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À La Une - Reportage

A Tripoli, sunnites et alaouites libanais se déchirent comme en Syrie

« C’était vraiment la guerre. Au début, je n’ai pas voulu partir, mais j’ai trois enfants. Nous avons fui sous la mitraille, et Dieu merci, nous avons réussi à nous en tirer ».

A Tripoli, capitale du Liban-Nord, des enfants observent, le 23 mai 2013, le pare-brise éclaté d'une voiture, alors que deux quartiers historiquement rivaux, l'un à majorité alaouite, l'autre à majorité sunnite, se font la guerre. AFP/JOSEPH EID

Assise sur une couverture dans la rue, Rania serre ses trois enfants après avoir fui les combats dans son quartier de Tripoli, dans le nord du Liban, où sunnites et alaouites rejouent le conflit syrien.
« Ce sont nos enfants qui paient le prix. Nous avons d’abord quitté la maison dimanche, quand les combats ont commencé. Au début, nous avons cru qu’il s’agissait de tirs de joie pour un mariage, mais nous avons vite déchanté quand les premiers obus sont tombés », raconte Rania à Sara Hussein de l’AFP, en faisant sauter sur ses genoux le petit Ahmad.


Terrifiés, elle et son mari Abdallah ont pris Ahmad et ses deux sœurs Nourhane et Batoul pour fuir Bab el-Tebbaneh. N’ayant nulle part où aller, ils dorment dans leur voiture cabossée et passent leurs journées sur une couverture rouge et noire, sursautant à chaque fois qu’un tireur embusqué appuie sur sa gâchette en bas de la rue. Ils sont entourés d’autres familles qui ont fui comme eux ces combats ayant fait jusqu’à présent 20 morts et 150 blessés.


La haine recuite que se vouent ces deux quartiers misérables est irrépressible. Depuis 2008, ils se sont embrasés à 16 reprises, toujours pour des questions de politique générale ou régionale. Désormais, c’est la guerre en Syrie qui se répercute dans la ville. Depuis dimanche, la bataille de Qousseir a mis le feu aux poudres. Épaulée par le Hezbollah, l’armée syrienne a lancé un assaut d’envergure dans la zone.


Mais certains habitants de Tripoli n’en peuvent plus. « Si mettre une photo d’Assad dans ma maison peut arrêter les combats, je le ferai », assure Rania la sunnite, désespérée.


Mardi, espérant que la bataille s’était calmée, la famille est rentrée, mais dans la nuit, les accrochages ont repris de plus belle. « C’était vraiment la guerre. Au début, je n’ai pas voulu partir, mais j’ai trois enfants. Nous avons fui sous la mitraille, et Dieu merci, nous avons réussi à nous en tirer », explique Abdallah. « Mais, il n’y a rien pour nous ici, nous ne pouvons pas travailler et nous n’avons donc pas d’argent pour nous nourrir. Les enfants ne peuvent pas aller à l’école, il n’y a pas de salle de bains, il n’y a rien », explique-t-il avec lassitude.


À l’intérieur de Bab el-Tebbaneh, la majorité des magasins sont fermés. Dans un café ouvert, autour de deux tables, des hommes âgés fument et jouent aux cartes. Devant eux, une carriole continue de brûler, et rapidement, des habitants accrochent des toiles en plastique bleues pour permettre aux passants de traverser sans être vus par les tireurs embusqués. Des jeunes gens en tee-shirts noirs frappés de phrases islamiques inscrites en blanc traînent dans les rues, armes à la main.


Ils accusent les habitants de Jabal Mohsen d’avoir déclenché les combats et soupçonnent l’armée libanaise, qui s’est déployée pour tenter en vain de calmer la situation, d’être favorable à la partie adverse. « Nous sommes avec l’État libanais et respectons la loi, mais que pouvons-nous faire quand nous sommes attaqués par l’armée et Jabal Mohsen ? » allègue un quadragénaire en armes qui ne dit pas son nom. « Ceux de Jabal Mohsen, qui soutiennent Assad et le Hezbollah, ont commencé la bataille. Ils sont organisés, ont des armes lourdes, nous ne faisons que nous défendre », assure Kamal, 31 ans, un religieux salafiste.


À Jabal Mohsen, le discours est quasiment le même. « Nous avons été surpris par la bataille car nous sommes encerclés et nous n’avons logiquement aucun intérêt dans les combats. Nous sommes pas des suicidaires, mais c’est notre droit de nous défendre », explique à l’AFP Ali Fedda, membre du bureau politique du Parti arabe démocratique (PAD), émanation politique de la communauté alaouite au Liban.


Quand on lui demande contre qui il se bat, il répond sans hésiter : le Front al-Nosra (un groupe jihadiste très en vue en Syrie), l’Armée syrienne libre (la rébellion armée en Syrie) et les takfiris.

 

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