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Culture - Nouvelles cimaises

L’art comme projet éducatif à l’AUB

Des derbys en cuir roux un peu vieilli interpellent et choquent (un peu, tout de même) la communauté « aubiotes ». Mais que vient faire cette vieille paire de chaussures masculines dans le cadre d’une exposition artistique ?

Des chaussures masculines, ou le project « Marching » de l’artiste Lawrence Abou Hamdan.

Dans sa politique de développer le rapport entre l’art et l’éducation, l’Université américaine de Beyrouth vient d’inaugurer sa deuxième salle d’exposition, après la première, «The Rose and Shaheen Saleeby Art Gallery», lancée il y a près d’un an, à Hamra, dans une rue attenante à Abdel Aziz. Le nouvel espace est quant à lui situé en plein campus universitaire, dans un de ces bâtiments en pierre qui confèrent cette beauté surannée à l’université centenaire. La salle accueille sous ses arcades et voûtes une exposition intitulée « Art in Labor, Skill, De-skilling, Re-skilling ». Elle explore ainsi le monde de l’art et le monde du travail à travers l’histoire.
«Nous cherchons, à travers ce nouvel espace, à atteindre une audience élargie et à lui présenter les développements les plus récents en matière d’art contemporain, exposés d’une manière curatoriale rigoureuse et académique», indique Rico Franses, directeur des collections d’art et des galeries à l’AUB. Le professeur de beaux-arts et d’histoire de l’art ajoute qu’un «lien entre les deux galeries de l’AUB et le curriculum sera tissé étroitement et offrira aux étudiants une formation de base, notamment à ceux qui visent une carrière artistique, que ce soit en tant qu’artiste, historien de l’art ou curateur.»
Octavian Esanu, curateur des deux galeries de l’AUB, souligne pour sa part la valeur intellectuelle et académique d’un espace dédié à l’art au sein d’une des meilleures institutions d’enseignement supérieur de la région. «Dans un campus universitaire, un espace de cette envergure ne fait pas seulement office de lieu d’exposition, souligne-t-il. Il tient lieu d’agora où des questions autour de la nature de l’art sont soulevées et débattues. Une sorte de laboratoire faisant écho aux théories qui sont enseignées dans les classes.»
Favoriser une pédagogie du respect et de la connaissance des œuvres, éduquer les étudiants à travers l’expérience artistique d’un point de vue tant esthétique que social, tels sont, entre autres, les deux objectifs majeurs de ces espaces d’expositions de l’AUB.
La AUB Byblos Bank Art Gallery (la banque est un parrain financier majeur) accueillera des expositions temporaires ainsi que des manifestations d’art contemporain.
Une vingtaine d’œuvres de Georges Daoud Corm, Saliba Douaihy, John Carswell, Ghassan el-Hajj, Khalid Hamza, Haitham Hassan, Lawrence Abou Hamdan, Mahmoud Khaled, Mohammad el-Rawas, Gregory Sholette, Hito Steyerl, Rachid Wehbi et Vera Yeramian occupent ainsi ce nouvel espace. Peintures, dessins, mixed media, installations audio et objets d’art minimaliste, d’artistes locaux, régionaux ou d’Europe et des États Unis. Dont les derbys, hand made, on l’aura deviné. Soulignant le fait, souvent occulté, que l’art peut aussi prendre les formes... d’une chaussure. Mais l’artiste Lawrence Abou Hamdan avait aussi d’autres objectifs. Les souliers ont en effet été réalisés dans le cadre d’un projet lancé en 2008 et intitulé «Marches» visant à documenter... la marche à pied.
Les croquis ou dessins académiques de Corm ou Douaihy ont été réalisés, pour leur part, lors de leurs séjours dans les académies en Europe durant la première partie du XIXe siècle. En vis-à-vis, des œuvres qui nécessitent un autre genre de travail, plus complexe disons. Une vidéo de l’artiste Hito Steyerl et une installation de Gregory Sholette (ce dernier a demandé à partager la signature de l’œuvre avec les ouvriers de l’AUB qui ont aidé à son montage: Ghassan el-Hajj, Khaled Hamza et Haitham Hassan). Ces œuvres-là font une référence succincte au contexte plus large du labeur productif sous l’ère du capitalisme.
L’exposition examine ainsi la relation complexe entre l’art et le travail.
«L’objectif n’est pas de célébrer le travail ou la main-d’œuvre comme étant l’une des activités majeures et essentielles à la condition humaine, les socialistes réalistes l’ont très bien fait dans le passé. Il s’agit plutôt de porter un regard différent sur l’art, comme un produit qui nécessite différentes étapes à sa construction, à sa naissance, souligne Esanu. Dans le passé, les choses paraissaient plus simples. Les artistes étaient des personnes qui possédaient des dons manuels acquis à travers le système féodal des guildes. Plus tard, ils ont été formés dans les écoles et les académies des beaux-arts, mais aussi dans les écoles soviétiques de l’art et les unions des artistes.»
Qu’est-ce qui différencie l’activité de l’artiste de celle de l’artisan? L’art est-il le fruit du travail ou du génie?
Plusieurs philosophes, penseurs, critiques se sont penchés sur ces questions. L’exposition «Art in Labor» en pose plein d’autres tout en proposant autant de thèmes de réflexion. Dont l’essentiel reste cette relation entre l’artiste et l’artisan. Distingués généralement l’un de l’autre. Même si l’un et l’autre disposent d’une technique; mais on dit du premier qu’il produit des objets, souvent associés à une fonction, à une utilité, tandis que le second crée davantage qu’il ne produit une «œuvre». On peut de cette manière penser que l’un travaille et l’autre non. Le critère essentiel demeure donc celui de l’utilité : ce qui est utile n’a pas pour fonction première d’être beau.
«Art in Labor» fait également penser à cette croyance commune selon laquelle l’art relève davantage d’un jeu ou d’un plaisir que d’un travail à proprement parler. On travaille pour gagner de l’argent et c’est parce que le produit de notre travail va nous permettre de le faire que nous acceptons le travail et l’effort qui lui est associé.
On n’attend pas de l’artisan qu’il soit «génial», mais on cherche les traces du génie chez le peintre, le sculpteur, le musicien ou l’écrivain. À méditer, en admirant les œuvres d’artistes éminemment... doués.
Jusqu’au 27 juillet.
Dans sa politique de développer le rapport entre l’art et l’éducation, l’Université américaine de Beyrouth vient d’inaugurer sa deuxième salle d’exposition, après la première, «The Rose and Shaheen Saleeby Art Gallery», lancée il y a près d’un an, à Hamra, dans une rue attenante à Abdel Aziz. Le nouvel espace est quant à lui situé en plein campus universitaire, dans un...

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