking ailleurs que sous le jardin des Jésuites?

« Il est moins cher d’occuper des espaces municipaux publics que d’exproprier des parcelles. La conjoncture géographique de cette parcelle est, en outre, toute indiquée pour créer un parking surmonté d’un étage vert traité en jardin public », indique le responsable municipal, qui précise que « le parking est destiné en priorité aux résidents et riverains ».

 

« Si nous avions une autre solution, croyez-vous que nous aurions opté pour celle-ci ?, indique, quant à lui, Hagop Terzian. Ce jardin est facile d’accès. Et puis nous préparons une étude d’impact sur le trafic pour déterminer quel effet cela aura sur le secteur ».

 

 

 

 

 

4-Les critiques formulées par les opposants

 

« À en croire Rachid Achkar, ouvrir la voie devant les camions de Sukleen (compagnie chargée du ramassage des ordures) serait la raison principale pour construire un parking sous le jardin des Jésuites à Jeïtaoui ! répond Jihad Kiamé, architecte urbaniste et habitant du quartier de Jeïtaoui. Or nous autres, habitants du quartier, sommes très satisfaits du fait que les bennes d’ordures soient placées en dehors de l’espace du jardin, du côté du boulevard Charles Malek. Cela permet d’épargner à cet espace des nuisances terribles liées au trafic et aux odeurs. »

 

D’autre part, en réponse à l’argument de la municipalité portant sur le règlement du problème de trafic et de parking, l’urbaniste met l'accent sur le potentiel d’accroissement du taux de CO2 et sur l’embouteillage dans les rues étroites qui vont mener au futur parking.

 

Giorgio Tarraf, de l’association « Save Beirut Heritage », insiste sur la place du jardin dans la « mémoire collective ». « C’est un jardin fréquenté par nombre de retraités, dans une zone résidentielle, et ils veulent le transformer en parking ? », s’insurge-t-il.

 

Pour Jihad Kiamé, il est impossible qu’un « meilleur » jardin puisse être reconstruit sur un parking. « On veut nous faire croire qu’un jardin à fonds perdus peut être remplacé par un bac à plante sur du béton », déclare-t-il.

 

Le jardin compte, insiste l'urbaniste, dix à quinze cyprès, « dont trois plus haut que mon appartement, qui se trouve au huitième étage », ainsi que de vieux sapins et ficus. « Le responsable municipal est-il sérieusement convaincu que le nouveau jardin sera plus beau que l’actuel ? Ne peut-il pas faire la distinction entre un vrai petit bois dans la ville et un immense bac à plantes ? Il oublie que les essences séculaires actuelles sont presque autonomes en termes d’entretien et d’irrigation en comparaison avec la nature perpétuellement assoiffée d'une pelouse et des quelques arbustes qui l’accompagneraient. »

 

« Jusqu’à quand la désinformation et les décisions unilatérales ? Pourquoi n’avoir pas informé les ministères concernés de la décision de commencer les travaux ? La municipalité, par ses actions, nous a mis devant le fait accompli et nous a obligé à avertir nous-mêmes la Direction générale des antiquités (DGA) le jour des travaux de forage (vu la présence de vestiges d’une église byzantine dans le jardin, NDLR)», poursuit M. Kiamé.

 

« On ne peut continuer à répondre à la demande croissante en matière de trafic par de nouvelles routes et de nouveaux parkings qui resteront insuffisants, poursuit-il. La seule solution moderne est de développer le transport en commun. (...) Les habitants avisés des dangers d’un projet maladroitement improvisé revendiquent autre chose : des transports collectifs décents, une sécurité routière, une qualité d’air, de la tranquillité... »

 

 

 

5-La réponse de la municipalité aux critiques

 

« Si une partie de la population s'oppose à ce projet, c'est qu'elle a une vue très courte de l'avenir, rétorque Rachid Achkar. Nous faisons de la planification, nous travaillons sur le long terme. Le projet sera réalisé, nous ne sommes pas obtus, mais nous avons l'obligation de respecter les plans de développement. Nous faisons ce que nous pensons être le meilleur pour la ville »

 

Et d'ajouter : « Dans l'immédiat, bien sûr, les travaux seront un handicap pour les résidents qui bénéficient aujourd'hui du jardin. Mais à la fin des travaux, ils auront un parking et un jardin ».

 

« Le bureau d’étude chargé de la conception du parking et du jardin a engagé des spécialistes en paysagisme et en agriculture, en l’occurrence le professeur Jala Makhzoumi (du département paysager à l'Université américaine de Beyrouth), souligne-t-il. Pour information, les arbres et autres plantations ont été audités par ce spécialiste, certaines plantations (y compris les arbres) seront transposés en zone mitoyenne en attendant leur remise en place « in situ » selon le nouveau concept qui gardera les mêmes éléments de base et inclura de nouveaux aménagements rendant le jardin encore plus agréable à l’utilisation soutenue des visiteurs. L’option de l’utilisation continue inclut aussi l’aménagement temporaire d’une bibliothèque municipale en attendant que les travaux soient terminés. »

 

Sur la question des transports en commun, Rachid Achkar indique : « Nos efforts dans la structuration d’une autorité organisatrice pour le transport avec les municipalités du grand Beyrouth et le ministère du Transport restent la base incontournable pour trouver une solution à la congestion dans la ville par le biais d’un transport en commun fiable et de grande qualité. »

 

 

6-Et la communication dans tout cela ?

 

Si cette polémique a pris une telle ampleur, c'est notamment en raison du manque de communication, qui a irrité au plus haut point riverains et associations. Aujourd'hui, Raja Noujaim, représentant de l’Association pour la protection du patrimoine libanais (APPL), a ainsi demandé un « débat public » impliquant des experts et des militants de la société civile.

 

« Les responsables de la ville sont supposés être à l’écoute. Concevoir des projets pour la ville en concertation avec les habitants et leurs vrais représentants fait partie de leurs obligations. Les habitants connaissent mieux qu’eux l’intérêt de Beyrouth», estime Jihad Kiamé.

 

Rachid Achkar reconnaît un manque de communication sur le sujet. « Afin de communiquer publiquement, il faut des outils, on n’a toujours pas de site web pour exposer nos projets et servir de tremplin », souligne-t-il. Il ajoute que « les consultations publiques ont été menées à travers des rencontres avec les élus, les moukhtars et avec la société civile à travers des études parallèles, comme par exemple le plan des déplacements doux, traité en collaboration avec la Région Ile de France, où tout le carré de l’hôpital orthodoxe a fait l’objet d’une étude d’aménagement spécifique favorable aux piétons et vélos, réduisant ainsi l’utilisation soutenue des véhicules. »

 

 

 


7-Le point de vue de Team International


Team International est le bureau d’études chargé par le CDR de mener les études concernant le projet. L’un de ses directeurs, Tamman Nakkash, a bien voulu répondre à quelques questions, tout en précisant qu’il s’exprime « en tant que citoyen de la ville et pour la réputation de son entreprise. »

 

« Ce projet est celui de la municipalité de Beyrouth, nous faisons les études (travail préparatoire, impact sur l’environnement…) et nous travaillons sur la conception du projet. Nous avons signé un contrat avec le CDR il y a un mois. Le 26 juillet prochain, nous allons donner à la municipalité les deux concepts alternatifs que nous aurons préparés pour ce projet. Nous en sommes aujourd’hui au début du processus, et nous n’avons encore rien donné à la municipalité ou au CDR.

 

Nous sommes en train de concevoir un nouveau design pour le parc. Le temps des parcs ceints par des murs est révolu. Nous proposons de faire du jardin un espace urbain ouvert, un espace à plusieurs niveaux. Construire les rampes d’accès au parking va certes empiéter sur la surface du parc, mais l’espace sur lequel les gens pourront se déplacer sera, au final, plus grand. Pour l’instant, le parc est en deux dimensions, nous voulons qu’il soit en trois dimensions, que les gens puissent aussi se déplacer de bas en haut.

 

En ce qui concerne le parking, il comportera bien moins que 700 places. D’une part, nous ne voulons pas d’un garage qui resterait vide, d’autre part nous ne voulons pas créer un appel d’air et que des automobilistes étrangers au quartier viennent s’y garer. Le parking est destiné aux résidents du quartier, ce ne sera pas un parking commercial comme ceux du centre-ville, où les gens viennent se garer 2h, le temps de prendre un verre ou de diner. Nous allons faire une étude pour déterminer le nombre de places adéquat.

 

Avant de signer le contrat, j’ai dit au CDR et à la municipalité qu’il fallait prévoir une participation initiale du public, que la nature du projet le requérait. Les gens doivent savoir ce qui se passe, sinon cela affecte le projet de façon très négative. Ils ont voulu attendre d’avoir des propositions concrètes à montrer (pour communiquer). Notre contrat ne nous impose pas de faire participer la population, mais nous voulons le faire, même si nous ne sommes pas payés pour ça. Je serais heureux de m’asseoir avec les gens pour leur expliquer le projet.

 

Et puis il y a une question de mauvais timing. Avec la contestation du projet Fouad Boutros, ce qui se passe sur la place Taksim en Turquie (mouvement de protestation contre la destruction du parc Gézi, ndlr), et l’influence des réseaux sociaux, les gens se sont mobilisés pour arrêter le projet. »

 

 

 

Une manifestation contre le projet est organisée samedi 15 juin à 16h dans le jardin des Jésuites.


 

 

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