Rechercher
Rechercher

À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

La leçon turque

Hier encore, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan passait pour l’incarnation vivante d’un islamisme responsable, modéré, éclairé, un islamisme que les Occidentaux s’accordaient d’ailleurs à proposer en modèle aux forces révolutionnaires issues des divers printemps arabes. Mais qui pouvait se douter alors que sous les eaux tranquilles du Bosphore bouillonnaient en réalité, comme en d’autres points de la région, des ardeurs printanières n’attendant que le moment de remonter brutalement à la surface ?

 

Il aura fallu bien davantage que du vert écolo pour faire virer au rouge tous les voyants du tableau de bord. Dès lors, les quelques arbres d’un jardin de la mythique place Taksim à Istanbul, voué à la disparition par les urbanistes officiels à la grande fureur des manifestants, ne pouvaient cacher la forêt, c’est-à-dire le mécontentement croissant qui affecte de larges secteurs de la société turque. Car si en une décennie de pouvoir ininterrompu le Premier ministre a inscrit à son actif nombre de réalisations, il a accumulé aussi les contradictions, s’aliénant pêle-mêle les partis de gauche comme de droite, les libéraux comme les nostalgiques du kémalisme laïc et, pour finir, les syndicats.


Trois fois vainqueur d’élections libres, Erdogan ne fait pas secret pour autant de ses penchants autoritaires, qu’illustrent d’ambitieux projets de construction dédiés à la grandeur ottomane ; il œuvre même à l’avènement d’un système présidentiel dont il escompte bien être le tout premier usager. Des potentats arabes dont il se veut l’antithèse il a pourtant la morgue (et aussi l’inconscience), quand il ne voit en effet dans les contestataires que des pillards ou des terroristes, quitte à se voir délicatement désavouer par son vieux compagnon de route, le président Gül.


La Turquie doit certes à son Premier ministre une bonne période de stabilité et de prospérité, mais le voici qui menace de compromettre un tourisme des plus florissants en faisant passer des lois sur la restriction de la consommation d’alcool. Il enterre hardiment la hache de guerre avec les Kurdes, mais se refuse toujours à reconnaître les spécificités culturelles d’une minorité alévie sensibilisée, de surcroît, par les violences sectaires de Syrie. Politiquement engagée dans ce dernier conflit, la Turquie n’a pu se préserver des retombées terroristes qu’il a eues sur son propre territoire, où ont trouvé asile près d’un demi-million de réfugiés.

 

C’est dire la malsaine volupté qu’a dû savourer le régime de Bachar el-Assad en conseillant à ces mêmes citoyens, qu’il écrase sans répit sous les bombes, d’éviter des destinations de vacances telles que Bodrum ou Marmaris !


Rien pour l’heure, bien sûr, ne permet d’affirmer qu’à son tour, la Turquie est à la veille de bouleversements dramatiques même si, toutes proportions gardées, on peut y observer, comme en Égypte ou en Tunisie, un net refus de la loi, sinon de la dictature, islamiste. Ce qui est incontestable en revanche, c’est que le Parti de la Justice et du Développement est loin d’avoir passé avec succès tous les tests que commande la hasardeuse coexistence entre religion politique et démocratie, entre culte de la tradition et exigences de la modernité.


Voilà qui remet sur le tapis une vieille et angoissante question, que les optimistes à tous crins croyaient résolue à la lumière de l’expérience turque : peut-il vraiment y avoir un islamisme modéré ? Voilà qui commande surtout un surcroît de vigilance et de sagesse à un pays pluriculturel tel que le nôtre où s’affirment et s’entrechoquent, sur place ou dans l’arène syrienne, des frères ennemis se posant, à qui mieux mieux, en soldats du même Dieu.


Issa Goraieb
igor@lorient-lejour.com

Hier encore, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan passait pour l’incarnation vivante d’un islamisme responsable, modéré, éclairé, un islamisme que les Occidentaux s’accordaient d’ailleurs à proposer en modèle aux forces révolutionnaires issues des divers printemps arabes. Mais qui pouvait se douter alors que sous les eaux tranquilles du Bosphore bouillonnaient en réalité,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut