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À La Une - Reportage

Aujourd'hui, "Beyrouth fait peur" aux travailleurs syriens

Ces derniers jours, les travailleurs syriens se déplacent vers les régions chrétiennes du Liban.

Des ouvriers syriens au Liban. Photo archives

"Vous allez me prendre en photo ?". Moustapha hésite. Est-il sans danger, pour lui, concierge syrien au Liban, d'évoquer la situation "tendue" au Liban et en Syrie ? Une fois rassuré sur la possibilité de rester anonyme, il consent à témoigner. "Beyrouth nous fait peur", reconnaît cet homme âgé d'une quarantaine d'années, originaire de Deir Ezzor (sud de la Syrie). "Cela fait 10 ans que je travaille ici, je n’ai jamais eu tellement peur de me déplacer d’une région à l’autre", poursuit-t-il d’une voix mal assurée.

 

Le rapt, mercredi au Liban, d’une trentaine de Syriens, présentés comme des membres de l’Armée syrienne libre (ASL, rebelles), par le clan chiite Mokdad a provoqué une vague de panique parmi les travailleurs syriens présents sur le territoire libanais et un mouvement de cette communauté vers les régions chrétiennes du Kesrouane et du Metn.

 

Dans ce contexte tendu, Moustapha opte pour le camouflage. Ses cheveux, sa petite barbe de trois jours et ses yeux verts sont un atout pour brouiller les pistes. Mais pour plus de sécurité, Moustapha explique qu’il "fait des efforts" pour parler Libanais et se départir de son accent syrien.

 

Si l'affaire des rapts en série perpétré mercredi par les Mokdad pour obtenir la libération d'un des leur kidnappé en Syrie lundi a fait monter brusquement la pression sur la communauté syrienne au Liban, Moustapha a peur depuis un moment déjà.

 

"Il y a deux jours, avant même le début des rapts, je devais me rendre à Hamra (un quartier de Beyrouth) pour rencontrer un ami. J’ai hésité, j’avais peur de descendre, je ne veux pas laisser ma femme et mes enfants tous seuls, même s'il n’y a rien à craindre ici", renchérit Moustapha, qui officie dans le Metn (nord de Beyrouth). "C’est vraiment dommage d’enlever des innocents …", poursuit-il, assurant que malgré la peur, il ne compte pas quitter le Liban.

 

A quelques mètres de l’immeuble dont Moustapha a la charge, des ouvriers syriens travaillent sur un chantier depuis plusieurs mois. De loin, on ne voit qu’une dizaine d'hommes s'activer : certains transportent des matériaux, d’autres travaillent à l’intérieur du bâtiment en cours de construction. De plus près, l'on réalise que des femmes et des enfants syriens se sont installés dans le bâtiment. Il s'agit des proches des ouvriers syriens.

 

"Ils sont venus de Beyrouth hier, ils vont rester là pendant quelques jours, le temps de trouver un autre abri, loin de la capitale", raconte un des ouvriers qui ne souhaite pas donner son nom. "Ici, on est loin des problèmes, c’est calme et les gens sont accueillants", poursuit le jeune homme, âgé d'une vingtaine d'années.

 

Sami, marchand de légumes à Jal el-Dib, au nord de Beyrouth, partage les inquiétudes de ses compatriotes. "Je ne me suis pas rendu ce matin à l’aube au marché des légumes proche de la cité sportive de Beyrouth, je ne voulais pas prendre le risque", raconte ce ressortissant syrien d'une voix empreinte d'une certaine tristesse. "Tous mes clients, sans exception, m’ont proposé un abri, les habitants de cette région sont très accueillants", assure-t-il en souriant un peu.

 

"J’habite et je travaille au Liban depuis seize ans. Malheureusement, je sais que si je me trouvais actuellement dans la banlieue sud de Beyrouth (région à majorité chiite), les habitants n’auraient pas été aussi accueillants avec moi", poursuit-il.

 

Avec la crise, de nombreux travailleurs syriens commencent à se replier vers des régions chrétiennes, comme le Kesrouan ou le Metn, considérées comme plus sûres par les Syriens en ces temps agités. Leurs rapts, les membres du "bras armé" du clan Mokdad les ont perpétrés dans la Bekaa, à Aley et à Beyrouth. Mercredi soir, des travailleurs syriens ont également été harcelés par les familles des pèlerins chiites libanais enlevés le 22 mai dernier en Syrie, à Choueifat, au sud de Beyrouth, des régions où sont établis des Libanais chiites. Des régions dans lesquelles le Hezbollah, connu pour sa proximité avec le régime de Assad, est bien installé.

 

"Il y a de nombreux réfugiés syriens originaires d’Alep qui se sont installés ces derniers jours à Zalka, Jal el-Dib, Antelias et autres (régions à majorité chrétienne, ndlr). Ceux qui sont aisés ont loué des appartements et des voitures, ceux qui appartiennent à une classe plus populaire se sont installés dans des chantiers ou chez des amis", explique le marchand de légumes. "Ils n’osent pas sortir de ces régions après les événements survenus ces deux derniers jours… La situation est catastrophique", regrette Sami, originaire d’Idleb, dans le nord de la Syrie.

 

Idleb, où il ne rentrera pas pour la fête du Fitr. Sa mère le lui a interdit. "Les familles sont séparées, les enfants sont loin de leurs parents. On espérait que cela allait changer au moins pour la fête, mais il semble que la situation va de mal en pis".

 

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