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À La Une - L'impression de Fifi ABOU DIB

Contre le pont de Mar Mikhaël

Nous n’avons toujours pas de gouvernement, nous ne savons même pas si les élections législatives auront lieu en temps voulu, mais une rumeur se confirme avec une urgence suspecte : 60 millions de dollars auraient été débloqués pour lancer les travaux d’une autoroute à livrer dans 3 ans, qui chevauchera entre autres le vieux quartier de Mar Mikhaël. Nous sommes bien loin du concept angélique du pont comme lien entre les hommes. Scindant en deux ce quartier qui tente de préserver son caractère traditionnel et ses vieilles maisons à triples arcades, cette voie rapide signera la fin d’un élan de convivialité qui fut exemplaire dès le début des années 2000. Petits restaurants savoureux tenus par de jeunes chefs frais émoulus des meilleures écoles hôtelières, galeries d’art de la nouvelle génération, ateliers de design, de couture, Mar Mikhaël était devenu la vitrine du bouillonnement créatif de la ville d’après-guerre. Barrer ce creuset fabuleux d’un nouveau tronçon routier est un crime à plus d’un titre, et d’abord contre l’un des rares exemples de continuité dans le tissu social.


Cette autoroute portera le nom de Fouad Boutros, comme s’il fallait à la municipalité de Beyrouth, pour se dédouaner d’un projet aussi traumatisant, la caution de l’une des rares figures éminemment respectées au Liban. Par ailleurs, l’autre argument fallacieux est que cette nouvelle voie routière a été tracée par l’architecte et urbaniste Michel Écochard entre les années 50 et 60 du siècle dernier (pourquoi a-t-on attendu tout ce temps pour la lancer ?). La réponse à ce propos est venue d’un autre grand architecte, cette fois de notre époque, Hashim Sarkis, professeur à Harvard où il est titulaire de la chaire Agha Khan. Sarkis a diffusé une lettre dans laquelle il imagine la réponse d’Écochard à cette initiative malheureuse. Il y écrit en substance qu’Écochard appartient à une génération qui considérait l’urbanisme comme une science exacte. Forts de calculs, de statistiques, de mesures météorologiques et de prévisions démographiques, les Écochard et leurs pairs érigeaient des plans et traçaient des villes sur papier calque. Eux qui avaient assisté aux destructions majeures engendrées par deux grandes guerres n’avaient aucun scrupule à se baser sur des tables rases pour édifier les cités modernes. L’époque en rêvait. Il s’agissait de dessiner un futur virginal en tournant radicalement le dos à un passé inique.


Dans le cas de Beyrouth, Sarkis souligne dans sa lettre que l’objectif d’Écochard était aussi de préserver la vieille ville en poussant le développement de Beyrouth vers la banlieue. Sauf que Beyrouth est devenue une ville pays, ce que n’avait pas prévu l’urbaniste. La vieille ville a été détruite par la guerre et les quartiers limitrophes du centre, tel Mar Mikhaël, l’ont en quelque sorte remplacée. La banlieue nord s’est développée bien au-delà de cette limite. « Arrêtez de me charger de tous vos crimes urbanistiques », fait dire Sarkis à Écochard, soulignant que la réalité sur le terrain, la démocratie et le désir des citoyens doivent être pris en considération en amont de toute initiative de ce genre. Sans compter, ajoute-t-il, que la création de nouvelles voies routières, loin de décongestionner le trafic, l’augmente. « Arrêtez ce projet ridicule et obsolète, Beyrouth mérite bien mieux que cela », conclut-il. Rien à ajouter.

 

Nous n’avons toujours pas de gouvernement, nous ne savons même pas si les élections législatives auront lieu en temps voulu, mais une rumeur se confirme avec une urgence suspecte : 60 millions de dollars auraient été débloqués pour lancer les travaux d’une autoroute à livrer dans 3 ans, qui chevauchera entre autres le vieux quartier de Mar Mikhaël. Nous sommes bien loin du concept...

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