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Liban - Éclairage

La logique des deux bastions et l’équilibre de la terreur

La remise en liberté de Chadi Mawlaoui hier par le juge d’instruction a été accueillie de trois façons dans les milieux politiques et populaires. Il y a d’abord ceux qui s’en sont réjouis, estimant que le jeune homme est un héros de la lutte contre le régime syrien et par conséquent il avait été injustement emprisonné par un service de sécurité allié à ce même régime. Il y a ensuite ceux qui se sont sentis soulagés, car la situation sur le terrain était devenue explosive et que cette relaxe ne pouvait que calmer un peu les esprits et faire baisser la tension. Enfin, il y a ceux qui ont été déçus, convaincus que le juge a cédé quelque part à la pression de la rue et au fait qu’un refus de la remise en liberté aurait pu entraîner une explosion de colère dans tout le Nord, mais qu’en réalité, pour préserver le calme, il a fallu sacrifier le prestige de l’État.


Quelle que soit la version des faits adoptée au final et l’issue de la procédure judiciaire en cours – qui doit se poursuivre à travers (en principe) la publication d’un acte d’accusation ou alors par le classement de l’affaire –, l’État et ses institutions ne sortent en tout cas pas grandis de ce rocambolesque scénario dans lequel le Liban est plongé depuis un peu plus d’une semaine.


Entre l’arrestation de Mawlaoui et la mort des deux cheikhs au Akkar, ainsi que la réaction violente des courants islamistes du Nord, proches de l’opposition syrienne, il est désormais probable que l’armée libanaise et la Sûreté générale ne pourront plus accomplir la moindre mission dans cette région. Que ces deux institutions aient commis des erreurs ou non, elles ne seront plus acceptées au Nord et c’est tout le prestige de l’État qui en pâtit. Plus grave encore, des députés de la nation ont défilé lundi à Biré au Akkar pour assister aux obsèques de cheikh Abdel Wahed, au milieu d’une mer de jeunes armés jusqu’aux dents, tirant en l’air et encadrant la foule, sans qu’aucun représentant des institutions de l’État n’y trouve à redire. Ceux qui sont assez vieux pour s’en souvenir le disent en toute franchise : ces images rappellent étrangement la période de la guerre civile, lorsque le pouvoir de l’État était pratiquement réduit à néant, au profit des communautés et de leurs milices. Plus encore, hier, Chadi Mawlaoui, au sujet duquel la justice ne s’est pas encore prononcée – puisque la décision de remise en liberté ne comporte pas d’attendus –, était accueilli en héros, et avait été transporté du tribunal militaire à Beyrouth jusqu’au siège de l’association de bienfaisance où il avait été arrêté dans une voiture assurée par des proches du ministre des Finances Mohammad Safadi. C’est dire le désaveu flagrant adressé indirectement à la Sûreté générale par un des symboles du pouvoir exécutif.


Qu’il y ait eu faute ou non, aujourd’hui le Nord est quasiment livré aux forces proches de l’opposition syrienne qui ne prennent plus la peine de cacher leurs armes. Ce qui donne lieu à des scènes irréalistes au Akkar, où l’on peut voir des éléments des FSI arrêtant des jeunes à moto sans licence alors qu’une jeep ayant à son bord des éléments armés passe à côté d’eux sans être inquiétée. Qu’elle l’ait voulu ou non, la zone tampon tant réclamée par l’opposition syrienne et qui n’a pu être créée à la frontière syro-turque ou encore à la frontière syro-jordanienne est en train de se réaliser à la frontière syro-libanaise. L’armée libanaise, qui jusqu’à récemment continuait à arrêter des voitures bourrées d’armes ou même des navires, ne peut plus agir dans toute cette zone. Et ce ne sont pas les remerciements adressés par Mawlaoui et ses partisans au Premier ministre Nagib Mikati ou au ministre des Finances Mohammad Safadi qui vont changer la donne.


D’ailleurs, de plus en plus de voix se font entendre dans la région pour affirmer que désormais, les sunnites ont leur région forte, face à la banlieue sud des chiites. Et tout comme les services de sécurité n’ont pas pu arrêter les personnes réclamées par le TSL, les islamistes arrêtés doivent aussi être relâchés et Mawlaoui n’est que le début de la série. Pour certains, la première réaction est bien sûr de se réjouir, sous prétexte que c’est la logique du Hezbollah qui a abouti à cette situation. Mais la réalité est bien plus grave. Il ne s’agit plus de marquer des points contre une partie rivale ou adverse, mais de préserver les institutions de l’État, alors que dans plusieurs pays de la région, le chaos est quasi total. De plus, la logique du « bastion sunnite contre le bastion chiite » est destructrice pour le pays en général et pour les chrétiens en particulier qui ne peuvent que faire les frais de cette polarisation extrême qui instaure une sorte d’équilibre de la terreur, prélude à la confrontation tant redoutée entre les musulmans. Déjà certains appels sont apparus sur Facebook pour réclamer un système fédéral, comme si le repli de chacun sur sa communauté et, par conséquent, le divorce avec la nation qui rassemble pouvait constituer la meilleure protection pour les Libanais.


En quelques jours, et dans l’inconscience d’une classe politique qui n’a d’yeux que pour les élections législatives, le pays est en train de basculer dans un scénario du pire. Il n’y a plus qu’à miser sur un contexte international plus apaisant pour calmer de nouveau le jeu. Si comme le prédisent certains spécialistes, la réunion entre les représentants de l’Iran et ceux des 5 plus 1 à Bagdad aboutit à des résultats positifs notamment au sujet d’un règlement politique de la crise syrienne, on peut encore espérer que ce climat positif rejaillisse sur le Liban. Mais s’il faut compter sur les Libanais eux-mêmes...

La remise en liberté de Chadi Mawlaoui hier par le juge d’instruction a été accueillie de trois façons dans les milieux politiques et populaires. Il y a d’abord ceux qui s’en sont réjouis, estimant que le jeune homme est un héros de la lutte contre le régime syrien et par conséquent il avait été injustement emprisonné par un service de sécurité allié à ce même régime. Il y...

commentaires (13)

TEHINI, d’accord avec vous aussi mais, c’est comme pour les enfants : vous ne pouvez pas permettre à l’un d’entre eux de faire des Bêtises, et vous permettre après ça de prétendre vouloir à tout prix appliquer strictement la loi uniquement à l’autre pour l’empêcher de faire ces mêmes Bêtises !

Antoine-Serge KARAMAOUN

03 h 24, le 24 mai 2012

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Commentaires (13)

  • TEHINI, d’accord avec vous aussi mais, c’est comme pour les enfants : vous ne pouvez pas permettre à l’un d’entre eux de faire des Bêtises, et vous permettre après ça de prétendre vouloir à tout prix appliquer strictement la loi uniquement à l’autre pour l’empêcher de faire ces mêmes Bêtises !

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    03 h 24, le 24 mai 2012

  • KARAMAOUN, vous avez tout raison. mais si on on a déjà des problèmes avec une bande d'illuminés du turban, cela ne justifie aucunement qu'on laisse la situation se dégrader avec une autre bande. d'après mes connaissances (limitées, je l'avoue), l'armée et l' état protègent le peuple, et mettent des limites à ne pas franchir, et ce dans tous les pays du monde. Il n'y a qu'au Liban que ces deux ont le don de s'écraser

    Tehini Michel

    17 h 47, le 23 mai 2012

  • SUITE… Ainsi, "la zone tampon réclamée se réalise à la frontière. L’armée, qui continuait à arrêter des voitures bourrées d’armes ne peut plus agir dans cette zone.". Et pourquoi continuerait-elle à le faire, si au même moment on ne lui permet pas de faire de même dans les régions du hézébb ! Œil pour Œil et "zone tampon pour zone tampon" si c’est comme ça ; et ce n’est pas des "vérités" de la palisse qui vont changer la donne ! Puis, "sous prétexte que c’est la logique du Hezbollah qui a abouti à cette situation, mais il ne s’agit plus de marquer des points mais de préserver les institutions.". Ah bon ! Encore un réveil de "somnambules Noirauds" ! Quand c’était HARIRI qui représentait "ces institutions", ça pouvait passer ; mééchélhhâl ; mais à présent que c’est eux qui ont en main ces "institutions-là", ça ne marche plus mahéék ! Ma parole, ils prennent les gens pour QUI ou quoi ?, "ces gens-là" ! Et pour terminer n’est-ce pas : "Si comme le prédisent certains spécialistes !?!?, (mais quels spécialistes !?!?), la réunion entre l’Iran et les 5 plus 1 aboutit à des résultats positifs au sujet de la crise syrienne, on peut espérer que ce positif rejaillisse sur le Liban.". Eh bien, ce n’est que quand les "Indigènes" d’en deçà la Méditerranée jusqu’à l’Indus auront de nouvelles dents : que ça "rejaillira" ! On ne peut pas en dire plus ni RIEN ajouter en effet à cet effet ; ya hassérté !

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    09 h 39, le 23 mai 2012

  • Excellente analyse qui prouve encore une fois que le pays devient unique en son genre et se consacre à devenir de nouveau une vraie ferme ou le chaos au nom de la religion sera roi .Et plus , pour ceux qui aiment l’ histoire il est devenu comme du temps des ottomans ou il suffit à toute personne poursuivie en justice de sauter à son clan et devenir un héros . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    09 h 22, le 23 mai 2012

  • Ainsi "l’État ne sort pas grandi de ce scénario dans lequel il est plongé depuis une semaine.". Pourquoi en semaines ? Le "scénario !" de l’assassinat de Samer Hanna ne date pas d’il y a une "semaine" quand même ! Puis, "l’armée ne pourra plus accomplir sa mission dans cette région.". Le Nord quoi… Pourquoi, dans "Les Régions" du Hézébb, est-elle en train de l’accomplir ! Et, "des députés ont défilé aux obsèques au milieu de jeunes armés sans qu’aucun représentant n’y trouve à redire.". Ah bon ! Parce qu’à contrario, chez le hézébb on défile en gros avec des brindilles d’oliviers à ce que tout le monde déjà le sait à ce qu’il parait ; ya hassérté ! Encore, "ceux qui sont vieux le disent : ces images rappellent la guerre civile.". Et faut pas remonter si loin, il suffit de vouloir voir mahéék, ce qui se fait dans les régions du hézébb depuis lors ! Puis, "Mawlaoui était accueilli en héros, et transporté dans une voiture. C’est dire le désaveu adressé à la Sûreté générale.". Bien sûr, c’était mieux quand le hézébb fait de même mais en 4x4 n’est-ce pas ? Ça fait plus Classe ya harâm ! En plus, "ce qui donne lieu à des scènes irréalistes, où l’on voit des FSI arrêtant des jeunes à moto alors qu’une jeep ayant à son bord des éléments armés n'est pas inquiétée.". C’est pas vrai ! On dirait qu’on n’avait jamais vu ça à Dâhhiyééh ! Ya hassérté.

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    07 h 00, le 23 mai 2012

  • L’armée Syrienne soeur doit absolument venir envahir la chambre de son petit frère. Les Syriens, comme l’on s’en souvient, se font rarement remarquer quand ils passent la frontière. Ils font leur besogne et se retirent en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « annexion ». Le seul problème, c’est que GMA (chef suprême des patriotes d’Offenbach) n’acceptera jamais que l’armée d’Assad pénètre en territoire Libanais. L’on peut facilement prévoir que lui qui a déclenché une guerre de libération à la fin des années 80 pour « secouer le clou » aura la consistance qu’on lui connaît pour refuser tout net un tel scenario. Cela ne sera d’ailleurs pas nécessaire puisque cela fait déjà plus d’un an que Bachar a gagné.

    Jack Hakim

    05 h 01, le 23 mai 2012

  • Merci de votre précieuse analyse Mme Haddad, qui comme toujours "forge" l'admiration! Faut-il comprendre que si notre armée, à cause des éternels divisions des enfants du cèdre, n'arrive pas à empêcher que le nord de notre pays se transforme en zone ouvertes aux bandes armées de tous poils (de barbe), de tous bords salafo-wahhabites, en une zone de lancement pour les bandes armés contre les institutions Syriennes en place, alors quelqu'un d'autre viendra faire le nettoyage chez car nous montrons notre incapacité de ne pas nous immiscer directement dans les affaires très délicates intérieures d'un pays voisin indépendant, ami et frère. Faites vos jeux, messieurs, rien ne va plus!

    Ali Farhat

    04 h 55, le 23 mai 2012

  • Mâme Scarlett...belle analyse.C'est en effet le bordel le plusb total...et même si vous minimisez,en quelque sorte,la part de responsabilité du Hezb dans la genèse de cette situation(je dis bien la part,pas la responsabilité),vous la constatez...et mieux encore,vous dites ce qui n'est que la vérité,à savoir que toute attitude strictement communautaire appelle son pendant en retour...vous lettez en garde contre la tentation "féderaliste",ce qui est juste et bon...à part que nous y sommes presque,n'est ce pas?Il fallait quand même être aveugle (pas vous,nos impoliticiens),pour ne pas voir qu'on y allait tout droit,à cette situation,non?Mais il reste une inconnue,et elle est de taille...parceque le peuple libanais existe,quand même...et il n' a pas envie que çà recommence...c'est à ce peuple qu'il faut désormais s'adresser,et c'est à lui de de s'adresser de son côté à ses impoliticiens pour leur dire bass baa....khalass...,non?ceux qui pour des raisons ou d'autres n'ont pas voulu régler la problème de l'assassinat de M. Hariri,se pensant omnipuissants,portent une responsabilité écrasante dans cette affaire...et pens

    GEDEON Christian

    04 h 24, le 23 mai 2012

  • Eclairage objectif de Mme Haddad. Oui, c'est évident, il s'agit d'"un bastion sunnite contre le bastion chiite" que le Hezbollah a si bien monté, affirmé et réaffirmé et par lequel malheureusement, il a tant défié la communauté sunnite. Le moment de la vérité est arrivé. NI PROJET DE WILAYET EL-FAQIH NI PROJET SALAFISTE EXTREMISTE AU LIBAN. J'ai la conviction que beaucoup de sages dans ce pays pensent ainsi. Je continue d'espérer qu'il y aura aussi beaucoup de courageux pour le proclamer et empêcher à tout prix l'explosion du Liban.

    Halim Abou Chacra

    03 h 58, le 23 mai 2012

  • Cet article de Madame Haddad est digne d'un pyromane. Je ne veux rien dire de plus, car je ne veux point en devenir un.

    SAKR LEBNAN

    03 h 29, le 23 mai 2012

  • - - SUITE .. Bachar tu as gagné .

    JABBOUR André

    02 h 52, le 23 mai 2012

  • Malheureusement, c'est tres vrai ce que vous dites Mme Haddad... Il y a deux bastions maintenant: un sunnite et un chiite. Et le gouvernement, comme d'habitude, est impuissant... Comme le General Aoun l'a dit hier, les Americains cherchent a creer une zone tampon au Nord et ils ont reussi.

    Michele Aoun

    02 h 36, le 23 mai 2012

  • - - La réunion de Bagdad entre les Iraniens et les 5+1 devra en principe calmer les esprits et lever les sanctions contre l'Iran et la Syrie , en maintenant les deux pouvoirs en place . Les printemps arabes ont fait suffisamment de dégâts pour que l'Occident continue à les suivre . Pour ce qui est de la situation du Liban nord et de sa capitale , ne vous étonnez pas de voir l'armée Sœur Syrienne venir faire le nettoyage en profondeur une bonne fois pour toutes , car le règlement de la situation en Syrie passera par ce nettoyage , puisque l'armée Libanaise et la sûreté générale ont été désavouées par les plus hauts responsables du pays ! J'entends déjà des voix qui vont m'accuser de collaboration , mais ceci est ma conviction car les choses ne peuvent en aucun cas rester ainsi sans qu'une réaction radicalement décisive ne soit prise à ce propos dans cette partie très sensible du Liban .

    JABBOUR André

    01 h 33, le 23 mai 2012

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