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À La Une - Patrimoine

Beyrouth : Permis de détruire, encore et encore...

À la rue Badaro, l’immeuble Antoine Medawar, « qui fut durant cinquante ans la résidence de la famille d’Amin Maalouf », a été démoli.

A Badaro, un quartier de Beyrouth, l’immeuble Medawar, où a résidé la famille de l'écrivain Amin Maalouf, a commencé à être détruit le 3 janvier 2013.

C’est un fait, prouvé un peu plus chaque jour : Beyrouth ne veut donner aucun avenir à son passé...


La destruction de l’héritage architectural continue et continuera de faire polémique au Liban. La faute n’est pas aux promoteurs mais au laxisme de l’État et des responsables ; à la passivité, l’incompétence et l’indifférence quasi absolue de l’Assemblée nationale, qui n’a toujours pas daigné légiférer sur la protection du patrimoine. En attendant Godot, on continue donc à abattre les vieilles pierres et couler la ville dans du béton, en prenant pour modèle les métropoles pétrolières. En 40 ans, on a détruit ce qu’on a construit en 150 ans.


À la rue Badaro, l’immeuble Antoine Medawar, racheté « très cher » par le Groupe Kettaneh Construction, a été démoli. L’opération a été faite en toute légalité, avec des permis de destruction accordés par toutes les instances concernées, signale Anis Georges Rubeiz, PDG du groupe, soulignant que cet immeuble n’a jamais été classé ou inscrit sur la liste des bâtiments à préserver.

 

Sauf que dans un premier temps, le ministre Gaby Layoun avait gelé le permis de détruire. Puis un juge a été saisi et la question soumise à une commission de quatre experts, qui ont fini par affirmer que l’édifice n’a pas un grand intérêt architectural, qu’il peut laisser la place à une nouvelle construction, ajoute M. Rubeiz.


Ainsi tous les hauts cris lancés par l’Association pour la protection du patrimoine libanais (APPL) sont tombés dans l’oreille d’un sourd. Or, assure Raja Noujeim, membre de l’APPL, dans une lettre adressée aux médias et cosignée par les architectes urbanistes Habib Debs, Georges Arbid et Leon Telvizian, l’immeuble Medawar « mérite d’être préservé à la fois pour son exceptionnelle valeur architecturale et urbaine, mais aussi et surtout au titre de l’histoire de Beyrouth. Car au-delà de l’évolution des typologies architecturales et des modes de vie, il a été un témoin privilégié de l’histoire culturelle et politique du Liban moderne. De plus, il fut durant cinquante ans la résidence de la famille d’Amin Maalouf, le premier Libanais à être entré à l’Académie française ».

 

Une photo de l'ancienne chambre d'Amin Maalouf. Photo Ziad Maalouf/Creative Common


Construit vers le milieu des années 1930 par un architecte de « grand talent » non identifié à ce jour, le bâtiment est « un très bel et rare exemple de syncrétisme entre les thèmes hérités de la tradition architecturale locale de la période ottomane et la modernité architecturale et quotidienne (couloir de distribution et de service, ascenseur sur paliers intermédiaires, etc.). L’immeuble est assez bien préservé pour redevenir avec éclat la figure de proue de tout un quartier ».

 

Vues de l'intérieur de la maison des Maalouf. Photo Ziad Maalouf/Creative Common


D’autre part, la construction Medawar fait « partie d’un quartier homogène, constitué de bâtiments résidentiels construits sensiblement à la même époque, témoignant de la même recherche de nouvelles solutions architecturales assurant la transition entre tradition locale et modernité. Préserver ce bâtiment, c’est permettre de sauver un élément d’architecture important et l’intégrité patrimoniale de tout un quartier. Cela contribuera aussi à la consolidation d’une mémoire commune, d’un axe culturel reliant le musée national, le musée du minéral qui sera bientôt inauguré à l’USJ, l’Institut français, le théâtre Beryte et Beit Beirut », ajoute Raja Noujeim.

 

 

Vues de l'intérieur de la maison des Maalouf. Photo Ziad Maalouf/Creative Common



Odette, la mère d'Amin Maalouf, et Hind, la soeur de l'écrivain, dans la maison

familiale de Badaro. Photo Ziad Maalouf/Creative Common

 

C’est donc un complexe immobilier qui va bientôt remplacer l’édifice Medawar. Le hic, c’est que demain, l’histoire risque de se reproduire, avec la destruction d’autres demeures et bâtisses anciennes dont la préservation devient chimérique. Le constat est en effet terrifiant. Partout, on continue à dilapider le patrimoine et réduire en poussière la personnalité d’une ville forgée dans un héritage illustrant près de deux siècles la mémoire sociale et architecturale de Beyrouth. Une ville décidément maudite.


En réalité, cette hémorragie ne dénote pas : elle est en harmonie avec le discours politique ambiant qui frôle le degré zéro, avec les dérapages sécuritaires et avec l’intense malaise social...

 

 

Pour mémoire

Les grandes dates de l’histoire architecturale du Liban, par Gebran Yacoub

  

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