La Commission d'enquête internationale indépendante sur la Syrie, mandatée par l'ONU, a affirmé lundi qu'elle "n'avait pas obtenu de résultats permettant de conclure que des armes chimiques ont été utilisées par les parties au conflit".
"En conséquence et à ce jour la Commission n'est pas en mesure de commenter davantage ces allégations", ajoute un communiqué qui apparaît comme un désaveu de déclarations dimanche à la presse d'un de ses membres, le procureur suisse Carla del Ponte, qui a parlé d'usage de gaz sarin par les rebelles.
Mme del Ponte, qui dans ses précédents mandats, notamment en tant que procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), s'était fait remarquer pour des déclarations radicales aux médias, avait affirmé dimanche soir en italien à la chaîne de télévision publique suisse du Tessin, avoir vu un rapport sur "des témoignages recueillis concernant l'utilisation d'armes chimiques, en particulier de gaz neurotoxique, par les opposants et non par le gouvernement". Elle avait parlé de "forts soupçons, de soupçons concrets" et estimé que ce n'était pas "surprenant" que les rebelles aient utilisé du gaz sarin "car des combattants étrangers se sont infiltrés parmi les opposants".
"Nous n'avons pas d'informations laissant penser que les rebelles en Syrie ont la capacité ou l'intention de déployer ou d'utiliser d'armes chimiques", a réagi un responsable du département d'Etat interrogé lors d'une conférence téléphonique à Washington à quelques heures du départ du secrétaire d'Etat John Kerry pour une visite officielle à Moscou.
Les Etats-Unis, où Barack Obama a fait de l'utilisation d'armes chimiques une "ligne rouge" dans le conflit syrien, avaient précédemment déclaré être parvenus à la conclusion "avec différents degrés de certitude" que les forces gouvernementales syriennes avaient utilisé du gaz sarin contre leur propre peuple. Mardi dernier, Barack Obama a toutefois déclaré que si les Etats-Unis avaient des preuves que des armes chimiques ont bien été utilisées en Syrie, ils ne savaient "pas comment elles ont été utilisées, quand elles ont été utilisées, ni qui les a utilisées".
Lundi, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a pour sa part indiqué qu’il y "avait un faisceau d’indices" de l’utilisation par les forces d’Assad d’armes chimiques. Ila également souligné que Paris a demandé avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada une enquête sur le sujet. "On enquête pour savoir si ces faisceaux d'indices sont des preuves", a-t-il déclaré.
(Pour mémoire : Washington reste prudent sur les armes chimiques syriennes)
La Commission d'enquête, dont le mandat s'achèvera en mars 2014, publiera son prochain rapport sur les violations en Syrie du droit international relatif aux droits de l'homme fin mai en vue de le présenter le 3 juin au cours de la prochaine session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU à Genève.
Le président de la Commission d'enquête, le juriste brésilien Paulo Sergio Pinheiro "rappelle à toutes les parties au conflit que l'utilisation d'armes chimiques est prohibée en toutes circonstances en vertu du droit international humanitaire coutumier".
Le régime de Bachar el-Assad et les rebelles se sont mutuellement accusé d'avoir employé des armes chimiques à trois reprises, en décembre près de Homs puis en mars près d'Alep et de Damas.
Déclarations irresponsables
Lundi, les déclarations de Mme Del Ponte ont surpris des spécialistes de ces questions. "Les affirmations de Mme del Ponte sont surprenantes car nous ne pensons que la Commission d'enquête dispose de preuves pour les soutenir. Dans le débat très controversé sur l'utilisation d'armes chimiques en Syrie, c'est simplement irresponsable de la part d'un haut responsable de l'ONU d'avancer de telles affirmations sans une base factuelle solide", a ainsi déclaré à l'AFP sous couvert d'anonymat un expert des droits de l'homme.
Les équipes de la Commission d'enquête, mandatée depuis 2011 par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, n'ont jamais reçu le feu vert de Damas pour entrer en Syrie. La Commission mène donc ses enquêtes en se rendant notamment dans les pays voisins de la Syrie, où ses enquêteurs interrogent des réfugiés, des victimes et des médecins notamment.
Une autre Commission d'experts a été mandatée fin mars par le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-Moon pour faire la lumière sur l'usage éventuel d'armes chimiques en Syrie, mais elle s'est vu refuser en avril l'accès au pays par le gouvernement syrien. "Une enquête exhaustive et crédible nécessite d'avoir un accès complet au site où ces armes auraient été utilisées", avait réagi M. Ban Ki-Moon appelant le 29 avril les autorités syriennes à autoriser "sans délai et sans conditions" cette visite.
Lundi, le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, a jugé "regrettable" le refus persistant de la Syrie de permettre à des inspecteurs de l'ONU d'enquêter sur le terrain sur l'utilisation présumée d'armes chimiques.
Le chef de l'Otan a lui aussi indiqué ne pas avoir "d'informations étayées sur qui a réellement eu recours à des armes chimiques", après les propos de Carla del Ponte. "L'usage d'armes chimiques est une violation des lois internationales, quelle que soit la partie qui les utilise", a-t-il réitéré.
Le sarin est un puissant gaz neurotoxique découvert à la veille de la Seconde Guerre mondiale en Allemagne et utilisé par une secte dans le métro de Tokyo en mars 1995, et qui avait causé la mort de 12 personnes.
Outre son inhalation, le simple contact avec la peau de ce gaz bloque la transmission de l'influx nerveux et entraîne la mort par arrêt cardio-respiratoire. La dose létale est d'un demi-milligramme pour un adulte. Il est inodore et invisible.
Une source informée a indiqué à l'AFP que les autorités turques ont fait procéder à des tests sanguins sur des réfugiés syriens blessés dans les combats en Syrie afin de déterminer s'ils ont été victimes d'armes chimiques. Les résultats des tests ne sont pas encore connus.
Abou Tarek, 74 ans, un officier de l'armée syrienne à la retraite, désormais
membre d'une brigade rebelle, prépare son propre masque à gaz,
assemblage d'une morceau de bouteille d'eau, de charbon, de coton, de gaz, de carton...
AFP PHOTO / MIGUEL MEDINA
Neutralisation
L'éventuelle neutralisation de l'arsenal chimique syrien suppose l'envoi d'une importante force militaire au sol ou des bombardements aériens aux conséquences incertaines, mais implique avant tout de disposer de renseignements fiables et complets, s'accordent à dire les experts.
"La première chose à faire est de savoir où les armes chimiques sont stockées et où se trouvent les sites de production. Ca semble évident mais ce n'est pas facile", assure David Kay, expert au Potomac Institute. Et selon cet ancien chef des inspecteurs de l'ONU en Irak, "plus le pays s'enfonce dans le chaos, plus cela devient compliqué".
Le plus haut gradé américain, le général Martin Dempsey, l'a reconnu devant le Sénat: sécuriser les armes chimiques syriennes serait ardu "tout simplement parce qu'elles sont déplacées et que les sites de stockage sont assez nombreux".
Pour Elizabeth O'Bagy, de l'Institute for the Study of War, "il est impossible de recenser tous les sites", dont certains sont camouflés ou souterrains.
L'arsenal du régime de Bachar el-Assad est estimé à plusieurs centaines de tonnes de gaz moutarde, de sarin et de VX. Neutraliser un tel arsenal, "même dans les meilleures conditions, requiert des effectifs très nombreux", simplement pour assurer une surveillance 24 heures sur 24 de chaque site et empêcher toute intrusion, explique David Kay.
Des troupes "peuvent être amenées à se frayer un chemin par la force jusqu'au site puis le protéger contre toute attaque potentielle pendant que les experts travaillent", abonde Michael Eisenstadt, du Washington Institute for Near East Policy.
Vêtus de tenues de protection, dotés de stations de décontamination, les spécialistes doivent ensuite trouver un moyen de neutraliser les agents chimiques en y ajoutant d'autres produits chimiques pour les rendre inertes ou les figeant dans un carcan de béton. Les incinérer suppose de les transporter dans des installations spécifiquement conçues pour cela.
Les opérations de neutralisation diffèrent, en outre, selon que l'agent est déjà ou non chargé dans un obus, une roquette ou un missile ou simplement stocké en vrac. La neutralisation prendrait quoi qu'il en soit "des semaines voire des mois", selon M. Eisenstadt.
Mais la volonté internationale d'envoyer des troupes sur le terrain semble très faible. Quant à la formation de rebelles syriens pour le faire, "ce serait une dépense massive de temps et d'argent", juge Elizabeth O'Bagy.
(Pour mémoire : Armes chimiques : les défis de l’enquête de l’ONU)
Le recours aux bombardements aériens semble donc vraisemblable. "Il y a quelques sites qui peuvent être sécurisés par des troupes au sol mais d'autres qui sont inatteignables et devront être bombardés", estime Michael Eisenstadt. Il y a alors le risque de dispersion du produit dans l'atmosphère, et "si les armes chimiques sont dans des sites de stockage d'armements, elles sont dans des bunkers, des munitions incendiaires ne serviraient à rien", note David Kay. Des bombes incendiaires pourraient en revanche être efficaces en cas de stockage à l'extérieur.
Et une fois bombardé, "comment s'assurer que les armes ont bien été détruites et qu'il n'a pas de fuite", s'interroge-t-il.
Une solution pourrait selon lui être d'interdire l'accès au site en bombardant ses alentours avec des bombes à sous-munitions, interdites par une convention internationale que les Etats-Unis n'ont pas ratifiée.
"On s'est penché sur le problème depuis les années 1990 et on a mis au point une série de munitions qui peuvent être utilisées" contre les armes chimiques, veut croire Michael Eisenstadt. La bombe BLU-126/B, qui comporte une faible charge explosive, pourrait ainsi faire s'effondrer les structures dans laquelle les armes sont stockées sans les détruire, détaille-t-il. La CBU-107, qui n'explose pas mais libère des centaines de pointes de tungstène, pourrait elle servir à percer des munitions, et ainsi provoquer des fuites d'agents chimiques interdisant l'accès du site.
Le problème est qu'"il n'y a pas de bonne option", juge David Kay. Et pour Michael Eisenstadt, de toutes les manières, "les vraies armes de destruction massive en Syrie sont les armes conventionnelles". Elles ont fait au moins 70.000 morts selon l'ONU depuis le début en mars 2011.
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commentaires (7)
les rebelles ont pris des stocks militaires ou il y avait des gazs, mais la communautée internationnal s'en fout, car elle est contre le régime, et les rebelles peuvent tout faire : attentats à la bombe, tortures,viols, exécutions sommaires, attaqués des égliles et des couvents, et il y aucune critiques , rien de rien, et qu'en j'entend les rebelles dirent "allah akbar" quand israel a bombardé , nous savons tous ce que cela signifie
Talaat Dominique
12 h 33, le 07 mai 2013