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À La Une - « The Lebanese Rocket Society »

Manoug Manougian, l’étoffe discrète des héros

Il aurait pu être le personnage d’un thriller ou d’un film d’aventures tant l’histoire qui a accompagné ses années de jeunesse est belle et rocambolesque, et le défi important. Manoug Manougian sera le héros... d’un documentaire, tout aussi passionnant, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige intitulé « The Lebanese Rocket Society », qui (re) met en lumière une période dont si peu de gens semblent se souvenir. La nostalgie n’est plus ce qu’elle était, et pourtant...

Photo d’archives du lancement d’une fusée dans les années 60.

L’homme, qui n’est pas revenu au Liban depuis une cinquantaine d’années, est à la fois touché et transporté par toutes les marques d’amitié et de respect que le pays lui offre depuis son arrivée, il y a quelques jours. Toute cette semaine, en effet, le talk of the town était l’événement qui a entouré la sortie du film de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, un hommage tardif, certes, mais qui a le mérite d’exister, à un homme et une équipe pour qui le ciel n’avait pas de limites.
Dans son pays d’exil, Manoug Manougian n’a cessé, depuis la fin des années 60, de raconter fièrement son rêve, devenu projet et aujourd’hui film, de construire une fusée aux couleurs du cèdre et de prendre part à la fabuleuse conquête de l’espace. Rien de militaire dans son envie, mais le désir d’un scientifique idéaliste, « on ne peut pas être l’un sans l’autre », souligne-t-il, professeur de surcroît, de partager avec ses élèves un défi fou et surtout de le réaliser.
Si le plus grand nombre de Libanais ont gommé cette page pourtant essentielle de leur petit pays qui osait se tailler alors une part dans l’échiquier international, Manougian, installé à Tampa, n’a rien oublié. Plus encore, il semble le « dernier des Mohicans », mémoire active de ces années-là, gardien d’un temple oublié, fier de brandir, plus de 50 ans plus tard, des centaines de photos, des films en super 8 et 16 mm, des coupures de presse et les unes de L’Orient qui avait largement couvert l’événement. L’histoire, recomposée pièce par pièce à travers de nombreux témoignages et une enquête de deux ans, a donc revu le jour grâce à l’effort des réalisateurs et leur talent.

Flash-back
L’« étrange histoire de l’aventure spatiale libanaise », également en titre du documentaire, démarre donc au début des années 60. Manoug Manougian, professeur de mathématiques à l’université Haïgazian, embarque un groupe d’élèves dans sa conquête de l’espace. Lui qui, enfant, rêvait, confie-t-il en souriant, de « monter à la Lune » avait un seul objectif : créer une fusée performante et la première au Moyen-Orient. « Mon but était purement scientifique. Je déteste les armes, les guerres et la violence, aime-t-il à souligner, inlassablement. Et puis je voulais que les jeunes puissent rêver et voir que tout était possible .» De recherches en essais, il faut construire la fusée, identifier les combustibles et les fabriquer ; dans le modeste labo de la jeune université arménienne, une première bébé fusée voit le jour, puis une plus grande. Cedar I, II, les lancements, alors ouverts au public, se font de Dbayé. Le moment est informel, amical et touchant. Mais pas que ça. Le projet est de plus en plus pris au sérieux. Tellement que l’armée libanaise et ses chercheurs décident d’aider ceux qui se sont réunis autour de la « Lebanese Rocket Society ». Le projet est financé par le ministère de l’Éducation, « ce qui correspondait parfaitement à la définition de notre travail et notre démarche », explique le professeur.


En 1963, avec Cedar III et IV, le président Chéhab applaudit la performance dans un monde en pleine guerre froide et un monde arabe en plein panarabisme. Le succès de la « mission » est accompagné de quelques problèmes : des voisins de plus en plus attentifs et inquiets, une fusée qui finit sa tajectoire aux frontières de Chypre frôlant un destroyer britannique, « je n’ai appris cela que bien plus tard », confie le professeur, une explosion qui dévaste le laboratoire de Haïgazian et blesse grièvement trois élèves, et enfin une récupération politique et militaire du projet. Manougian, qui n’avait pas encore achevé sa maîtrise en mathématiques, part en 1962, revient en 1964, pour finalement repartir terminer ses études à l’Université de Texas et s’installer définitivement aux USA. « Nous nous sentions tout le temps surveillés, confie-t-il, et nous l’étions. Souvent, je remarquais que les papiers que j’avais laissé traîner sur mon bureau avaient été consultés. » Avait-il peur de ces espions de l’ombre ? « Pas vraiment... Je n’avais rien à cacher. »


C’est ainsi que cessera le projet scientifique de « The Lebanese Rocket Society ». « Je ne voulais pas que les choses se poursuivent en mon absence car je ne pouvais plus contrôler la direction que ça allait prendre. J’ai préféré tout arrêter. »
« C’est une expérience inoubliable qui transforme une vie, conclut Manoug Manougian. Et je suis très reconnaissant à Joana Hadjithomas et Khalil Joreige de l’avoir ranimée. Je me suis prouvé que ce n’était plus juste un rêve mais un projet réussi. Et surtout, j’ai pu encourager mes étudiants à continuer – ils ont tous brillé dans des domaines scientifiques. C’est un peu ça mon métier, ajoute-t-il, les aider à devenir des rêveurs... »

 

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