Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les réseaux rebelles syriens de la France à l’heure de vérité

Avant mars 2012, l’ambassade française servait de point d’appui pour livrer clandestinement des médicaments et des vivres aux insurgés.
La scène, relatée par des diplomates français, se passe en septembre dernier à la frontière turco-syrienne. Éric Chevallier, ancien ambassadeur de France à Damas, rencontre incognito des rebelles syriens que Paris considère comme « fiables ». Après un contrôle des environs, le diplomate, accompagné seulement d’un adjoint et d’un agent de sécurité, remet des enveloppes de papier kraft à ses interlocuteurs. À l’intérieur, des milliers de dollars en espèces.
À l’époque, la dynamique de la guerre civile en Syrie semble plutôt à l’avantage des insurgés. Renforcées par les combattants du Hezbollah et par l’Iran, les forces régulières de Bachar el-Assad sont depuis repassées à l’offensive. Le 5 juin, elles ont repris Qousseir, verrou stratégique entre la frontière libanaise et la ville de Homs. Un changement de donne qui intervient au moment où la diplomatie tente de réunir une nouvelle conférence internationale à Genève, et qui alarme les capitales occidentales et arabes soutenant l’insurrection. La chute de Qousseir est considérée comme un tournant, le ministère français des Affaires étrangères parlant d’un « élément de radicale nouveauté », et donne encore plus d’urgence à la question des livraisons d’armes à la rébellion, seul moyen de rééquilibrer le rapport de force entre M. Assad et les insurgés.
« Il faut qu’il y ait un rééquilibrage parce que, au cours des derniers jours, des dernières semaines, les troupes de Bachar et surtout le Hezbollah et les Iraniens, avec les armes russes, ont repris un terrain considérable, et il faut qu’on puisse arrêter cette progression avant Alep », expliquait ainsi Laurent Fabius mercredi matin sur France 2.
Mais la fragmentation de l’opposition est telle que les Occidentaux craignent que les armes ne finissent entre de mauvaises mains, à commencer par les islamistes du Front al-Nosra liés à el-Qaëda.

Traçabilité
Sans apporter de garanties totales, les réseaux que la France a développés en Syrie depuis le début de la crise en mars 2011 offrent une idée de la manière dont les puissances occidentales pourraient évaluer leur possible aide militaire. « Il n’est pas possible de dire que nous sommes sûrs à 100 % de la destination finale des armes. Mais les risques de “porosité” sont moindres que les risques de ne rien faire », souligne un diplomate occidental. L’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie fournissent déjà des armes légères aux insurgés.
L’embargo européen sur les livraisons d’armes à la Syrie étant tombé, la France et la Grande-Bretagne seront théoriquement libres d’agir à compter du 1er août dans le respect du code de conduite européen. Aux États-Unis, le débat reste engagé.
Dès les prémices du soulèvement, Paris a tenté de tisser des réseaux sur place et de gagner la confiance des opposants. Avant le rappel de son ambassadeur, en mars 2012, l’ambassade de France servait de point d’appui pour livrer clandestinement des médicaments et des vivres aux insurgés. La France a également noué des liens directs avec les « conseils révolutionnaires civils » mis en place dans les zones tenues par l’insurrection, surtout dans le Nord. Pour chaque dollar fourni aux insurgés, elle a réclamé en retour des reçus, des photographies, des vidéos dans le cadre d’un système de « traçabilité » renforcé par des informateurs faisant remonter du terrain les informations sur l’utilisation de ces fonds.
Chaque conseil révolutionnaire étant doté d’une branche civile et d’une branche militaire, ce travail a permis une cartographie des combattants armés. « Il ne s’agissait pas d’une assistance technique. Il s’agissait d’abord et avant tout de développer des liens entre l’opposition politique, les transfuges et les combattants rebelles de sorte qu’ils puissent se parler et acceptent de travailler ensemble », se souvient un responsable français.

Contacts directs
Après que François Hollande eut reconnu en novembre la Coalition nationale syrienne (CNS) « comme la seule représentante du peuple syrien et donc comme le futur gouvernement de la Syrie démocratique », toute l’aide de la France a presque immédiatement transité par l’Unité de coordination de l’aide, créée par la CNS et dirigée par sa vice-présidente, Suheir Atassi. « Nous devons avoir une connaissance précise de cette nébuleuse de groupes, dit un diplomate français. Les Français ont un léger avantage : depuis longtemps, on a des contacts directs sur place avec certains dans les zones libérées. Déjà on a livré du matériel, des équipements de communication cryptée, des médicaments, de l’argent. »
La France privilégie Salim Idriss, le commandant de l’Armée syrienne libre (ASL). Des livraisons de tenues de protection, d’instruments de vision nocturne et d’équipements de communication sont passées par lui. Mais sa crédibilité pose question alors qu’il peine à asseoir son autorité sur les nombreux et disparates mouvements armés qui forment la rébellion. Certains le surnomment le « maître d’école ».
D’où les initiatives de la France, en contact avec les Américains, les Saoudiens ou encore les Turcs, visant à le renforcer en pressant les pays qui livrent déjà des armes à la Syrie de les réserver aux seuls groupes travaillant sous son commandement. Pour les pays occidentaux, il s’agirait de faire transiter par lui leur « assistance technique » non létale. « Nous avons testé un certain nombre des éléments de l’ASL. Nous avons construit des relations de confiance, et c’est ce genre d’assurances que nous aimerions sur la question des armes », note le porte-parole du Quai d’Orsay, Philippe Lalliot.
Paris étudie simultanément le moyen de suivre des armes à la trace en les équipant de dispositifs de géolocalisation et de les « neutraliser » si elles venaient à tomber entre de mauvaises mains, en programmant par exemple une durée maximale d’utilisation. « J’imagine que cela ne pourrait concerner que les armes les plus perfectionnées comme les systèmes antiaériens portables. Techniquement, il est possible d’y introduire un dispositif de désarmement, mais le coût et le temps nécessaire pour ce faire constitueraient je pense un gros problème », note Jeremy Binnie, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique pour le Jane’s Defence Weekly.

(Source : Reuters)
La scène, relatée par des diplomates français, se passe en septembre dernier à la frontière turco-syrienne. Éric Chevallier, ancien ambassadeur de France à Damas, rencontre incognito des rebelles syriens que Paris considère comme « fiables ». Après un contrôle des environs, le diplomate, accompagné seulement d’un adjoint et d’un agent de sécurité, remet des enveloppes de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut