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À La Une - Tribune

La tératogenèse de l’Égypte

Fiorello Provera est vice-président de la commission des Affaires étrangères du Parlement européen.

Le 15 décembre, le projet de Constitution de l’Égypte a été soumis à référendum, qui continuera le 22. Il y a un an, les Égyptiens étaient fous de joie à l’idée que la Constitution de leur pays refléterait enfin leurs espoirs et aspirations démocratiques. Et pourtant, le texte sur lequel ils sont appelés à s’exprimer a toutes les chances de réduire ces espoirs à néant et d’assombrir l’avenir de la démocratie égyptienne.
La rédaction du projet de Constitution a été faite à la hâte, sans l’apport des partis de gauche, des non-musulmans et des femmes, qui ont tous boycotté le processus à cause de la prédominance des islamistes. Les Frères musulmans, et surtout le président Mohammad Morsi, font le pari que le poids du vote islamiste sera suffisant pour rallier les « Égyptiens ordinaires » et que l’opposition n’aura que peu d’influence sur l’issue du scrutin.
Un conseiller politique du parti Liberté et Justice – la vitrine politique des Frères musulmans – s’est même vanté du fait que les Frères pouvaient aisément mobiliser 20 millions de partisans. Du point de vue des islamistes, les opposants qui manifestent depuis trois semaines dans les rues du pays ne seraient que des sympathisants de Moubarak.
La décision prise par Morsi d’élargir unilatéralement ses pouvoirs par décret le 22 novembre sous le prétexte douteux de défendre la révolution n’est pas une situation inédite pour l’Égypte. Une succession de présidents-dictateurs ont gouverné le pays, soumis à l’état d’urgence, pendant plus de quarante ans. Aujourd’hui que Morsi s’est incliné devant les pressions et a récemment annulé le décret par lequel il s’était octroyé des pouvoirs renforcés, hors de tout contrôle judiciaire, on peine à croire que les citoyens égyptiens étaient il y a peu prêts à faire taire leurs craintes et à penser que Morsi était disposé à gouverner dans l’intérêt de tous les Égyptiens.
Eric Trager, du Washington Institute for Near East Policy, a noté que le rôle joué précédemment par Morsi au sein du Conseil d’orientation des Frères musulmans jette un éclairage sur les motivations à l’origine de son attitude actuelle. Morsi a naguère défendu une plate-forme qui exclut les chrétiens de la vie politique et donne aux religieux islamistes un pouvoir de surveillance pour s’assurer que toutes les lois sont conformes à la charia. Il a également œuvré pour expulser du parti Liberté et Justice les jeunes membres qui exprimaient des points de vue dissidents.
Bien que le projet de Constitution protège certaines libertés, il porte atteinte à d’autres droits de manière préoccupante. L’article 11, par exemple, autorise l’État à « sauvegarder l’éthique, la moralité et l’ordre publics et à encourager un niveau élevé d’éducation et des valeurs religieuses et patriotiques ». Le flou de la formulation permet au gouvernement de l’interpréter à sa guise. La mosquée el-Azhar devrait en outre avoir un rôle consultatif en matière de législation islamique.
Les opposants politiques de Morsi n’ont pas tardé à réagir. Le 8 décembre, le Front du salut national (FSN), principale coalition d’opposition, a annoncé que le projet de Constitution « ne représente pas le peuple égyptien ». Les citoyens égyptiens ont également réagi rapidement et de manière viscérale aux agissements de Morsi, peut-être plus qu’il ne l’escomptait. Des grèves ont été lancées, des journaux ont cessé de paraître et la crainte d’une insurrection généralisée reste vive. Des centaines de personnes ont été blessées au cours d’affrontements dans les rues du Caire. Les partisans du président ont de leur côté déclaré que « défendre Morsi est défendre l’islam ».
Aujourd’hui Morsi semble en aussi mauvaise posture que le président syrien Bachar el-Assad. L’armée a établi des barricades autour du palais présidentiel et a reçu l’ordre de protéger les installations vitales de l’État jusqu’à l’annonce des résultats du référendum.
Les États-Unis ont revu leurs relations avec l’Égypte depuis le manque de réaction du gouvernement égyptien à l’attaque contre l’ambassade américaine en septembre dernier, un signe de la rapide détérioration des relations bilatérales. La principale priorité des Américains est aujourd’hui de s’assurer que le traité de paix entre l’Égypte et Israël soit maintenu.
De son côté, l’Union européenne ne peut pas se bercer d’illusions au sujet des ambitions de Morsi et du programme des Frères musulmans. La Politique européenne de voisinage de l’UE a fait des droits humains une pierre angulaire de sa politique étrangère à l’endroit des pays de sa périphérie. Et bien que le rôle de médiation joué récemment par Morsi entre le Hamas et Israël ait été inestimable pour éviter un grave conflit régional, les actions de son gouvernement mettent en péril les perspectives de coopération future avec l’Europe.
Aussi désireux que soit Morsi de pousser ses adversaires politiques dans la marge, l’Égypte n’est pas en mesure d’ignorer le reste du monde. Son économie est instable et elle dépend fortement du tourisme et des importations pour nourrir une population de plus de 80 millions d’habitants. Les coupures de courant et les grèves des services publics sont monnaie courante.
Le gouvernement égyptien doit pouvoir compter sur un financement extérieur régulier pour maintenir le pays à flot, une contrainte qui donne une marge de manœuvre à une opposition internationale qui souhaiterait aller à l’encontre des tentatives de Morsi d’imposer un programme contraire aux droits fondamentaux des Égyptiens. L’Égypte ne peut prospérer qu’en adhérant strictement au processus démocratique.
La crise constitutionnelle actuelle incite à se demander comment l’Égypte fera face à d’autres tests politiques à l’avenir. Les résultats du référendum fourniront sans doute une indication importante de la direction que pourrait prendre le pays. Adoptera-t-il un nouvel autoritarisme islamiste ou construira-t-il la démocratie pour laquelle les Égyptiens ont risqué leur vie ?

Traduit de l’anglais par Julia Gallin.
© Project Syndicate, 2012.
Le 15 décembre, le projet de Constitution de l’Égypte a été soumis à référendum, qui continuera le 22. Il y a un an, les Égyptiens étaient fous de joie à l’idée que la Constitution de leur pays refléterait enfin leurs espoirs et aspirations démocratiques. Et pourtant, le texte sur lequel ils sont appelés à s’exprimer a toutes les chances de réduire ces espoirs à néant et...

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