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Doha : attente interminable pour un résultat prévisible - Changement climatique

Doha : attente interminable pour un résultat prévisible

Le sommet de l’ONU qui vient de se tenir au Qatar s’est clôturé sur un accord « faible », selon la société civile.

Des manifestants de plusieurs ONG mondiales, la mine renfrognée, appellent les pays en développement à ne pas accepter de deal trop « faible ».

Les négociations sur le climat qui se déroulaient dans la capitale qatarie auraient dû être clôturées vendredi à 18h. Or le samedi à 7h, les visages aux traits tirés des délégués, des négociateurs et des membres d’ONG, restés éveillés toute la nuit, hantaient toujours les immenses couloirs du Centre de convention national du Qatar. 
Il n’est pas rare que les Conventions des parties (COP), ces sommets sur le climat qui se déroulent chaque année, soient prolongées de plusieurs heures, et le dix-huitième n’a pas dérogé à la règle. Toutefois, l’attente se faisait d’autant plus lourde que les résultats escomptés à Doha, même dans le meilleur des cas, ne seraient que très modestes comparés à ce qu’estime la science pour échapper à un monde de 4 à 5 degrés plus chaud qu’aujourd’hui. 
« La présidence qatarie n’a pas su créer l’enthousiasme autour de cet événement, affirme à L’Orient-Le Jour Waël Hmaïdane, président de “Climate Alliance Network” (CAN), un groupe de plus de 700 ONG. Contrairement à d’autres sommets de ce type, on sent, même auprès des délégations rencontrées dans les couloirs, qu’il n’y a aucun sentiment d’urgence, aucune énergie pour pousser ce processus à aller de l’avant. »

 

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Comme tous les autres représentants de la société civile, Hmaïdane affirme que le « package » que le président du COP, Abdullah el-Attiyah, a proposé aux parties (le brouillon final était déjà publié le matin) est peu ambitieux, manque de substance au niveau des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre – soupçonnés d’être à l’origine du réchauffement planétaire – et n’assure pas aux pays en développement, surtout les plus vulnérables d’entre eux aux changements climatiques, le financement nécessaire pour s’y adapter.


De fait, la colère se ressentait auprès des militants de la société civile (issus de plusieurs organisations) qui se sont postés, le matin, près de l’escalier menant vers l’immense salle où devait se tenir la séance plénière pour l’adoption des textes en gestation. Ils applaudissent aux négociateurs qui arrivent, surtout ceux des pays en développement qu’ils appellent à ne pas accepter un deal trop « faible ». Ils portent sur eux des slogans sur « l’équité perdue », la « justice bafouée », etc.


Meena Raman, de « Friends of the Earth », dénonce : « Le texte proposé par la présidence qatarie ne satisfait ni les ambitions nécessaires pour sauver la planète ni ne propose un nouveau financement pour les pays en développement qui n’ont pas contribué au problème. Les pays industrialisés sont venus les mains vides, comme d’habitude. Notre seul espoir est que les pays en développement tiennent bon et n’acceptent pas ce deal scandale. »
Mais tous les militants ne viennent pas de pays en développement. Brandon Wu, d’Action Aid aux États-Unis, reconnaît que son pays « continue de tout bloquer au niveau des négociations sur le climat ». « Beaucoup, aux États-Unis et ailleurs, ont espéré, avec la réélection du président Barack Obama, un tournant dans la politique américaine sur le changement climatique, dit-il. Or au cours de ce sommet, l’administration américaine n’a fait preuve d’aucun revirement significatif. Mais il y a de plus en plus de personnes dans notre pays qui font pression pour que cette position soit repensée. »

 

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 Les larmes du négociateur
Le sommet de Doha avait pour principale mission de proroger le protocole de Kyoto, seul accord légal contraignant pour la réduction des émissions à effet de serre, pour une seconde période. La portée de l’adoption de cette seconde phase n’est pas très significative puisque le nouvel accord ne couvre plus que 15 % environ des gaz émis dans le monde – les États-Unis ne l’ont jamais ratifié, le Canada s’en est retiré ainsi que le Japon et la Russie. Mais son adoption garde le processus de négociations vivant, et il est cher aux pays en développement puisqu’il consacre le principe de responsabilité historique des pays industrialisés dans le changement climatique.


Le sommet devait également clôturer les débats, souvent houleux, sur un autre processus qualifié de « coopération à long terme ». Et surtout, il devait lancer le processus d’adoption, d’ici à 2015, d’un accord (dont la forme n’est pas encore connue) bien plus contraignant pour les pays au niveau de la limitation des émissions de gaz à effet de serre, devant être appliqué dès 2020. Un quatrième texte porte sur le principe de « Loss and Damage » ou « pertes et dommages » (voir texte par ailleurs), prévoyant des compensations destinées aux sinistrés des catastrophes liées aux changements climatiques.


