Nul ne s’attendait à voir la troupe traîner les pieds après l’ordre donné par le président de la République. La célérité mise à y répondre ne peut être que bienvenue, surtout qu’elle est assortie d’une double mise en garde adressée, dirait-on, aussi bien au pouvoir qu’à la rue. L’inquiétude transparaît à travers l’insistance mise sur les risques encourus et sur la gravité de la crise née le week-end dernier, fruit d’une série de maladresses dont tout le monde se serait volontiers passé, la plus grosse des erreurs commises par le raïs ayant été son recours à l’une des mesures les plus honnies de son prédécesseur : ce couvre-feu imposé dans les zones chaudes – d’ailleurs resté sans effet notable sur le terrain –, qui a gravement perturbé le mouvement des navires à travers le canal de Suez.
Coïncidence fortuite ou calcul délibéré des organisateurs (existent-ils ?), les troubles les plus graves se sont produits dans trois villes se trouvant le long de la voie d’eau : à Port-Saïd, sur la Méditerranée, à Suez, sur la mer Rouge, et, entre ces deux points, à Ismaïlia où une foule en colère avait mis le feu à la permanence du Parti de la liberté et de la justice, la formation politique des Frères musulmans. Avec le tarissement de la manne du tourisme, voici maintenant que se trouve menacé l’autre poumon, celui la navigation maritime. C’est d’ailleurs l’urgence économique qui a porté Mohammad Morsi à se rendre hier à Berlin pour une visite, écourtée en raison de la poursuite des troubles meurtriers, tandis qu’était reporté sine die le voyage à Paris.
Les Allemands, tout autant que les Français, les Britanniques et surtout les Américains, ne font pas mystère des hésitations que leur inspire la conjoncture égyptienne. Peu avant l’arrivée de son hôte, la chancelière Angela Merkel a fait savoir par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, combien la préoccupait le peu de progrès réalisé par la démocratie depuis la chute de Hosni Moubarak. L’ardoise du troisième partenaire commercial de l’Allemagne après les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite se monte à quelque deux milliards et demi d’euros dont un dixième, soit 250 millions, pourrait être effacé, à condition toutefois que soit donné à la normalisation un coup d’accélérateur – bien peu probable au vu des événements de ces derniers jours.
Or, surprise ! L’opposition vient de donner l’impression de vouloir se raviser en acceptant de prendre langue avec l’adversaire d’hier. Et, autre surprise de taille : le médiateur que nul n’attendait dans ce rôle est le courant salafiste, lequel ne pouvait laisser passer l’occasion de s’improviser ange salvateur. Il convient toutefois de se garder de tout excès d’optimisme : le président estime, avec cette bouée de secours inattendue, bénéficier d’un répit lui permettant de jouer sur la lassitude des manifestants ; Baradei et ses compagnons croient pouvoir se payer le luxe de « donner du temps au temps » ; et les islamistes ultras, qui voient loin, laissent les deux camps s’user à cette interminable et stérile passe d’armes.
Depuis 2011, la confrérie a remporté deux référendums, deux législatives et une présidentielle, sans pour autant parvenir à gagner la rue à sa cause. Au fait, quelle est donc cette cause pour laquelle se battent avec tant d’acharnement les Ikhwane ?
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