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À La Une - Feuille de route

La haine en direct

« La liberté religieuse a une dimension sociale et politique indispensable à la paix ! Elle promeut une coexistence et une vie harmonieuses par l’engagement commun au service de nobles causes et par la recherche de la vérité qui ne s’impose pas par la violence, mais par “la force de la vérité elle-même”, cette vérité qui est en Dieu. Car la croyance vécue conduit invariablement à l’amour. La croyance authentique ne peut pas conduire à la mort. »
Benoît XVI, discours prononcé au palais de Baabda, le 15/09/2012
Nicolas Bassil Nicolas, auteur du pamphlet/navet obscène sur le prophète Mohammad, peut s’enorgueillir d’avoir au moins un admirateur secret dans le monde, et pas des moindres : nul autre que le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah lui-même. Car l’on peut en effet entretenir avec une œuvre une relation paradoxale, mêlée d’amour et de haine. Mark David Chapman, l’assassin de John Lennon, maniaque de Catcher in the Rye, ou encore John Hinckley Jr, qui avait tiré sur le président Reagan pour les beaux yeux de la Jodie Foster de Taxi Driver, peuvent d’ailleurs en témoigner.
Le vulgaire « réalisateur » copte – qui a déjà sur la conscience l’assassinat inqualifiable de l’ambassadeur américain en Libye, Christopher Stevens, la mort de plusieurs autres personnes, et un réveil des vieux démons islamiques à l’égard de « l’Occident » – a en effet réussi hier un coup de maître : sortir le troglodyte patron du Hezbollah de son souterrain, insigne honneur que ni la visite, pourtant en tous points historique, du pape Benoît XVI, ni l’intérêt supérieur du dialogue national sous l’égide du président de la République à Baabda, ni d’ailleurs aucun autre événement local, régional ou international n’avaient mérité.
Que Hassan Nasrallah se soit senti offensé par ce pastiche insultant est tout à fait à son honneur. C’est d’ailleurs le cas de toute personne sensée, quelle que soit son appartenance religieuse ou communautaire, possédant un minimum de valeurs humaines et de respect pour les autres. Moins honorable en revanche est le venin qu’il s’est acharné à distiller dès dimanche soir sur les écrans de télévision à peine la visite du pape clôturée, dans une volonté manifeste de rappeler à toutes et à tous que c’est lui l’unique maître d’armes sur le terrain, et que la culture de la paix, prêchée par l’homme en blanc, ce n’est pas pour demain, et en tout cas certainement pas pour « la terre de la Résistance », à en croire les gentils calicots d’accueil disséminés par le Hezbollah pour accueillir le pape sur la route de l’aéroport de Beyrouth. Les « trois minutes de haine » de George Orwell (trois quarts d’heure en fait sur les écrans locaux), les Libanais y ont eu droit comme un uppercut en plein dans le visage, visant à les sortir de la blanche et douce torpeur faite de paix et d’harmonie dans laquelle le pape les avait plongés trois jours durant.
Il n’y a rien à dire : une aubaine est une aubaine. Si Nasrallah est sorti de son antre, c’est en raison de l’occasion inespérée de restaurer son image de marque, sérieusement écornée, depuis un an, par ses positions immorales et négationnistes sur le printemps arabe. C’est même à croire qu’il existe une connivence objective entre les mains occultes qui ont commandité ce film et les patrons iraniens de Hassan Nasrallah. En attendant, très prochainement, la surenchère des salafistes d’Ahmad el-Assir, le chef du Hezbollah a ainsi pu haranguer les foules au nom de la défense du prophète Mohammad contre ce fameux éternel « Occident » mythique arrogant et blasphématoire, s’intronisant, pour le compte du waliy el-faqih, et aux dépens de toute autre référence islamique, grand gardien des lieux saints. À l’échelle régionale, d’ailleurs, autant Israël que l’Iran ont bénéficié de cette manipulation sordide des masses arabes qui font encore l’âpre apprentissage de la démocratie après des décennies d’obscurantisme et de tyrannie dans les contrées fraîchement libérées du monde arabe. Les uns comme les autres ont pu ainsi mobiliser leur esprit de corps face à l’« ennemi » utile et intime.
Combien il aurait été utile pour les masses arabes enragées – notamment celles qui ont triomphé de « l’impérialisme américain » en s’attaquant au KFC à Tripoli – d’imiter cette ONG islamique qui, à Londres, a eu l’excellente idée de distribuer des centaines de Corans pour contrecarrer le film imbécile, au lieu de prendre les rues et de se chercher des bouc émissaires. Combien il serait judicieux aujourd’hui, au lieu de chercher à obtenir des résultats aléatoires qui limiteraient la liberté d’expression et ne déboucheraient finalement sur rien, d’utiliser les procédés démocratiques pour, d’une part, assaillir des centaines de milliers d’attaques en justice l’auteur dudit film et, de l’autre, promouvoir, par l’image également, le véritable message de l’islam...
Mais revenons à nos moutons et à nos renards. Le problème chez Hassan Nasrallah, c’est qu’il oublie qu’il participe, d’une manière directe ou indirecte, depuis deux ans, à un génocide perpétré contre l’islam en terre syrienne, avec destruction systématique, et sous les yeux du monde entier, de mosquées, et massacres à la pelle de fidèles. Mais l’image hier de la petite Fatima décapitée ne l’a probablement pas ému au point de se découvrir une moralité quelconque en Syrie, où ceux qui se font massacrer par Bachar el-Assad sont probablement des rebus du Prophète... Hassan Nasrallah oublie aussi qu’il porte atteinte à l’un des fondements de l’islam – l’exigence de justice – en refusant de livrer à la justice quatre de ses partisans soupçonnés d’avoir participé à l’assassinat d’un pilier du monde arabo-islamique, l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Face à ces faits éloquents, les grands sermons d’hier retombent bien vite, avec la légèreté d’une baudruche crevée, et la manipulation, la récupération est si grosse qu’elle ne passera pas.
Mais il ne faut pas se tromper. Le problème de fond dépasse de loin les tentatives risibles du Hezbollah de redorer son blason arabe et islamique par le biais de manifestations de masse. La seule sortie hier de Hassan Nasrallah « en personne » est une preuve que le Hezbollah est dans l’impasse aujourd’hui, maintenant que ses armes ont perdu toute leur symbolique dans les rues de Beyrouth en 2008 et même, apparemment, de Syrie depuis 2011 ; et qu’il est fondamental pour lui de se doter d’une rhétorique nouvelle pour compenser tout ce qu’il a perdu au cours des derniers mois, avec l’effondrement graduel d’un régime syrien désormais squelettique.
Le véritable problème est malheureusement de nature culturelle. Comment concilier, en effet, la leçon historique de philosophie de la liberté humaine et d’humanisme théocentrique, avec comme pivot la dignité inaliénable de la personne humaine, faite par Benoît XVI samedi à Baabda pour promouvoir la culture de la paix, avec cet insupportable discours de la haine, doublé d’une vision holiste et eschatologique de la société, dans laquelle l’individu pèse si peu en définitive... Un discours qui condamne inéluctablement le Liban et les Libanais à un cycle perpétuel de violence pour les siècles des siècles...
Un pape, c’est comme une éclipse : il faut attendre quinze ans pour qu’en vienne un prôner la paix et la fraternité en terre libanaise et inciter les Libanais à rêver de lendemains meilleurs. Car, le reste du temps, il leur est demandé de vivre dans l’éphémère et le provisoire, au rythme des boutefeux qui prêchent le martyre. Et c’est là le plus grand crime que l’on puisse commettre, contre toutes les religions, toutes les nations et tous les hommes.
Nicolas Bassil Nicolas, auteur du pamphlet/navet obscène sur le prophète Mohammad, peut s’enorgueillir d’avoir au moins un admirateur secret dans le monde, et pas des moindres : nul autre que le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah lui-même. Car l’on peut en effet entretenir avec une œuvre une relation paradoxale, mêlée d’amour et de haine. Mark David...

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