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Présidentielle US 2012 - Le billet

Binders, Bayonets et Big Bird

Barack Obama et Mitt Romney. AFP / Saul LOEB

Ce soir-là, Sam ne prit pas de dessert. Pas par manque d’appétit, un dessert ne requiert pas ce genre de disposition, mais plutôt en raison d’une poussée d’angoisse. Le lendemain, il devait faire une présentation, devant sa classe, à 10 h. En bon étudiant, il n’avait pas écrit une seule ligne.
Ce retard n’était pas tant dû au sujet de la présentation, les grands thèmes de la présidentielle américaine en 2012, qu’à un agenda chargé cette semaine-là, entre dîner avec les amis, sortie cinéma et glandouille devant la télé.

Sam sauta donc le dessert, se dit que la vie était dure, posa son assiette sale sur une pile d’assiettes sales, se dit qu’il aurait dû rester plus longtemps chez papa et maman, s’installa à sa table de travail et se dit que maintenant il allait falloir s’activer un peu.

La présidentielle de 2012... Qui étaient les principaux candidats, tenta-t-il de se souvenir, en ne mâchouillant rien. La nature ne supportant pas le vide, une légère irritation emplit son esprit. 2012, c’était il y a 120 ans. 120 ans, une vie ! Quel était l’intérêt de ressasser ces vieilles histoires !

Il plaça son iris devant l’œil d’une webcam, l’ordinateur sortit de sa torpeur. Quand l’image d’un écran se posa sur le mur, Sam prononça les mots de sa recherche : « Histoire, euh, présidentielle, euh, États-Unis et 2012. »
L’ordinateur dit « merci », moulina dans la Toile, puis lui proposa une série de réponses qui s’affichèrent dans l’espace confiné de sa chambre. Il cliqua sur une entrée. « Ah oui, 2012, quand il y avait un Noir à la Maison-Blanche! »
Sa grand-mère lui avait raconté cette histoire, quand il était petit.

Il affina la recherche : thème de campagne.

Un énorme oiseau jaune, en trois D, prit forme devant lui. Il eut un mouvement de recul, le volatile était assez laid. Passé le premier instant de surprise, il requit une légende. « Big Bird », feula une voix synthétique.
Il lança une nouvelle recherche : « Big Bird et présidentielle américaine. » Un texte apparut. Puis un autre. Il lança une autre recherche. Bientôt, les murs de son antre furent couverts d’images et de mots.

Vers 3h du matin, le texte de sa présentation était prêt. Sam le relit une dernière fois :

« En 2012, les deux principaux candidats à la présidentielle étaient Barack Obama, un chrétien qualifié de musulman par une chanteuse et un milliardaire, et Mitt Romney, un mormon qui aurait pu être polygame mais se retint.

Les principaux thèmes de campagne sur lesquels ces deux hommes débattirent furent les suivants.

– +Big Bird+. Personnage d’une série télévisée pour enfants, diffusée sur une chaîne publique américaine qui n’existe plus. À partir de la présidentielle, Big Bird, un gros oiseau jaune, devient #BigBird, après être passé entre les pattes d’un autre oiseau, petit et bleu. Lors du débat, Mitt déclare que pour réduire le déficit national de 1,1 trillion d’anciens dollars et arrêter d’emprunter aux Chinois, il faut descendre le gros oiseau. En face, Obama prend la défense du volatile et propose d’ouvrir la chasse aux riches. Big Bird est un élément central de la campagne car il fait l’objet d’un message « approuvé par Barack Obama », donne lieu à un volume de discussion online rarement égalé et parce que sa musique est remixée par un certain William ayant pour habitude de ponctuer son patronyme.

– +Binder+, ou classeur, est le mot-clé du deuxième débat présidentiel. Dans la mémoire du Net, il apparaît sous la forme #bindersfullofwomen, classeur bourré de femmes.
Le classeur plein de femmes est l’arme brandie par Romney pour séduire les électrices, légèrement effrayées par les proclamations de ses camarades sur la contraception, le viol, la cuisine et l’avortement. Des déclarations dont l’archaïsme surprend, même replacées dans le contexte d’il y a 120 ans.

– +Bayonets +. Autre thème majeur de la présidentielle de 2012 : la baïonnette, et accessoirement les chevaux. Un attelage rebaptisé, pour l’occasion, #horsesandbayonets.
Ce thème est développé lors du troisième et dernier débat présidentiel, pendant lequel Romney présente une légère obsession pour le milieu aquatique. Un effet probable de la fatigue. Après s’être fendu d’un minicours de géographie romneysienne (+La Syrie est l’accès à la mer de l’Iran+), le candidat républicain dit vouloir autant de bateaux qu’en 1917. Dans un premier temps, Obama, sympa, livre des infos cruciales à Romney sur la marine, lui révélant qu’un porte-avions est un bateau sur lequel les avions peuvent atterrir et qu’un sous-marin est un bateau qui va sous l’eau. Puis, mesquin, il balance à Romney que la Navy n’a pas besoin d’autant de bateaux qu’en 1917, de la même manière que l’armée n’a pas besoin d’autant de chevaux et de baïonnettes qu’en 1916. S’ensuit une polémique sur les baïonnettes, mais pas sur les chevaux, ce qui peut surprendre, si l’on se souvient (cf. 1er paragraphe) à quel point le gros oiseau a fait débat.

Accessoirement, les candidats se sont également accrochés sur le fait de savoir qui avait le plus gros fonds de pension. L’on notera ici qu’avoir un très gros fonds de pension ne rend pas nécessairement un candidat sexy.

Pour résumer, une recherche dans les archives d’Internet montre que cette campagne s’est articulée autour de la lettre B, des animaux et des fournitures de bureau. L’on notera également que les candidats se sont bien gardés d’aborder les thèmes suivants : l’éducation, le réchauffement climatique ou les énergies renouvelables. »
Ce soir-là, Sam ne prit pas de dessert. Pas par manque d’appétit, un dessert ne requiert pas ce genre de disposition, mais plutôt en raison d’une poussée d’angoisse. Le lendemain, il devait faire une présentation, devant sa classe, à 10 h. En bon étudiant, il n’avait pas écrit une seule ligne.Ce retard n’était pas tant dû au sujet de la présentation, les grands thèmes de la...