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À La Une - La chronique de Nagib Aoun

Pied de nez

Pays de paradoxes et de contradictions, évidemment que le Liban l’est. Pleinement, en pleine connaissance de cause et avec un brin de fierté aussi... Pays des folies furieuses mais aussi des rédemptions surprenantes, des reniements mais aussi des réconciliations qui ne durent que le temps d’un éphémère printemps.
Faut-il désespérer pour autant, se dire que l’exception libanaise n’est qu’un écran de fumée, un gros mensonge, mettre la clé sous la porte et fuir vers des cieux plus cléments ? Il y a bien sûr ceux qui ont quasiment tourné le dos au pays, largué les amarres et juré qu’on ne les y reprendra plus. Difficile de le leur reprocher : le passé leur donne pleinement raison et l’avenir risque fort bien d’être le duplicata de ce même passé qu’ils abhorrent.
Mais il y a aussi ceux qui ont pris le parti de la résilience, qui ont décidé de ne voir du verre que sa partie pleine, de parier sur le futur, dut-il être incertain, et de confronter les dépeceurs et autres charognards sur le seul terrain où ils sont forcément perdants, celui de la culture, du dialogue, du bénévolat, des échanges d’idées. En résumé, de l’acceptation d’autrui, qu’il soit un voisin tout proche ou un étranger venu de l’autre bout du monde.
Et là, il n’y a plus ni conflits intercommunautaires, ni clivages confessionnels, ni cette peur panique d’un hégémonisme surgi de la nuit des temps, ou d’une uniformité stérile qui annihile l’âme et détruit la raison.
Chrétiens ou musulmans, croyants ou athées, quelle importance alors ! L’engrenage n’est plus politique ou confessionnel, l’engagement n’est plus partisan ou aveugle. C’est de communion qu’il s’agit, d’une messe joyeuse où les derniers des justes, ceux qui s’obstinent à ne pas baisser les bras, officient dans la discrétion, en symbiose totale, loin, bien loin des envolées hystériques qui empoisonnent la vie quotidienne des Libanais.
Mais de qui est-il question là ? De quels oiseaux rares est-on en train de parler ? Tout simplement, et bien évidemment, de ces milliers de jeunes et moins jeunes de la société civile, des anonymes comme des personnes connues ou reconnues, qui livrent des batailles sur le fil du rasoir, perpétuant, contre vents et marées, une longue tradition d’abnégation et de volontarisme, n’ambitionnant que de préserver ce « petit quelque chose » qui fait que le Liban parvient à toujours sortir des tunnels du non-retour.
Une survie testée au jour le jour, un pied de nez aux fossoyeurs d’une libanité insubmersible recréée à chaque secousse sécuritaire, à chaque divorce politique. Une leçon de vie assénée à tous ceux qui ne carburent qu’au fiel des divisions et des règlements de comptes.
De qui parlons-nous donc ? De ces nombreuses associations qui consacrent tout leur temps à l’aide des plus démunis, au réconfort des enfants abandonnés ou atteints de graves maladies. De ces magnifiques organisations non gouvernementales qui répondent au premier appel, interviennent à chaque catastrophe, à chaque tragédie, et qui s’investissent sans compter, forts de l’enthousiasme de bénévoles animés de leur seul amour du prochain.
Comment ne pas rendre hommage à tous ces penseurs, universitaires et chercheurs qui multiplient les séminaires et autres forums pour maintenir l’enseignement à haut niveau, ouvrir de nouvelles opportunités aux étudiants, rester à l’écoute d’un monde externe qui évolue à un rythme étourdissant et sortir le Liban du gouffre où l’ont plongé les vaines querelles politiques.
Chapeau, aussi, à toutes ces femmes, à tous ces hommes qui, d’année en année, de difficultés en dures épreuves, réussissent à maintenir vivace le flambeau des traditions culturelles et qui, de Baalbeck à Byblos, de Beiteddine à Jounieh, dans de petites ou grandes agglomérations, véhiculent le message de vie d’une société civile qui refuse de se laisser marcher sur les pieds.
Les derniers des mohicans ? Peut-être, mais la preuve, assénée avec force, que de la nuit émerge toujours la lumière... celle de l’espoir.
Pays de paradoxes et de contradictions, évidemment que le Liban l’est. Pleinement, en pleine connaissance de cause et avec un brin de fierté aussi... Pays des folies furieuses mais aussi des rédemptions surprenantes, des reniements mais aussi des réconciliations qui ne durent que le temps d’un éphémère printemps.Faut-il désespérer pour autant, se dire que l’exception libanaise...

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