Rechercher
Rechercher

Liban - Débat

La déontologie des médias, en manque de justice

Le séminaire « Justice et médias » organisé par l’ordre des avocats de Beyrouth a valorisé la coopération entre les deux terrains.
La charte de déontologie des médias, inexistante au Liban, le restera probablement longtemps encore. L’attention qui y est portée est quasi nulle, même (et surtout) chez les journalistes eux-mêmes, et si des efforts ont été tentés dans ce sens, ils n’ont jamais abouti. Pourtant, il ne se passe aucun séminaire sur les médias ou, d’une manière générale sur les libertés, sans que l’appel à une charte de déontologie ne clôture les débats. Conclusion commode, d’autant qu’elle laisse indifférents aussi bien les journalistes que les juristes.
Au second jour du séminaire « Justice et médias », organisé par l’ordre des avocats de Beyrouth, presque aucun journaliste n’a assisté au panel sur la déontologie, qui devait clôturer les précédents débats sur les rapports des médias avec les juges et les avocats. Pourtant, le débat aura apporté des idées concrètes, puisées dans les observations et les expériences des intervenants, qui ont valorisé « la puissance médiatique », tout en examinant les moyens de « la canaliser », pour reprendre les termes du modérateur du débat, le ministre démissionnaire de l’Information Walid Daouk. Cette puissance des journalistes relève moins de la tribune qu’ils détiennent pour exercer la liberté d’expression, que de leur capacité à en faire un usage souverain. C’est là seulement que l’exercice médiatique rejoindrait la finalité première de la justice : la vérité.

« Fragilisés dans le métier »
Les journalistes intervenants au débat hier, Gisèle Khoury, également directrice de la Fondation Samir Kassir, et Issa Goraieb, éditorialiste à L’Orient-Le Jour, ont tenté d’abattre la tendance (palpable chez certains avocats présents au séminaire, mais moins chez les juges) à réduire le journalisme à un outil politique.
En réalité, « le métier de journaliste a été complètement détruit par les années de guerre civile et les années d’hégémonie syrienne qui s’en sont suivies », a souligné Gisèle Khoury. En effet, si l’on ne peut prétendre être journaliste sans avoir de source d’information directe, « cette source, à l’époque de la tutelle syrienne, se limitait aux services de renseignements ». « De nombreuses informations fabriquées ont pu être reçues par le public, se transformant en rumeurs, qui ont mené à un assassinat », a-t-elle affirmé.
Ce schéma s’est transposé sur la scène politique actuelle de manière plus pernicieuse. « Il existe toujours des articles portant des menaces de mort », a souligné Gisèle Khoury. Renchérissant sur ce point, Issa Goraieb a donné l’exemple « d’articles signés par des pseudonymes et comportant des menaces même pas voilées contre Marwan Hamadé, ou encore un chroniqueur satirique de la télévision ».
Face à ces incitations au meurtre, « ni la justice ni le Conseil supérieur de l’audiovisuel n’ont cillé », a-t-il lancé à l’adresse du ministre Daouk, qui a d’ailleurs appelé à la substitution du ministère de l’Information par le CSA, en élargissant la marge d’action de ce dernier. Il reste que l’absence d’une autorité de référence, qui veille sur la protection de la parole libre, crée chez les journalistes un sentiment très grave « d’être fragilisés dans notre métier », a fait remarquer Issa Goraieb. Un sentiment qu’aurait pu apaiser une justice plus active. « Ce que je reproche surtout à la justice libanaise est de ne jamais se mettre en action elle-même. Il faut qu’on l’y invite », a-t-il ajouté, expliquant que « nous servons parfois à la justice des scandales, des rapports fiables sur des détournements et des irrégularités, mais la justice n’y donne jamais suite ».

« Le rêve qui tue »
Le désintérêt manifeste des journalistes pour une charte de déontologie, censée pourtant les protéger, signifie qu’ils bénéficient d’une autre couverture, « celle d’un parti politique, d’un service de renseignements mais aussi de leur confession », a constaté Gisèle Khoury. Loin d’elle l’idée de généraliser ses propos à tout le corps médiatique, elle a en même temps déploré la précarité des conditions d’exercice du métier, susceptibles, chez certains, de justifier leurs liens de connivence avec une autorité précise. D’ailleurs, Georges Saddaka, professeur à la faculté d’information de l’Université libanaise, intervenant au débat, a déploré l’écart entre la théorie liée à l’éthique et la pratique du métier. Même si aujourd’hui le journalisme « s’éloigne de l’information, libératrice par définition, et dérape dans la propagande », limitatrice et contraignante ; et même si « aucun grand média n’a les moyens de s’autofinancer » ; même si « la culture de l’éthique est absente », selon lui, il existe des journalistes qui vivent d’un rêve pour le pays, quand bien même « ce rêve peut les tuer, les marginaliser, les enfoncer dans la dépression », comme le relève Gisèle Khoury. Une charte de déontologie, susceptible de donner les moyens de ce rêve, devrait garantir le droit du journaliste d’accéder à l’information et d’obtenir des conditions de travail sûres, mais aussi le contraindre à respecter la marche des institutions, à savoir judiciaires, et surtout « la dignité de l’homme », qui résume tout, comme l’a souligné Antoine Messarra, membre du Conseil constitutionnel, dans son rapport final de la conférence.
Finalement, dans « cet équilibre entre pouvoir judiciaire et pouvoir médiatique », détaillé par l’avocat Wassim Mansouri, « la seule garantie de l’intégrité du journaliste et l’ultime autorité de surveillance de son travail est le journaliste lui-même ». C’est ce qui devrait donner au journaliste les moyens de briser certains tabous, comme évoquer les erreurs de l’institution militaire, ou encore de transcender « le bloc argent-politique-médias-intelligentsia », ce nouveau quatrième pouvoir, relevé par Antoine Messarra.
Notons enfin que le thème de la couverture médiatique des procès pénaux a été également abordé en profondeur hier lors d’un débat modéré par l’ancien ministre Bahige Tabbara et faisant intervenir Jean-Yves Dupeux, spécialiste du droit de la presse, Francois Roux, chef du bureau de la défense du TSL, ainsi que les avocats Alia Berti Zein et Naoum Farah.
La charte de déontologie des médias, inexistante au Liban, le restera probablement longtemps encore. L’attention qui y est portée est quasi nulle, même (et surtout) chez les journalistes eux-mêmes, et si des efforts ont été tentés dans ce sens, ils n’ont jamais abouti. Pourtant, il ne se passe aucun séminaire sur les médias ou, d’une manière générale sur les libertés, sans que...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut