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À La Une - Liban

Kahwagi à « L’OLJ » : À quoi sert-il de contrôler les frontières si l’intérieur tombe ?

Le général Kahwagi est un homme de terrain. Sa démarche, son attitude et ses propos laissent deviner une personnalité réaliste, simple, qui privilégie les analyses raisonnables et les données concrètes. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il tire aujourd’hui la sonnette d’alarme. Il est convaincu qu’il est possible pour le Liban de traverser cette période de séisme régional avec un minimum de répliques, si chacun assume ses responsabilités.

C’est justement là que réside, aux yeux du général Kahwagi, le problème. Les Libanais, en général, et, en particulier, la classe politique, l’État et les médias ont en tête leurs intérêts propres, sans réfléchir aux conséquences sur l’ensemble du pays. Il faut donc cesser, selon lui, de tout jeter sur l’armée, mais plutôt faire, chacun de son côté, ce qu’il faut pour épargner la patrie.


Dans son bureau où le soleil entre à flots, le général Kahwagi est en contact permanent avec les différentes unités déployées sur le terrain qui le tiennent informé des moindres développements. C’est d’ailleurs ce qui lui fait dire : « L’armée est déployée sur l’ensemble du territoire et si elle n’était pas présente sur le terrain, les incidents se seraient multipliés. » Au sujet de la récente agression contre les cheikhs, le général fait ainsi remarquer que l’armée a rapidement réagi et a réussi à arrêter les principaux coupables en un temps record. N’est-ce pas aussi grâce au Hezbollah et à Amal qui ont aussitôt levé la couverture sur les « voyous »? « Certes, répond-il, Amal et le Hezbollah ont coopéré, mais cela n’a rien à voir avec la rapidité de l’action de l’armée. Celle-ci a agi sans attendre. » Selon lui, jusqu’à présent, l’enquête montre que les coupables ont agi de leur propre chef en raison des tensions confessionnelles existantes. « Mais, ajoute-t-il, je crois qu’en définitive, nul ne veut plonger le Liban dans la guerre civile. Les différentes parties évoluent au bord du gouffre, mais se ressaisissent chaque fois que l’une d’elle est sur le point d’y tomber. Seulement, cela ne suffit pas. Il faut que tout le monde comprenne que la discorde confessionnelle, si elle éclate, brûlera tout le monde. » Pour l’instant, le commandant en chef de l’armée a le sentiment que toutes les parties ont peur de franchir le pas pour se lancer dans une aventure aux résultats non garantis. Il sait de quoi il parle, lui qui reçoit des responsables de tous les bords qui viennent lui demander la protection de l’armée. À tous, il donne la même réponse : « Mettez-vous d’accord sur n’importe quoi et dites-le. C’est ce qui fera baisser la tension dans la rue. » Malheureusement, une fois dehors, les différentes parties multiplient les déclarations enflammées, relayées par les médias, qui parfois d’ailleurs les provoquent, et la rue réagit.

 

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Le général Kahwagi affirme que lors de tous ses entretiens avec les représentants des pays occidentaux, États-Unis et Union européenne en tête, ceux-ci assurent qu’ils veulent la stabilité au Liban. D’ailleurs, ils concrétisent cette volonté en donnant des armes à la troupe. Certes, elles ne sont pas sophistiquées, mais elles permettent à l’armée de remplir sa mission. Les ambassadeurs arabes qu’il rencontre (notamment le saoudien) tiennent le même langage. Et le régime syrien ? « Je ne crois pas qu’une partie extérieure veuille l’explosion au Liban, répond le général. Mais cela ne signifie pas que nous ne devons rien faire. Le grand problème aujourd’hui est la tension confessionnelle extrême, aiguisée par l’implication dans les développements en Syrie et par la présence d’un grand nombre de Syriens au Liban, ainsi que par le fait que tout le monde possède des armes. C’est pourquoi les parties locales doivent faire preuve de prudence et de sens des responsabilités, le Liban n’étant pas isolé de son environnement. »


Justement à cet égard, le général Kahwagi insiste sur la nécessité de calmer la scène locale pour permettre à l’armée de contrôler les frontières. « À quoi me sert-il de contrôler les frontières, si l’intérieur tombe ? »
lance-t-il avant de préciser qu’il y a deux jours, des hélicoptères syriens ont lancé deux roquettes, l’une à 5 km à l’intérieur du Liban et la seconde à 3,8 km, dans des régions éloignées du jurd. Mais la localisation est faite sur la base des cartes libanaises, les Syriens ont peut-être des cartes différentes, ces zones de jurd étant revendiquées par les deux pays et les cartes ne sont pas précises. D’ailleurs, les autorités syriennes ont démenti avoir lancé des roquettes à l’intérieur du Liban. Par contre, hier, si des obus sont tombés, c’est parce qu’il y avait de violents affrontements dans cette région entre les soldats du régime et les combattants de l’opposition. Le commandant en chef de l’armée explique que la frontière du Nord est relativement calme, il y a certes des incidents mais ils restent limités. Par contre, dans la Békaa, du Nord jusqu’à l’Ouest, il y a des kilomètres de jurd, difficiles d’accès et quasiment incontrôlables.
À ce sujet, le général Kahwagi dément les informations parues dans la presse sur la mobilisation de 15 000 combattants prêts à entrer en Syrie à partir du Liban pour lancer une vaste offensive contre Joussy. Le général se demande où sont ces 15 000 combattants. « Il s’agit d’un nombre impressionnant, qui ne peut donc être caché.

 

Selon lui, il y a peut-être sur l’ensemble du territoire près de 5 000 combattants syriens qui pourraient recevoir des entraînements dans des endroits clos. Mais 15 000, c’est impossible. » De toute façon, il précise que le transfert d’armes et de combattants à partir des frontières libanaises n’est pas à comparer avec ce qui se passe à la frontière entre la Syrie et la Turquie, l’Irak ou la Jordanie. Il reconnaît que l’armée ne contrôle pas la frontière à cent pour cent et ajoute : « Si vous voulez qu’elle le fasse, cessez de l’épuiser à l’intérieur. » Au sujet de l’existence du Front al-Nosra au Liban, le général Kahwagi précise qu’il y a plusieurs groupes proches de l’idéologie d’el-Qaëda et donc du Front al-Nosra, comme Fateh al-Islam et d’autres. Ces groupes sont en général dans le camp de Aïn el-Héloué, mais ils ne constituent pas encore un phénomène inquiétant, notamment à cause de la diversité de la société libanaise.
Pour le général, le fait que la population libanaise possède des armes est un problème. Mais, selon lui, c’est l’État qui doit prendre une décision à ce sujet. L’armée ne peut pas désarmer la population s’il n’y a pas un ordre clair en ce sens. Il faut donc cesser de tout jeter sur elle. De plus, il n’est pas question, à ses yeux, « de démilitariser un quartier et laisser les armes dans les autres. Il faut que le gouvernement prenne une décision claire pour que l’armée puisse faire son travail, sans qu’elle soit accusée tantôt d’être avec un camp, tantôt avec l’autre ». Selon lui, ce sujet ne peut être débattu que dans le cadre de la conférence de dialogue, seule habilitée à prendre des décisions de cette importance.

 

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Le commandant en chef rejette les critiques qui lui ont été adressées après Ersal, assurant qu’il a agi avec sagesse et fermeté, car Ersal est une localité libanaise qui a donné à l’armée 600 soldats et la population y est à 80 % favorable à la troupe. Elle ne pouvait pas donc être traitée comme le camp de Nahr el-Bared. À Ersal, l’armée a déjoué le plan de discorde avec les premières accusations portées contre elle d’avoir avec elle des éléments du Hezbollah. Aujourd’hui, elle encercle la localité et attend avec patience que les personnes recherchées par la justice soient arrêtées. Il rappelle que cette tactique avait été utilisée à Brital pour arrêter plusieurs personnes recherchées par la justice et qu’elle a porté ses fruits, la dernière arrestation en date ayant été celle de Ali Masri. Il dément aussi les informations selon lesquelles le Nord serait devenu un fief de l’opposition syrienne, révélant qu’un tiers des effectifs de l’armée est déployé dans cette région.

 

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Selon lui, le rôle des médias, surtout audiovisuels, est considérable dans l’exacerbation des tensions confessionnelles. Il rappelle le rôle déterminant des médias dans la guerre du Vietnam, qui a d’ailleurs poussé les autorités américaines à interdire la publication des photos de la guerre en Irak qui pourraient être compromettantes pour l’armée. « Je m’adresse à tous, dit le général Kahwagi, aux partisans, aux gens armés, aux médias. Avant, la plus grande rixe se réglait par une gifle, aujourd’hui, elle commence avec une mitraillette... ». Il précise qu’avec ce qui se passe dans la région et la tension entre sunnites et chiites, la division libanaise peut devenir dangereuse, si l’on n’y prend pas garde. Il révèle à cet égard que chacun voudrait qu’il soit tantôt avec les chiites et tantôt avec les sunnites. Mais, lui, choisit d’être avec le Liban et il a la conscience tranquille. « J’agis selon mes convictions et ma conscience, déclare solennellement le général. Et les critiques qui me sont adressées me confortent dans mes choix. La preuve, c’est que l’armée n’est pas atteinte par le virus confessionnel. Mais il faut que chacun assume ses responsabilités. »

 

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