L’État s’est-il décidé, enfin, à assumer ses responsabilités sécuritaires dans la capitale du Liban-Nord afin de mettre un terme à la dégradation rampante dans la ville ? Une timide lueur d’espoir planait hier soir sur ce plan après l’initiative prise par l’armée d’investir le quartier alaouite pro-Assad de Baal Mohsen où la troupe a aussitôt entamé une délicate opération de démantèlement des barricades en essayant de prendre position sur les toits. Il faudra, certes, attendre quelques jours pour déterminer clairement si ce déploiement des forces régulières est le fruit d’un surprenant sursaut d’autorité de la part du pouvoir central, ou d’une décision politique des acteurs qui télécommandent les opérations d’escalade sur le terrain, ou s’il s’agit plutôt, tout simplement, d’une démarche ponctuelle appelée à durer ce que durent les roses...
Pour l’heure, et dans l’attente que la situation se décante réellement, les faits sont là et parlent d’eux-mêmes. En fin de journée, hier, et contre toute attente, des unités des forces spéciales de l’armée ont fait leur entrée à Baal Mohsen. Sans tarder, elles ont commencé à démanteler les barricades et les fortifications en dur qui avaient été érigées le long de la ligne de démarcation, face au quartier adverse sunnite de Bab el-Tebbaneh. Dans le même temps, les militaires prenaient position sur les toits des immeubles afin de mieux contrôler la situation.
Cette dernière mesure était d’autant plus nécessaire, et impérative, que depuis dimanche soir, les principaux axes routiers et quartiers de Tripoli étaient la cible d’une activité intensive de francs-tireurs qui semaient la mort aveuglément, faisant en vingt-quatre heures six tués et une quarantaine de blessés parmi la population civile. Dans la journée d’hier, un gendarme est mort des suites des blessures dont il avait été atteint la veille et un Syrien a également été tué par les tirs aveugles. De ce fait, l’activité a été quasiment paralysée dans la ville où les écoles, les centres universitaires et les établissements commerciaux ont fermé leurs portes dans les secteurs à hauts risques.
Cette activité meurtrière des francs-tireurs a constitué le développement caractéristique du début de la semaine, à tel point que des jeunes du quartier el-Saydé ont entrepris de brûler des pneus de manière intensive afin de ... boucher la vue aux francs-tireurs !
Indice significatif : un calme total a régné hier soir à Tripoli peu après l’entrée de la troupe à Jabal Mohsen. À l’heure d’aller sous presse, des tirs étaient toutefois à nouveau signalés entre les quartiers alaouite et sunnite, ce qui risquerait de compromettre le déploiement qui devrait en principe s’étendre aujourd’hui à Bab el-Tebbaneh. Tard dans la nuit, un accrochage a opposé au centre de Tripoli une unité régulière à des éléments armés qui circulaient à bord d’une voiture. Auparavant, en soirée, le porte-parole du Parti arabe démocratique (faction alaouite), Abdel Latif Saleh, avait applaudi à l’entrée des forces régulières dans le bastion alaouite, tout en exprimant certaines réserves au sujet du comportement des soldats, et en émettant l’espoir que le quartier de Bab el-Tebbaneh serait inclus dans l’opération sécuritaire.
L’ultimatum de Mohammad Kabbara
Force est de relever dans ce contexte que le déploiement de l’armée à Jabal Mohsen est intervenu alors que les députés et les forces vives de la capitale du Nord avaient haussé le ton au cours des dernières vingt-quatre heures pour dénoncer vivement le laxisme de l’État face à la détérioration de la situation dans la ville. Le député Ahmad Kabbara avait, notamment, lancé un véritable ultimatum au pouvoir, affirmant que si d’ici à 48 heures aucune mesure n’était prise par l’État pour « mettre un terme aux agissements de la bande armée à Jabal Mohsen, la ville de Tripoli sera contrainte de prendre en main sa propre défense ». M. Kabbara a été jusqu’à accuser le président de la République et le commandement de l’armée d’être « de collusion avec le régime syrien et le pouvoir iranien » dans l’affaire de Tripoli. « La bande armée relevant de Rifaat Eid (le chef du parti alaouite pro-Assad) prend les habitants de Jabal Mohsen en otages pour menacer la sécurité et l’indépendance de Tripoli », a affirmé le député.
