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À La Une - La situation

Deux batailles, un même K.-O.

Le réveil a de quoi donner la gueule de bois. Voilà des mois que le Liban discute de loi électorale, mais pas au sens que donne le dictionnaire du verbe discuter. Il s’agit plutôt, comme il se doit, d’une foire d’empoigne où, de surcroît, tout le monde s’avance masqué, où les rôles sont souvent interchangeables et où personne ne comprend plus rien à rien, les acteurs eux-mêmes aussi bien que les spectateurs.


Et voici qu’après des centaines, voire des milliers d’heures de parlote, on apprend coup sur coup qu’on est encore au point zéro sur la question et que, par ailleurs, 38 combattants du Hezbollah – pas moins – ont trouvé la mort en une journée dans l’offensive contre les positions des rebelles syriens dans la ville de Qousseir. « Par ailleurs »... Comme si, thématiquement, il s’agissait d’un sujet secondaire et, sur le plan géographique, d’un ailleurs lointain. La réactivation simultanée du front de Tebbaneh-Baal Mohsen, à Tripoli, est venue rappeler qu’il n’en est rien, que le danger est là, vivace, et que le risque que le pays soit emporté une fois de plus dans la tourmente, qu’il paye encore le prix d’un ordre du jour extérieur mis en œuvre par un acteur intérieur est plus réel que jamais.

 

(Lire aussi : L’UE envisage l’inscription de la branche armée du Hezb sur sa liste terroriste)


Le pire, dans tout cela, c’est la couverture dont le Hezbollah continue à bénéficier de la part des autorités officielles compétentes, dont on a l’impression qu’elles se sont davantage lâchées depuis qu’elles ne sont plus que « sortantes ».


C’est ainsi qu’on apprend par notre chroniqueur diplomatique Khalil Fleyhane que le ministre sortant des Affaires étrangères, Adnane Mansour, avait transmis au délégué du Liban auprès de la Ligue arabe, Khaled Ziadé, les instructions suivantes, à mettre en avant au nom de Beyrouth si l’implication du Hezbollah dans la bataille de Qousseir venait à être mise en cause par d’autres délégations arabes :


Premièrement, le délégué libanais doit rappeler qu’officiellement, le Liban applique toujours la politique de « distanciation » à l’égard de ce qui se passe en Syrie. Mais le clou est dans le deuxièmement : il y a dans la campagne autour de Qousseir 22 villages habités par des Libanais. Ces villages ont été conquis par l’Armée syrienne libre et ces Libanais font, depuis, l’objet de vexations de la part des éléments armés. Ils ont alors appelé leurs proches au Liban, parmi lesquels des combattants du Hezbollah, à la rescousse. D’où la participation (du Hezb) à l’offensive sur Qousseir...


On ne sait pas si M. Mansour est féru d’histoire diplomatique du XXe siècle, mais il y a une étrange similitude entre sa version et celle de l’Allemagne nazie lors de son agression contre la Tchécoslovaquie, en 1938, sur fond de l’affaire des Sudètes, ces frontaliers germanophones prétendument soumis aux vexations des Tchèques...

 

(Lire aussi : Halte aux crimes commis par le Hezb à Qousseir, crient des jeunes depuis le centre-ville)


Toujours est-il que le Hezb paraît déterminé à aller de l’avant dans la politique schizophrène qu’il met en œuvre depuis quelque temps au sujet de la crise syrienne. Son responsable aux relations internationales, Ammar Moussaoui, a récemment assuré à un émissaire occidental en visite au Liban qu’il restait attaché à la stabilité du pays et qu’il ferait tout pour y éviter la discorde, mais que pour ce qui est de la participation de ses combattants dans la guerre en Syrie, il s’agissait pour lui d’une question de vie ou de mort.


Il y a à peu près un mois, le numéro deux du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, avait déjà plaidé pour une « dissociation » entre ce qui se passe en Syrie et ce qui se passe au Liban (à défaut de « distanciation » ). En termes plus clairs, cela signifie que le Hezbollah veut guerroyer contre les sunnites en Syrie, mais pas au Liban. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir jusqu’à quand les sunnites syriens seraient disposés à le laisser imposer cette règle du jeu.


La bataille de Qousseir fait des morts libanais et syriens. Celle de la loi électorale, à Beyrouth, met aussi tout le monde K.-O., d’une certaine façon. On est ramené à la case départ et chacun guette le faux pas de l’autre. Le président de la Chambre, Nabih Berry, en bon serviteur de la cause hezbollahie, cherche à convaincre tout le monde de l’opportunité d’une prorogation de la législature pour une durée de deux ans. Pour les causes évoquées précédemment, on comprend que le parti de Dieu n’ait ni l’envie ni le loisir, par les temps qui courent, de se consacrer aux batailles des urnes.

 

(Voir notre repère : Loi électorale, délais, scrutin... Quelques repères pour tenter d'y voir plus clair)


Lundi soir, M. Berry a dépêché son principal collaborateur, Ali Hassan Khalil, sonder les intentions du chef du bloc du Futur, Fouad Siniora, au sujet de la prorogation. L’ancien Premier ministre lui a opposé une fin de non-recevoir.


Bien informé de l’état d’esprit de ses alliés chiites, le chef du CPL, le général Michel Aoun, n’en a pas moins réclamé hier, au diapason du 14 Mars, une séance plénière de la Chambre pour procéder au vote et adopter une nouvelle loi électorale, en remplacement de la loi de 1960. « C’est du bluff ou de la surenchère » pour faire croire, sans risque, qu’il est contre le maintien de la loi de 1960, estime-t-on dans certains milieux politiques. Une séance plénière pourrait bien être convoquée par M. Berry, peut-être même pour demain jeudi, mais ce serait pour discuter de la prorogation, pas pour voter.


Comme quoi on n’est toujours pas sorti de l’auberge...

 

 

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