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Culture - Événement

On a « bombé » le Beirut Art Center

Oui. Les murs blancs immaculés du Beirut Art Center sont « bombés ». De même que de nombreuses autres façades beyrouthines qui ont été prises d’assaut par une trentaine d’artistes libanais et étrangers, avec force tags et autres pochoirs. Le graffiti passe ainsi du macadam libre aux lumières d’un lieu notoire et institutionnalisé. On entend déjà les cris d’épouvante des puristes...

« This is not Art », écrit la sculpture faite à partir de scotch tape.

Chaque mur est accaparé par un artiste. Ou un collectif d’artistes puisque les graffeurs œuvrent souvent en groupe. L’on remarque également des collaborations entre les « peintres de rue » libanais et ceux, invités, de l’étranger. Le résultat varie amplement. Du dessin figuratif et abstrait au portrait géant, en passant par une nature morte (véritablement morte puisqu’elle représente un crâne) ou des calligraphies arabisantes, les couleurs et les coups de spray se multiplient et ne ressemblent pas. L’exposition déborde aussi en dehors du BAC, sur les murs des usines du secteur de Jisr el-Wati, mais aussi à Beyrouth ou l’on observe de plus en plus des façades taguées ou « bombées » (à l’aérosol)... À voir absolument et, pour cela, il faut garder les yeux ouverts. Mais kesaco, « White Wall », au juste ?


D’une part, le Beirut Art Center, l’un des hauts lieux de la culture à Beyrouth. La culture élitiste, à vrai dire, même cette appellation risque de faire grincer des dents.
D’autre part, le graffiti, art populaire, clandestin, engagé, révolté par excellence. Et, entre les deux, une fondation qui fonctionne comme un passeur de frontières entre ces deux pôles que l’on aurait tendance à croire injoignables (à tort, d’ailleurs, puisque l’exposition « White Wall » est là pour le prouver).
Autre schisme repérable le soir du vernissage entre les costards cravates et tailleurs très « executive à Wall Street » et les bermudas, bandanas et tee-shirts à messages des graffiteurs présents, très « occupy Wall street ».
« Le graffiti est un art pour le peuple et par le peule. C’est un art pour tout le monde », rétorque Tania Helou, directrice générale de la Fondation Saradar, qui coorganise l’événement nommé « White Wall », en collaboration avec le BAC et trois curateurs : Charles Vallaud, alias Prime (France), Don Karl, alias Stone (Allemagne) et Siska (Liban).
« C’est la première fois qu’une galerie accepte de prêter ses murs, ses blancs murs, aux peintures aérosols et brosses des artistes de rue », affirme Helou, « Mais le spectacle n’est pas seulement sur ces murs-là. Il réside ailleurs, là où il est censé être, c’est-à-dire dans la rue où il est né et s’est développé. » Il faut savoir que l’emplacement des interventions extérieurs est indiqué sur une carte disponible au BAC et sur l’adresse électronique suivante: www.whitewallbeirut.com.


« Qui n’a pas été interpellé par une inscription hâtive ou un dessin tout en couleurs sur un mur ? poursuit Hélou qui a consacré sa thèse de mémoire de master à l’USJ à l’analyse sociopolitique des graffitis de la guerre civile. Qui n’a pas essayé d’en déchiffrer le contenu? On peut en connaître le lieu, se souvenir de ce qu’ils disent, mais est-ce que l’on connaît ceux qui les ont créés ? Et la raison pour laquelle ils sont là-bas ? C’est quoi le graffiti et le Street Art ? L’exposition tente de répondre à ces questions-là. C’est pour cette raison que Marius Saradar Holding et la Fondation Saradar organisent, en parallèle à l’exposition, une table ronde pour discuter et décrypter le phénomène du graffiti et étudier son développement au Liban, de message de guerre à une forme d’art. »


Les murs de notre ville ne sont pas, en réalité, des murs vierges et immaculés. Ils sont plutôt troués de balles, amochés, décrépits par la pollution et, à force de collages, de posters ou autres affiches publicitaires qui sont venus remplacer les graffitis propagandistes et les portraits des martyrs des années de guerre. « C’est au milieu des années 90 que le graffiti, tel qu’on l’entend aux États Unis et en Europe, est apparu de manière très marginale dans l’espace public libanais », note Sandra Dagher, directrice du Beirut Art Center. « Les rues de Beyrouth ont vu naître de nouveaux artistes mêlant pochoirs caustiques, graffiti à l’occidentale et graffiti arabe ». Des inscriptions qui appellent à l’unité et détonnent ainsi avec celles au caractère sectaire de la guerre.