« Cette bande armée conduite par Rifaat Eid, a souligné M. Kabbara, ne relève d’aucune autorité, mais elle exécute, comme le proclame Rifaat Eid ouvertement, les ordres de Bachar el-Assad et d’Ahmadinejad. Elle bénéficie d’un important soutien financier et elle reçoit des armes efficaces pour aboutir aux résultats escomptés. Les tirs qui visent la ville de Tripoli et qui ont fait 6 tués et 30 blessés proviennent de Jabal Mohsen. »
M. Kabbara a par ailleurs catégoriquement démenti la présence de takfiristes ou du Front el-Nosra à Tripoli. « De telles allégations sont dénuées de tout fondement, a-t-il déclaré. Ces informations sur la présence de takfiristes et du Front el-Nosra à Tripoli ont pour but de ternir l’image de la ville en présentant Tripoli comme une région échappant au contrôle de l’État. »
M. Kabbara a exhorté dans ce cadre le gouvernement et l’État d’intervenir afin de contrôler la situation à Tripoli. « Le gouvernement et l’État font-ils preuve, intentionnellement, de négligence à l’égard des Tripolitains, ou le groupe armé appuyé par le régime syrien est-il plus fort que l’intérêt de Tripoli ? s’est-il interrogé. Si la situation demeure inchangée, il sera de notre droit de mettre un terme (aux agissements) de la bande armée de Jabal Mohsen. Nous étudierons le mécanisme que nous devrions suivre afin d’aboutir à ce but. Si d’ici à 48 heures la situation reste inchangée, Tripoli sera contrainte de prendre en main sa propre défense. »
Plus tôt dans la journée, le comité de suivi issu de la rencontre des députés de Tripoli avait tenu une réunion en présence des députés Ahmad Karamé, Mohammad Kabbara et Samir Jisr. Les participants à la réunion avaient dénoncé la passivité du pouvoir face à la détérioration de la situation. « Les francs-tireurs qui prennent pour cible les civils sont des criminels, ont souligné les députés. Il n’est pas concevable de faire face à ces francs-tireurs en tirant des coups de semonce uniquement. Seule une riposte dissuasive est susceptible de mettre un terme à une telle situation. »
Et les membres du comité de suivi d’ajouter : « Il n’est plus concevable aujourd’hui de faire preuve de laxisme avec les criminels qui s’en prennent à la sécurité et à l’économie de la ville. Nous exhortons le président de la République de convoquer le Conseil supérieur de défense à une réunion urgente afin de mettre au point un plan de sécurité clair qui permettrait de mettre un terme au drame vécu par la ville. »
Parallèlement, la Rencontre nationale musulmane a tenu une réunion au domicile du député Kabbara en présence des députés Khaled Daher et Mouïn Meraabi, de cheikh Salem Rifaï, cheikh Kanaan Nagi et de cheikh Hassan Khayyal, représentant la Jamaa islamiya. La réunion a porté sur les mesures qui pourraient être prises afin de mettre un terme à la tension dans la capitale du Nord.
La faction alaouite
Dans le camp adverse, le porte-parole du Parti arabe démocratique, Abdel Latif Saleh, a affirmé hier dans la journée que les miliciens de son parti respectent le cessez-le-feu « contrairement à l’autre partie à Bab el-Tebbaneh ». « En tant que communauté alaouite, nous vivons dans un état de siège, a-t-il affirmé. Les groupes takfiristes islamistes dressent chaque nuit des barrages volants à Tripoli, ce qui sème la panique dans la ville. »
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commentaires (7)
PAUVRE ARMÉE, par chacune des Cliques ConFessionnelles Indigènes.... Noyautée !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 12, le 05 juin 2013