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À La Une - Le Perspective de Michel TOUMA

Message paradoxal

Dans son édition du 25 mai, Le Monde rapporte une information relative à un ouvrage paru récemment en Allemagne, John F. Kennedy parmi les Allemands. Le quotidien français met l’accent sur une facette qu’il qualifie de peu « admirable » de l’ancien président américain, relevant à ce sujet avec désolation que JFK avait, dans les années 1930, une « admiration inattendue » pour l’Allemagne nazie. Il se demandait, à l’époque, « quels sont les mauvais côtés du fascisme comparés à ceux du communisme ? ». C’était dans les années 30 du siècle dernier. La suite des événements apportera une réponse éclatante (sans jeu de mots) à une telle interrogation.
Face à l’horreur, à la sauvagerie à l’état pur – que cela s’appelle fascisme, nazisme, stalinisme ou... assadisme –, il ne saurait y avoir de place à la realpolitik, au pragmatisme ou au réalisme... Surtout lorsqu’on se pose en défenseur des droits de l’homme et de valeurs humanistes ou républicaines. Qu’il nous soit permis, en toute modestie, et dans une démarche des plus respectueuses, d’adresser cette réflexion et ces quelques lignes au député de la dixième circonscription des Français de l’étranger (dont fait partie le Liban), Alain Marsaud.
Lors d’une récente visite à Beyrouth, M. Marsaud, à l’instar, très malencontreusement, de bon nombre de dirigeants et hauts responsables occidentaux, s’est prononcé contre la fourniture d’armes à l’opposition syrienne. Tout en reconnaissant les méfaits du régime Assad, le député français s’est déclaré hostile à la position du président François Hollande, du gouvernement socialiste français et du Premier ministre britannique, David Cameron, favorables à la levée de l’embargo sur les armes destinées aux révolutionnaires syriens modérés. M. Marsaud prend pour prétexte, afin de justifier sa position, la présence de courants jihadistes dans les rangs des opposants au pouvoir baassiste.
Même s’il s’en défend publiquement, la position de M. Marsaud – et de tous les responsables occidentaux qui partagent ce point de vue – revient pratiquement, dans les faits, à favoriser le maintien de Bachar el-Assad et la persistance de sa folie meurtrière. Il ne serait pas superflu à cet égard de rappeler certaines réalités indéniables...
Que la présence de courants jihadistes, non seulement en Syrie mais aussi dans d’autres pays arabes, soit un danger sérieux qu’il est impératif de combattre, cela nul ne saurait le nier. Mais que l’on prenne pour prétexte ce danger pour justifier le maintien de la machine sanguinaire du « système Assad » (pour reprendre le propre terme de M. Marsaud), cela nous ramène à la logique de JFK qui, dans les années 30, préférait le fascisme au communisme... Et l’on a vu où ce fascisme a mené le monde par la suite.
Assez de faux-fuyants... Les massacres quotidiens auxquels est soumise la population syrienne – écrasée sous les coups de l’aviation, des missiles balistiques et des tonneaux bourrés d’explosifs, au vu et au su de certaines têtes bien pensantes occidentales – ne permettent plus de ne pas appeler un chat un chat. S’opposer à l’armement des révolutionnaires syriens modérés revient concrètement, qu’on le veuille ou non, à perpétuer le « système Assad ». Et M. Marsaud n’est pas sans ignorer ce que signifie pour la population libanaise le maintien du pouvoir assadiste. Le député français n’est pas sans ignorer que c’est ce même régime qui a, pendant plus de trente ans, déstabilisé et détruit le Liban, sapé les fondements et les institutions de l’État libanais. C’est ce même régime qui a assassiné nombre de leaders, de pôles politiques, d’intellectuels et de cadres locaux. C’est ce même régime qui a fait feu de tout bois depuis 1975 pour torpiller l’influence chrétienne au Liban, tout en prétendant être un rempart face aux fondamentalistes. Des fondamentalistes qu’il manipulait d’ailleurs de façon épisodique – comme lors de la guerre livrée par Fateh el-Islam contre l’armée libanaise – pour mieux les « vendre » au moment opportun à des services occidentaux, dans le cadre d’obscurs marchés non avouables. Ce sont les Libanais (en sus de la population syrienne), et plus particulièrement les électeurs passés et potentiels de M. Marsaud, qui risquent fort d’être, entre autres, les prochaines victimes du clan Assad, si ce dernier venait à tenir face à la révolte populaire.
Mais plus grave encore : s’opposer à la fourniture d’un armement qualitatif à l’opposition syrienne modérée a désormais pour conséquence immédiate de permettre aux mollahs de la République islamique iranienne de consolider encore davantage leur hégémonie sur l’Irak, la Syrie – qui est pratiquement passée sous tutelle iranienne – et le Liban, avec toutes les conséquences inéluctables qui en résulteraient en termes de déstabilisation rampante dans des pays tels que Bahreïn et le Yémen, ou même encore l’Arabie saoudite. Sans compter l’impact sur le Liban, du fait que le Hezbollah en est arrivé à un stade où il considère non seulement le Liban comme sa propriété privée, mais également la Syrie.
Sous prétexte de faire barrage à des groupuscules extrémistes (sunnites) qui sont, certes, efficaces, mais qui sont, somme toute, marginaux et combattus par une majorité agissante au sein de leur propre communauté (comme en Égypte, en Tunisie, au Liban et même en Syrie), l’on renforce ainsi – par le biais de Bachar el-Assad – un autre extrémisme (chiite, cette fois) non moins dangereux... Un extrémisme chiite qui est, de surcroît, majoritaire au sein de sa communauté et qui a même verrouillé son milieu communautaire. Un extrémisme qui n’est pas moins obscurantiste et théocratique que les jihadistes sunnites, comme l’illustrent la ligne de conduite des mollahs iraniens et celle du Hezbollah qui fait table rase de tous les risques que peut avoir sur la scène libanaise son allégeance aveugle au guide suprême de la révolution iranienne.


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Le quotidien britannique The Guardian rapportait il y a quelques jours que certains services occidentaux étudiaient les moyens de s’assurer qu’un arsenal militaire qui serait fourni à l’opposition syrienne modérée ne tomberait pas dans de mauvaises mains. Nul ne pourra en effet nous convaincre que les puissances occidentales ne sont pas en mesure de contrôler l’acheminement et la destination d’une quantité bien dosée, et limitée, d’armes défensives fournies à l’opposition. Par contre, laisser la population syrienne à son sort tragique, et permettre à Bachar el-Assad de se maintenir en asphyxiant progressivement l’opposition – alors qu’armes et munitions sont fournies à flots par Téhéran au pouvoir baassiste –, cela revient à renforcer les courants extrémistes.
Le bilan est ainsi mathématique : vouloir éviter la chute du clan Assad afin d’affaiblir les organisations radicales revient en réalité à renforcer... les organisations radicales ! Et cela revient aussi à occulter un paradoxe évoqué récemment par des médias aussi sérieux et crédibles que Le Monde et la CNN : la coopération complexe qui se manifeste de façon ponctuelle et épisodique, en fonction des circonstances, entre la République des mollahs iraniens et la Qaëda...
La passivité prônée ainsi par ceux qui partagent la vision du député Alain Marsaud a de ce fait pour conséquence, indirecte, de renforcer les courants extrémistes sunnites, l’extrémisme chiite par le biais de l’influence croissante de l’Iran, ainsi que, par ricochet, la coordination ponctuelle entre ces deux extrémismes. Car « l’ennemi » à abattre est, pour ces deux camps, objectivement le même : les puissances occidentales et les courants démocratiques arabes dans la région. Un beau bilan qui plonge le Liban, et la région, dans le tumulte d’un implacable chaos théocratique...

Dans son édition du 25 mai, Le Monde rapporte une information relative à un ouvrage paru récemment en Allemagne, John F. Kennedy parmi les Allemands. Le quotidien français met l’accent sur une facette qu’il qualifie de peu « admirable » de l’ancien président américain, relevant à ce sujet avec désolation que JFK avait, dans les années 1930, une « admiration inattendue »...

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