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Nos Lecteurs ont la Parole

De Michel Écochard (1905-1985) au président du conseil municipal de Beyrouth

Par Michel ÉCOCHARD
pcc Hashim SARKIS
Professeur d’architecture
à Harvard
Cher Dr Bilal Hamad,
On meurt deux fois, dit-on, une première fois lors de l’inhumation, une seconde fois quand son nom cesse d’être mentionné. Près de 30 ans après ma disparition, j’écris pour réclamer mon droit à une seconde mort.
Chaque fois qu’un crime urbain est commis contre votre capitale, mon nom est évoqué en tant qu’indiscutable autorité. Lorsque le code du bâtiment stipule que l’on doit édifier les immeubles en retrait de la rue et que vous détruisez la continuité de cette rue, vous prétendez que c’est là une idée d’Écochard. Effectivement, j’ai été partisan de l’idée que l’air devrait circuler librement entre les bâtiments et dans les rues mais non au détriment du gagne-pain des commerces riverains ou de l’aménagement de parkings à l’arrière-plan. Voyez comment ces idées ont été appliquées à Damas et comment Abou-Remmaneh a bien traversé le temps.
J’ai effectivement soumis, dans les années 60, un plan pour Beyrouth incluant plusieurs des grandes voies que vous envisagez d’aménager. Mais souvenez-vous que mon plan visait à protéger les sites historiques (aujourd’hui détruits, eux aussi) et de créer non loin de là une cité moderne pour absorber le développement et éviter la congestion. Certaines parties des vieux sites devaient être sacrifiées mais il était entendu alors qu’elles seraient remplacées. C’était là une des erreurs de ma génération et j’admets que cette dernière ainsi que moi-même avons commis quelques erreurs.Tout d’abord, aucune bâtisse historique ne saurait être remplaçable. Détruite, elle disparaît. Quand un groupe humain décide de préserver une partie de son héritage l’on doit respecter cette décision, en discuter si nécessaire mais non le détruire et ne pas laisser les architectes masquer leur implication dans un tel crime en recouvrant les nouveaux immeubles de façades historiques ressemblant aux anciennes. Cela est pire que le crime lui-même.
S’agissant de bâtiments et non pas de plans, mon héritage dans la région aura été bien meilleur. La restauration du palais Azem à Damas et les ajouts qui y ont été apportés prouvent que sauvegarde et modernisation ne sont pas incompatibles. Le Collège protestant à Beyrouth témoigne de la possibilité d’insérer l’architecture moderne dans un environnement urbain. De nos jours, nombreuses sont les villes de par le monde qui ont concilié leur désir de protéger leur héritage avec les nécessités de la modernité et les impératifs du développement. Il y a là des solutions qui se sont avérées viables. Vous n’avez aucune excuse.
Il y a aussi d’autres erreurs. J’ai cru qu’en tant que planificateur urbain je disposais de toutes les réponses aux problèmes de la ville. J’ai cru que l’urbanisme est une science, que la science avait de meilleures réponses qu’un processus démocratique.
J’ai trop fait confiance, en outre, aux ingénieurs en transport quant à la planification de la ville. Aujourd’hui, j’aurais jugé que la qualité du mouvement est bien plus importante que la quantité.C’est le nombre de routes qui crée le trafic.
J’ai encore commis l’erreur de ne pas œuvrer suffisamment à dissocier mon nom de cet horrible plan directeur. Pareilles taches sont difficiles à effacer et Beyrouth pourrait fort bien me dénier le droit à une seconde mort. Je suis disposé à endosser le blâme et à vivre (ou à mourir) dans l’éternelle infamie pour peu que vous écoutiez vos concitoyens, protégiez les vieilles bâtisses de Mar Mikhaïl et renonciez à ce ridicule et déjà obsolète projet de pont. Vous n’êtes pas sans le savoir. Et Beyrouth, à tout le moins ce qu’il en reste, mérite mieux.
Avec mes meilleurs sentiments.
Cher Dr Bilal Hamad,On meurt deux fois, dit-on, une première fois lors de l’inhumation, une seconde fois quand son nom cesse d’être mentionné. Près de 30 ans après ma disparition, j’écris pour réclamer mon droit à une seconde mort.Chaque fois qu’un crime urbain est commis contre votre capitale, mon nom est évoqué en tant qu’indiscutable autorité. Lorsque le code du bâtiment...

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