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À La Une - Témoignages

Entre Libanais et réfugiés syriens, des rapports complexes et fiévreux

De l’aveu même des chancelleries occidentales, le Liban ne saurait supporter davantage le fardeau de l’afflux des réfugiés syriens dont le nombre ne cesse de croître, atteignant bientôt près du quart de la population.

La plupart des réfugiés syriens arrivent au Liban démunis de tout. Les conditions socio-économiques précaires et déplorables dans lesquelles ils vivent sont souvent une source d’inquiétude et de friction avec les Libanais.

Le fouet du Libanais s’abat sur eux, implacable. C’est le sentiment qu’ils ont, réfugiés syriens venus au Liban non pas parce qu’ils ont envie d’y séjourner, mais parce qu’ils n’ont pas d’autre choix possible. La guerre aux portes de leurs maisons, les enlèvements, les tortures, les vols, la mort qui les menace avaient déjà pris cette décision pour eux. S’ils avaient eu le choix, les réfugiés syriens séjournant au Liban, en Jordanie, en Turquie, en Europe ou ailleurs n’auraient jamais quitté leur Syrie natale. En tout cas, avant la guerre, ils n’y avaient jamais songé.
Certains d’entre eux ont consenti à nous dire leurs maux, à nous transmettre leurs cris. Terrifiés par le Liban, ils pleurent leur Syrie.


« Quand je me réveille le matin, que je me trouve dans ce minuscule appartement, que je réalise que j’avais pensé quitter ma maison pour un moment, mais que cela va faire bientôt 11 mois que je n’y retourne plus, cela me rend folle ! Je n’ai même pas eu le temps de prendre mes affaires, les objets qui ont une valeur affective et sentimentale pour moi, je me sens dépossédée de tout ! » s’écrie Rachida, syrienne de 51 ans.


« C’est très cher chez vous au Liban, on ne s’en sort pas ! » souligne pour sa part Joumana, âgée de 41 ans.
Moustapha, 59 ans, lance quant à lui un cri de désespoir : « Les gens maltraitent le Syrien. Ils ne disent rien, mais ils répondent à mon bonjour en grognant ; leurs visages se ferment quand je m’adresse à eux. J’ai l’impression, à moi seul, de devoir subir toute la vengeance pour les années d’occupation syrienne du Liban. Mais moi, je n’ai rien fait ! Moi, je n’ai pas envie d’être ici, chez vous. Je suis humilié tous les jours, agressé verbalement parce que la plaque d’immatriculation de ma voiture est syrienne. Je suis insulté, les gens me doublent, me refusent le droit de passage, etc. Je suis payé le SMIC pour un travail de 13 heures par jour et je ne suis pas en mesure de renégocier ce salaire, sinon on me vire, et je sais que si on m’embauche ailleurs, ce sera pareil. Cet argent que je gagne suffit à peine pour les frais du loyer. »
Et d’ajouter : « C’est du racisme et de l’abus. Je le sais, j’en suis conscient. En dépit de cela, ces attitudes me font sentir que mon identité de syrien est en soi une honte. Un type m’a dit clairement lors d’un entretien d’embauche que même si j’ai toutes les qualifications nécessaires pour l’occupation du poste, il s’excuse de ne pouvoir m’embaucher. Cela pourrait gêner ses clients et ses autres employés. Les Libanais ayant des sentiments mitigés par rapport à la présence des réfugiés syriens, il préfère s’éviter les tracas. Je commence à me sentir dépossédé de mon humanité. Je veux partir d’ici. »


Henry, 25 ans, se plaint lui aussi de ce même sentiment d’exclusion : « Au travail, je ne suis pas traité comme tout le monde. Si j’arrive en retard le matin, je suis pénalisé alors que mes collègues ne le sont pas, et puis, je ne suis pas intégré aux membres de l’équipe, je les sens méfiants à mon égard parce que je suis syrien. »
Fadi, 23 ans, ressent une même gêne et a décidé, face à cette situation, de limiter autant que possible ses sorties de la maison : « Sans vouloir être parano, même s’ils ne disent rien, dans leurs regards je sens leur rejet. J’ai mal de devoir tout le temps gérer l’agressivité non verbale des Libanais à mon égard, même s’il est vrai qu’il y a des personnes gentilles, que tous les Libanais ne sont pas pareils. »

 

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Le témoignage des Libanais
Toutes ces plaintes, ces frustrations et ces appréhensions ont-elles réellement un fondement dans le vécu des Libanais concernant la présence des réfugiés syriens au Liban ? Pour tenter de cerner et de comprendre la réalité sur ce plan et la complexité de cette nouvelle donne apparue avec le flux sans cesse croissant de réfugiés syriens, nous avons interrogé des Libanais d’horizons divers.


Liliane, 30 ans, et Nour, 43 ans, se disent insécurisées. Pour Nour, « ils viennent en grand nombre ». « Les ouvriers syriens qui traînent dans les rues ont un regard vicieux, affirme-t-elle. Mes filles ont maintenant peur de sortir faire leur jogging sans être accompagnées. » Camille, 52 ans, demande à ses enfants adolescents de ne plus sortir seuls à la tombée de la nuit. « Il y a des Syriens maintenant, j’ai très peur pour mes enfants depuis ces affaires d’enlèvements ! » Depuis que les réfugiés syriens sont là, Zeina, 31 ans, et Jocelyne, 45 ans, habitant chacune seule, ferment les portes de leurs maisons à double tour la nuit.


C’est un même sentiment de peur qui s’est emparé de Nawal, 49 ans, qui affirme que désormais, elle a peur de rentrer seule chez elle en soirée. Joëlle, 56 ans, exprime elle aussi des appréhensions largement partagées et se dit inquiète par le nombre de personnes qui arrivent de Syrie. « Comment un si petit pays pourrait-il endiguer un si grand flux de réfugiés ? » souligne-t-elle, en relevant ainsi un point qui est évoqué non seulement par les responsables officiels, mais également par nombre de diplomates étrangers. Et puis, ajoute Joëlle, il s’agit pour beaucoup d’entre eux de personnes dans le besoin. S’ils ne trouvent pas d’emploi, de quoi seraient-ils capables pour se nourrir ? Je me sens insécurisée et je n’ai pas confiance dans la capacité de l’État libanais à gérer cette affaire. D’ailleurs, aucune mesure n’est prise. Et si, par ailleurs, parmi ces personnes-là, il y avait des éléments armés ? »


Même son de cloche de la part de Rachid, 45 ans : « La présence des réfugiés syriens me dérange et me pèse. Ils bénéficient de la protection du gouvernement libanais au détriment des Libanais eux-mêmes. Les réfugiés syriens continuent de poser un grand problème que nous ne pouvons plus supporter, ni financièrement ni socialement. »

 

 

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