Au courant des négociations qui se sont prolongées durant la nuit de vendredi à samedi et jusqu’en soirée, plusieurs points ont retardé l’annonce finale des résultats du sommet. Le concept de « Loss and Damage » avait tout d’abord, selon les fuites, rencontré une farouche opposition de la part des États-Unis et d’autres pays industrialisés. Des témoins ayant passé la nuit au centre ont remarqué que le négociateur de la Barbade est sorti en pleurs de la salle, suivi du négociateur américain qui a passé un long moment avec lui. 
Mais samedi en cours de journée, c’est la question de « l’air chaud » qui empoisonnait le débat, ce surplus de quotas d’émissions de gaz à effet de serre hérités de la première phase du protocole de Kyoto, soit 13 milliards de tonnes équivalent CO2, détenus principalement par la Russie, l’Ukraine et la Pologne. Un droit de polluer en somme. Beaucoup de pays s’y opposent parce qu’ils considèrent que ce principe ne permet pas de réduire les émissions globales.

 Un dénouement impromptu
De ce fait, le blocage mené principalement par la Russie sur « l’air chaud » a retardé de plus de 24 heures l’annonce des résultats du sommet. Dans les couloirs du centre, le seul semblant de suspense qui venait tromper l’ennui a résulté des craintes de voir tout le processus s’effondrer et être ajourné de six mois vers un sommet alternatif organisé par l’UNFCCC. 
Les spéculations et les cafés successifs ont été brusquement interrompus, peu avant 19h, par l’apparition, sur les écrans, du président du COP, Abdullah el-Attiyah, pour annoncer que les négociations avaient abouti à l’adoption de l’accord proposé par la présidence. Devant un parterre de négociateurs souvent hilares mais apparemment soulagés, le président, avec son style bien particulier, a nommé les textes l’un après l’autre avant de déclarer sans ambages et sans attendre d’éventuelles protestations : « Il n’y a aucune objection, je décide que ce texte est adopté. »
Cette méthode bien particulière a provoqué une longue intervention du négociateur russe qui a protesté contre le fait que les revendications de son pays, qui reflètent aussi celles de l’Ukraine et de la Biélorussie, n’aient pas été prises en compte. « C’est la première fois que je vois un tel précédent », a-t-il dénoncé. « Les décisions adoptées reflètent la volonté des parties dans leur ensemble », a répondu M. el-Attiyah.


Pour la ministre française de l’Environnement, Delphine Batho, citée par l’AFP, « il fallait éviter qu’un seul pays bloque le résultat si difficile à obtenir au bout de ces 15 jours ». Par ailleurs, selon des habitués du COP, il arrive que la présidence tranche aussi brusquement le débat si l’opposition vient principalement d’un seul pays. Rappelons que l’adoption des textes dans le processus de l’UNFCCC se fait par l’unanimité, jamais par le vote. 

Une action climatique « enterrée dans le désert » 
À l’annonce des résultats, la réaction des ONG ne s’est pas fait attendre. Six grandes ONG, Action Aid, Christian Aid, Oxfam, Greenpeace, WWF et Friends of the Earth, ont publié un communiqué dénonçant le blocage politique des États-Unis, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Japon, de la Russie et de la Pologne, et le manque de leadership de l’Union européenne et de l’Australie. Dans un communiqué intitulé « Les négociations de Doha enterrent l’action internationale pour le climat dans le désert », les organisations dénoncent le manque de volonté politique des pays industrialisés, et la capitulation des pays en développement, obligés de se contenter d’un accord qui ne mène pas vers la réduction effective des gaz à effet de serre et le financement des besoins en adaptation ni n’assure une « transition réussie » vers un accord plus musclé pour 2015.


Pour sa part, le groupe d’ONG CAN a déploré que le résultat des pourparlers de deux semaines à Doha soit si éloigné du véritable enjeu imposé par le changement climatique, et mis en lumière par plusieurs rapports parus peu de jours avant le sommet.


Le très moderne Centre de convention national du Qatar s’est donc refermé sur un résultat aussi décevant que prévu. « Plus d’ambition, nous n’avons plus le temps », a-t-on souvent entendu dans les discours au cours de ces deux semaines. Sur les mines défaites des jeunes qui manifestaient sous la géante sculpture d’araignée au centre de l’immense bâtiment, l’espoir avait du mal à poindre.

 

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