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À La Une - Révolutions

À Meerab, réflexions sur le rôle du Liban et des chrétiens dans le monde arabe nouveau

Les Forces libanaises ont organisé la première conférence d’une série de cercles visant à abattre les entraves, d’abord intellectuelles, à une implication entière des chrétiens dans la région en mutation.

La Vierge à Harissa, au nord de Beyrouth. Photo Emile Eid.

Réfléchir au « rôle du Liban dans la renaissance du monde arabe nouveau », c’est analyser, sous l’angle du dialogue interreligieux, la transition vers la démocratie dans toutes ses nuances, le rôle des minorités, indissociable de cette dynamique, et la contribution de tous les acteurs à une redéfinition des bases du modernisme.


C’est dans cette perspective que les Forces libanaises ont accueilli à Meerab une conférence sur ce rôle libanais, la première d’une série de cercles visant à abattre les entraves, d’abord intellectuelles, à une implication entière des chrétiens contre la survie des régimes autocratiques. C’est sur le « concept de l’État moderne civil » que l’ancien député Farès Souhaid s’est d’abord attardé, un concept « ancré dans le discours du printemps arabe et endossé aussi bien par les islamistes, les libéraux, les nationalistes que les tribus, et même les entités non arabes, telles que les Kurdes, les Berbères, ainsi que – naturellement – les chrétiens arabes qui ont intégré les révolutions en tant qu’individus non de groupes ». Faisant remarquer que ce concept d’État civil « n’est consacré par aucun texte constitutionnel dans le monde », le coordinateur du secrétariat général du 14 Mars en a fourni une définition. « Cette notion est l’expression de deux refus : le refus de l’État policier et celui des régimes absolutistes et totalitaires », a-t-il dit.

Fin du concept de l’islam politique
Il en déduit corollairement « le refus des théocraties, c’est-à-dire des régimes islamistes (...). En effet, le refus des dictatures, fussent-elles dissimulées sous des slogans de laïcité, implique un attachement certain à la diversité, non seulement religieuse et raciale, mais aussi culturelle, sociale, linguistique, politique... ». Une idée qui réapparaît dans l’intervention du sociologue politique Akram Succarié, évoquant « la chute du concept commun en vertu duquel l’islam est religion et État, comme le prouve la reconnaissance par les Frères musulmans eux-mêmes, en Tunisie, en Égypte et en Syrie, de la séparation de la religion et de l’État, en vue de l’édification de l’État civil ». L’État civil a ainsi mis un terme au concept de l’islam politique, et avec lui le concept même des minorités, selon M. Succarié.
Poussant sa réflexion sur une définition de l’État civil, Farès Souhaid a dégagé des deux refus de l’autoritarisme et de la dictature les deux éléments réclamés par le peuple : la liberté et la dignité individuelles (aux antipodes de l’État policier) et la liberté des collectivités (anéanties par les autocraties). « Mais de ces deux refus se dégage également une troisième négation : l’État civil n’est pas la laïcité telle que préconisée par le siècle des Lumières (...) et que résume le concept européen, d’État-nation, avec toute l’hostilité portée à la religion (...). Si l’expérience européenne a accordé sa liberté à l’individu, elle a toutefois marginalisé les appartenances collectives naturelles (...) », a-t-il souligné.

De l’État civil
Ainsi l’essence même de l’État civil adapté au monde arabe se trouverait-elle dans la réponse que pose le philosophe français Alain Touraine : « Comment vivre ensemble, égaux et différents ? » Au cœur de cette question, l’expérience libanaise, au niveau de laquelle Farès Souhaid s’attarde sur l’exemple avant-gardiste des maronites, « qui ont eu l’honneur d’initier l’idée du Grand Liban en tant que patrie de la coexistence islamo-chrétienne depuis 1920 (...). Cette perception d’une indépendance qui ne saurait se faire sans pacte national atteste de ce choix constant et entièrement volontaire de l’Église maronite, s’articulant sur deux rouages : la doctrine de la liberté et celle de la foi chrétienne, dont le testament implique de vivre avec l’autre et non de s’en écarter ». Il en découle deux textes fondamentaux puisés dans le Document de l’Église maronite et la politique : le paragraphe 37 appelant les chrétiens à constamment renouveler la formule de la coexistence et le paragraphe 44 qui définit l’État démocratique moderne comme la base de cette coexistence.


Mais le chercheur orientaliste Andrea Galliotti a poussé plus loin la réflexion sur l’État laïc et critiqué le modèle libanais actuel. Il a estimé que « l’ultime enjeu, non encore atteint, est d’atteindre un État non déterminé par aucune religion ou race, c’est-à-dire le refus de toutes les formes de confessionnalisme politique, qu’il soit explicite, comme au Liban, ou indirect, comme le présentent le discours nationaliste arabe et sa protection des minorités ».

« Est-il possible pour un prêtre de devenir combattant ? »
À côté des nombreux appels aux minorités d’abandonner, non pas leurs craintes légitimes mais leurs peurs démesurées pour leur avenir dans la région, c’est le témoignage ferme et réaliste de chrétiens, depuis le territoire syrien, qui semble le plus prompt à les apaiser. C’est là que s’inscrit le discours du père Paolo dall’Oglio, père jésuite ayant vécu les trente dernières années à 80 kilomètres au nord de Damas, au monastère désormais fameux de Mar Moussa, qu’il a réhabilité en espace de dialogue islamo-chrétien. Expulsé par le régime de Damas en juin, il est rentré au Vatican où il prépare la visite du pape Benoît XVI au Liban, qui promet d’être imprégnée par une nouvelle approche de l’Église catholique par rapport à la crise syrienne. Une approche qui dépasse le simple appel au dialogue et repense en profondeur « l’engagement chrétien social » dans la région. Intervenant via Skype à la conférence de Meerab, le père Paolo, observant un jeûne en guise de préparation spirituelle à la visite du pape au Liban, a estimé que le souverain pontife « sera accueilli par tous les chrétiens et toutes les communautés, au nom de la société que nous voulons défendre et construire (...), c’est-à-dire religieuse dans ses racines et ses principes, laïque dans ses décisions et ses choix ». Évoquant son passage à Achrafieh en 1978, où il avait caressé l’idée de porter les armes, devant les heurts confessionnels dont il avait témoigné, il a déclaré : « Mais est-il possible pour un prêtre de devenir combattant ? Je n’ai trouvé d’autre réponse à cette question que cette voix me répétant : je te veux pour une époque après cette époque, pour une opportunité qui succédera à celle-ci. » Cela a été le début de son ouverture au monde arabe, où il a compris que « le rôle des chrétiens est comme la jointure du genou : il n’y en a qu’une, au milieu de multiples os, mais elle est essentielle, à condition de rester une ».


Une autre approche concrète du rôle du Liban dans la construction de la démocratie régionale a été fournie par Rock Mehanna, doyen de la faculté de gestion de l’université La Sagesse, qui s’est attardé sur « la résistance économique » qu’évoquait Charles Malek au moment où l’État d’Israël venait de voir le jour.
Enfin, le rôle incontournable des médias, leurs armes et leurs défaillances, a été décrit par le rédacteur en chef du journal de la chaîne MTV, Ghayath Yazbeck, qui a estimé que la voie d’adaptation pour un journaliste aux changements actuels est « un soulèvement contre soi d’abord, afin d’acquérir la liberté, le professionnalisme et la culture plus que jamais exigés ».

 

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