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Présidentielle US 2012 - Tribune

« L’American Beauty » présidentielle

Ian Buruma enseigne la démocratie et les droits de l’homme à l’Université de Bard. Il est l’auteur de « Taming the Gods : Religion and Democracy on Three Continents ».

Quel est l’intérêt de tout débat présidentiel ? Dans le cas des élections présidentielles américaines, le terme de « débat » est quelque peu inapproprié. Lors du face-à-face entre l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, et le challenger socialiste, François Hollande, il y a véritablement eu débat – un certain nombre de discussions ayant eu lieu sur les questions de fond pendant plus de deux heures. Les débats présidentiels aux États-Unis, en revanche, s’apparentent davantage à des prestations scéniques, en préparation desquelles les réponses à toute possible question ont été répétées sans fin auprès d’équipes de coaches et de conseillers.


Les candidats présents au débat américain s’adressent à un public de journalistes soigneusement sélectionnés, qui exigent rarement l’approfondissement d’une question. De même, la performance des candidats est examinée bien moins sous la lumière de leurs arguments que sous l’angle de leur apparence, de leur langage corporel, de leurs tics faciaux, de leurs soupirs, sourires et rictus malencontreux, ou encore de l’inadvertance d’un regard jeté au ciel. Le candidat a-t-il l’air snob ? Apparaît-il comme quelqu’un de sympathique sur qui il semble que l’on puisse compter ? Les sourires esquissés paraissent-ils sincères ou hypocrites ?


Tous ces « éléments visuels » peuvent certes revêtir une grande importance. Après tout, n’a-t-on pas entendu que Richard Nixon avait perdu pour de bon son duel face à John Kennedy en 1960 lors d’un épisode télévisuel : Kennedy était apparu détendu et séduisant, face à un Nixon aux sourcils froncés par l’œil des caméras, et arborant une barbe naissante et transpirante. Lors de ses débats face à Ronald Reagan en 1980, Carter avait été perçu comme suffisant et sans humour, là où Reagan avait semblé l’incarnation même du vieil oncle sympathique et bienveillant. Carter avait finalement perdu la bataille.


En 2000, Al Gore n’était pas parvenu à prendre une décision quant au rôle qu’il entendrait jouer dans ses prestations face à George W. Bush, et avait pour cette raison paru sournois et inauthentique, jouant la carte de l’arrogance puis celle de la condescendance, pour encore ressortir la première. Ses arguments étaient meilleurs que ceux de son adversaire, ce qui ne l’empêcha pas pour autant d’échouer au jeu des « débats » (ainsi qu’aux élections).


Ainsi entend-on aujourd’hui que les débats de ce mois-ci entre le président Barack Obama et son challenger républicain, Mitt Romney, pourraient bien être décisifs dans la perspective de l’élection. C’est là, selon les experts, la dernière chance de Romney. Si Obama avait le malheur d’être perçu comme un professeur élitiste, il se pourrait bien qu’il perde. Quant à Romney, ses chances pourraient également s’envoler si jamais il se mettait en colère ou proférait une mauvaise blague. Encore une fois, la question n’est pas de savoir lequel des deux prône les meilleures mesures politiques ou formule les idées les plus judicieuses ; tout n’est qu’une question d’apparence.


Plus de 67 millions d’Américains ont assisté à ce premier des trois débats de l’année. Selon les sondages d’opinion, seuls 17 % des électeurs n’auraient pas encore fait leur choix quant au candidat à soutenir. Un pourcentage bien surprenant, compte tenu du fossé politique grandissant entre les deux principaux partis américains. En privé, Obama et Romney pourraient sans doute s’entendre sur de nombreux sujets. Seulement voilà, le Parti républicain a évolué très à droite du libéralisme modéré d’Obama, une évolution qui a entraîné Romney avec elle.


Il convient également d’évoquer cet important facteur silencieux que constitue le préjugé racial, un aspect sur lequel même les républicains les plus solidement ancrés à droite s’efforcent de ne pas se prononcer ouvertement. Un certain pourcentage d’électeurs américains se refuseront à voter pour un président noir, quelles que soit ses idées, et aussi séduisant qu’il puisse apparaître dans les débats.


Si les conceptions politiques et les idées reçues n’ont pas encore persuadé ces 17 % d’électeurs indécis, c’est sûrement que ces électeurs sont à la recherche de quelque chose d’autre. Ils attendent de savoir lequel des deux hommes ils préfèrent. Pour eux, peut-on supposer, ces débats ne sont rien de plus qu’un concours de personnalité.


Lors d’élections passées, quand n’existait aucune véritable différence politique entre démocrates et républicains, tout ceci pouvait revêtir un certain sens. D’une manière générale, sur les questions de politique économique et étrangère, les candidats étaient souvent en accord, les républicains certes un peu plus enclins à favoriser les intérêts des grandes entreprises, face à des démocrates en faveur de la défense des intérêts du travail. Il aurait ainsi été injuste de reprocher aux électeurs leur difficulté à faire un choix. N’étant pas en mesure de prendre une décision rationnelle, ils suivaient alors leur instinct et votaient pour le candidat qu’ils estimaient le plus sympathique.


Aujourd’hui, en revanche, il semble beaucoup plus difficile de justifier des choix aussi arbitraires. Les divergences politiques sont bien trop prononcées pour cela. Dans le même temps, il n’existe pour autant aucune raison de discréditer totalement ces concours de personnalité. Après tout, bien qu’étant une institution politique, la présidence américaine est également une institution quasi monarchique. Le président et la Première dame apparaissent comme le roi et la reine de la république américaine – véritables visages officiels que les États-Unis présentent au reste du monde.


Ainsi, il n’est pas totalement absurde que les électeurs entendent apprécier l’apparence de leurs présidents, loin des mérites des politiques proposées. Faire le choix de l’homme politique le plus puissant du pays sur la base de sa présentabilité sur le petit écran peut sembler arbitraire, voire frivole. Mais n’était-il pas, après tout, encore plus arbitraire de voir le caractère aléatoire des naissances déterminer autrefois le droit des rois et des reines de régner sur un pays tout entier?


Certes, la plupart des rois et reines d’aujourd’hui sont des monarques constitutionnels dénués de pouvoir politique. Et le choix de l’homme que les électeurs américains désigneront à la tête de leur pays affectera la vie de tout un chacun, et pas seulement celle des Américains. Étant donné que les non-Américains ne peuvent voter pour cet homme aux élections qui s’achèveront bientôt aux États-Unis (mauvaise nouvelle pour Obama, qui remporterait probablement haut la main l’élection si un vote international était possible), il va nous falloir nous en remettre au jugement des 17 % d’électeurs indécis qui regarderont la télévision ce mois-ci.


Pas tout à fait rassurant. Toutefois, la démocratie républicaine américaine revêt un certain mérite, qui fait défaut au sein des monarchies. Qu’il soit bon ou mauvais, le quasi-monarque peut être mis à la porte tous les quatre ans. Et la bataille électorale – en partie idéologique, en partie fondée sur un concours de beauté – de commencer à nouveau.

© Project Syndicate, 2012. Traduit de l’anglais par Martin Morel.

 

Quel est l’intérêt de tout débat présidentiel ? Dans le cas des élections présidentielles américaines, le terme de « débat » est quelque peu inapproprié. Lors du face-à-face entre l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, et le challenger socialiste, François Hollande, il y a véritablement eu débat – un certain nombre de discussions ayant eu lieu sur les questions de...