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Culture - Réflexion

« La machine à coudre » de May Menassa : l’objet fantasmatique

Au commencement de l’ère post-humaine, la question objectale semble faire son retour. Dans son dernier roman, May Menassa s’inscrit dans cette tendance déjà traitée par Alain Robbe-Grillet et, plus tôt encore, par Balzac, Zola et Huysmans.
Dans le récit autofictionnel de La machine à coudre, la narratrice se confond avec la romancière, pour prendre corps en la personne de la protagoniste Dima Nohra, vers le milieu du roman. Une hésitation est toujours palpable dans les romans de Menassa entre cacher et dévoiler l’identité. Dans ce récit, la narratrice est habitée par une quête indéfinie de la machine à coudre de sa mère morte. Elle ne cesse de chercher et de parler de l’objet fantasmatique qui confectionnait des robes pour la petite fille qu’elle était.
En tant qu’objet, la machine à coudre joue un rôle-clé. Elle est structure. Elle est aussi mouvement. Elle se confond avec l’action de coudre, créer, confectionner.
Par le biais de La machine à coudre, la narratrice se souvient de son roman familial : du spectre du père soldat, de la mère sacrifiée et du frère schizophrène. Les deux autres sœurs sont évoquées en filigrane. Le lieu de ces souvenirs est la maison parentale, à moitié détruite par les bombardements de la guerre. La narratrice ne pouvant se rendre dans le quartier occupé par les miliciens de tous bords, décide de vendre la maison avec ses meubles y compris la machine à coudre, talisman de la mère qui ne cesse de la lui réclamer même sur son lit de mort.
Or la machine à coudre a son existence propre. Elle s’impose dans son être-là, comme une présence contingente et anodine, et devient une vraie sentinelle. Elle symbolise à la fois le passé disparu, révolu et la compulsion à le consigner.
L’aventure du roman de Menassa est surtout temporelle. Cela nous conduit à la dimension de la machine à coudre qui permet de retrouver le temps. D’autres objets évoqués dans ce roman interrogent aussi le passé, comme l’album photos des parents de la narratrice qu’elle contemple, s’arrêtant sur la photo de mariage de ses parents : le père dans sa posture debout domine la mère assise sur un tabouret à ses côtés. Ces photos sont des repères historiques exactement comme les vêtements confectionnés par la mère pour ses filles.
Les vêtements ne seraient-ils qu’une mémoire ? Disons, aussi, des couleurs distribuées dans le monde sombre et endeuillé du roman. Nous entrons en effet dans un univers de signes, de symboles à travers ces quelques objets qui peuvent apparaître comme les attributs des dieux dans la mythologie. Ces objets acquièrent le privilège d’être cause du désir, en bonne logique lacanienne, le désir du grand Autre. La narratrice fantasme ces objets comme manquant à l’Autre, à la mère et susceptibles d’assurer sa jouissance.
La quête de l’objet perdu, comme le refoulé, ne cesse de revenir. Cette machine à coudre est l’objet signe de la mère morte qui veut quelque chose de sa fille.
Tout est dit. La machine à coudre est animée de souvenirs d’une narratrice qui cherche à exprimer ses sentiments et peut-être une pensée : le rapport de l’être à l’objet.
Comment Menassa est-elle capable d’assumer sa singularité dans ce récit ? Sa réponse passe par l’écriture et la musique devenue l’unique note de joie nostalgique dans un cadre où règne la mort à travers l’image récurrente du corbeau. La mystérieuse musique de la machine à coudre comparée à celle de Chopin s’impose au lecteur comme une métaphore dans laquelle le langage est défaillant.
Le style mi-poétique, mi-parlé découvre le visage d’un être, celui que cache le masque de chair, un visage qui n’est encore qu’un cri et qui nous fait écouter, en écrivant ses lignes, sa musique.
Ce roman fait écho au premier roman de May Menassa qui était une grenade encore goupillée. Elle explose dans La machine à coudre, écrite en éclats de souvenirs, de drames du passé et du quotidien recomposant un imaginaire.
La machine à coudre est devenue un bloc d’enfance qui refuse toute récupération et qui fera l’objet d’un beau livre écrit à la mémoire de la mère.

Carmen BOUSTANI
Au commencement de l’ère post-humaine, la question objectale semble faire son retour. Dans son dernier roman, May Menassa s’inscrit dans cette tendance déjà traitée par Alain Robbe-Grillet et, plus tôt encore, par Balzac, Zola et Huysmans.Dans le récit autofictionnel de La machine à coudre, la narratrice se confond avec la romancière, pour prendre corps en la personne de la...

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