L’une des principales problématiques soulevées par l’exposition est de comprendre comment il est possible de ramener un art, par essence extérieur et ouvert, dans un lieu fermé comme le Beirut Art Center, sans trahir l’idiosyncrasie de cet art. « Alors que la première exposition de graffiti avait déjà eu lieu depuis 1976 à New York, organiser un tel événement reste un vrai défi », relève Sandra Dagher.


« White Wall » cherche à créer une interaction dynamique entre le graffiti, la ville et le BAC. Dans ce dernier, l’exposition durera deux mois. Puis la peinture blanche viendra effacer les dessins, ces œuvres d’art éphémères
Dans les rues de la ville, les graffitis dureront plus longtemps. Ou pas.
Siska, graffeur pionnier de la scène beyrouthine, également l’un des curateurs de l’événement, avoue que les artistes ont pris beaucoup de plaisir à « bomber » les murs du BAC. « L’énergie créatrice qui nous habitait était formidable, affirme-t-il. Ce que vous voyez là représente l’esprit à la fois calme et violent qui est en nous. » « Pour le graffiti à l’extérieur, il faut aller très vite. Entre dix, quinze minutes au maximum. Au BAC, nous avons pris notre temps. Les œuvres exposées ici ont pris entre trois et cinq jours de travail. En ville, il faut s’adapter à l’entourage, à l’environnement. À l’intérieur, l’intervention est plus spécifique, plus intéressante à d’autres niveaux. Et puis ici, il y a l’air conditionné », ajoute-t-il mi figue, mi raisin. Avant de reconnaître que « le graffiti est tout de même fait pour l’extérieur, pour la rue ».
L’artiste français Jules Dedet, alias l’Atlas, précise quant à lui que cet événement « à l’intérieur » permet, outre de souligner l’importance du graffiti, de montrer aussi les autres talents des artistes. « Certains font des sculptures, d’autres des installations vidéo ou encore des sculptures en bois. Le graffiti est du City Art et les musées représentent toujours ce qui se passe dans les villes. »
« Nous voulons, à travers « White Wall », souligner le fait que le graffiti est un moyen pour la jeunesse du monde entier de satisfaire un besoin d’expression qui est universel et qui transcende les différences culturelles », affirme le communiqué du BAC. De plus, cette « plate-forme entre les graffistes locaux et internationaux leur permet, outre de se rencontrer et d’échanger leurs expériences et leurs techniques, d’encourager les projets créatifs et les collaborations innovantes et d’offrir à des artistes connus et moins connus une exposition internationale ».
« White Wall », exposition sur laquelle nous aurons l’occasion de repasser, est là sans doute pour nous rappeler qu’il n’y a finalement pas de culture élitiste opposant une culture de masse. Il y a LA culture, dans toute sa complexité, dans toute sa diversité et certainement même dans toute sa difficulté mais aussi dans toute sa beauté. Une beauté qui s’imprime sur les sacs à main de Sarah’s Bags, exposés au BAC design.

 

Les rendez-vous

Aujourd’hui, vendredi 7 et demain samedi 8 septembre, à 18h, le collectif « Graffitimuseum » de Berlin mène une promenade commentée dans Beyrouth pour déchiffrer les messages et les images sur les murs de la ville (point de rencontre au BAC).
Mardi 11 septembre, à 20h au BAC, conférence sur la typographie arabe donnée par Pascal Zoghbi.
Mardi 19 septembre, table ronde organisée par la Fondation Saradar, sur l’évolution du graffiti au Liban avec Benoît Debbané, Nancy Siam et Tarek Chémali.
Au programme également des projections de films les mercredis 12, 26 et 24 septembre à 20h.

 

Les artistes participants

Aya Tarek (Égypte), Btoy (Espagne), Graffitimuseum (Allemagne), Inti (Chili), l’Atlas (France), Mark Jenkins (USA), Obetre (Belgique), Parole (Belgique), Reso (France), Tanc (France), Zepha (France). Du côté libanais : Abe, Ali, Ashekman, Ben, Dihzayners, Eps, Fish, Horek, K-Brit, Kimewi, M3alim, Oras, Pac, Phat2, Sens, Twik, Yazan et Zed.

Chaque mur est accaparé par un artiste. Ou un collectif d’artistes puisque les graffeurs œuvrent souvent en groupe. L’on remarque également des collaborations entre les « peintres de rue » libanais et ceux, invités, de l’étranger. Le résultat varie amplement. Du dessin figuratif et abstrait au portrait géant, en passant par une nature morte (véritablement morte puisqu’elle...

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