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À La Une - Salon du livre de Beyrouth

Le Printemps arabe s'invite au prix Goncourt/Choix de L'Orient

« ...Et le gagnant est : “Rue des voleurs”, de Mathias Enard ».

Mathias Enard a remporté le prix "Liste Goncourt/Le Choix de l’Orient" pour "Rue des voleurs" (Actes Sud). Archives AFP

Le spectacle est inhabituel : côte à côte, les membres de la prestigieuse Académie Goncourt avec à leur tête la présidente, Edmonde Charles-Roux et 16 jeunes étudiants de 18 universités arabes, se prononcent sur « Le Choix de l’Orient » en matière littéraire. Beaucoup de clivages sont tombés : les différences de cultures certes, mais aussi, et non des moindres, l’âge qui ne compte plus. La parole est à la démocratie ! Note d’humour au tableau : Pierre Assouline commente le communiqué du jury. Il l’estime « lumineux » et demande qu’on le lui dédicace.


Rue des voleurs ne fait pas partie de la sélection du Prix Goncourt de mardi et pourtant, les membres de l’académie sont convaincus par les arguments des jeunes universitaires : la finesse psychologique du personnage, la dimension humaniste du message et la simplicité du style, autant d’ingrédients qui remportent les suffrages. Mais c’est surtout la primauté de la liberté par rapport aux liens familiaux qui a fait pencher les cœurs de ces jeunes vers l’ouvrage d’Enard.
Parce qu’il est « déboussolé », le héros du livre représente ces jeunes du « printemps arabe ». Maya Khadra, présidente du jury de l’USEK, souligne que « Lakhdar prône un nouvel humanisme arabe. Il est en quête d’une identité qui nous manque et dont nous avons vraiment besoin. Une identité qui est en péril à Damas et qui, au Liban, serait un assaisonnement à ajuster ». Un avis partagé par une étudiante de l’Université Aïn Chams d’Égypte : « Le roman revêt une dimension universelle puisqu’il évoque le déchirement identitaire dont souffre tous les jeunes du monde en quête de liberté. »


« Enard place la liberté plus haut que la religion », affirme une autre étudiante égyptienne pourtant bien voilée. Nous en avons marre des intégrismes arabes. Nous voulons la liberté à tout prix. Cet humanisme se résume dans le livre : “Je suis ce que j’ai lu ”... Nous ne voulons pas être les ouailles d’une religion ou d’une autre. »
Une étudiante de l’Université islamique de Beyrouth confirme le choix du livre lauréat : « Notre choix s’est fondé non sur le critère politique, mais surtout sur le facteur humain. »
Et lorsque un membre du jury estudiantin avance le « vœu » qu’un auteur d’origine arabe puisse figurer bientôt sur la liste des gagnants du Goncourt, Tahar Ben Jalloun intervient : « Un livre ne s’impose pas selon la nationalité ou le sexe de l’écrivain. C’est un choix strictement littéraire. »


Les discussions reprennent. La représentante de l’Université Jinan de Tripoli commente la fin du roman : « C’est une fin ouverte. Elle est au printemps. Tous les espoirs sont permis. » Son intervention ne fait pas l’unanimité. À l’Université Saint-Joseph, cette fin a créé une polémique : « Le héros a résolu la violence par la violence. Ce n’est pas une fin ouverte, mais un cercle fermé. La violence perpétue la violence. » Bien que ce héros soit un « antihéros », de l’avis d’une étudiante de l’Université libanaise, « nous nous identifions à lui. Nous vivons nous aussi dans un labyrinthe ! » Un commentaire de plus : « Lakhdar n’a pas fait un crime. Il a tué son pendant lâche, pris dans l’engrenage de l’endoctrinement. Ce n’est pas de la violence ! »


Pierre Assouline est admiratif du niveau de la langue et de la culture françaises de ces jeunes étudiants. Il loue leur capacité critique qui l’ « épate », leur lucidité, leur niveau de culture et de langue. Leurs « engueulades » aussi ! Autre cause qui suscite son étonnement amusé : le seul représentant du genre masculin était un étudiant de l’Université de Mossoul en Irak. « Quelle joie pour vous d’être le seul jeune homme parmi quinze femmes du jury ! » lui dit-il.
« Le livre d’Enard correspond bien à la sensibilité et à la finesse de l’Orient. C’est un conte que Shéhérazade aurait pu ajouter à ses mille et un récits ! » admet Didier Decoin.
Tahar Ben Jalloun apprécie le choix « formidable » des étudiants. Et Pivot d’ajouter en souriant : « Enard a déjà obtenu le prix des lycéens l’an dernier, celui des étudiants aujourd’hui. Il progresse en âge. Peut-être obtiendrait-il le Prix Goncourt des seniors l’an prochain ! »


Pour l’an prochain justement, le jury des étudiants espère la présence des représentants des universités de Palestine et de Syrie. Une pensée sincère est adressée à tous ces jeunes qui ont choisi de « résister encore et toujours par la culture ».
Le critique littéraire Iskandar Habache, à l’initiative de qui ce prix a été créé, est ému : « Ces jeunes m’ont appris à lire avec amour et non pas avec des préjugés. Et c’est de l’amour dont on a besoin dans le monde arabe. Pas de la violence. » Message entendu à... Gaza et à Damas.

 

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