Idem pour lui. Sous des apparences ingénues, derrière ses réponses primaires, élusives dans leur brièveté et candeur, derrière son attitude mutine, se cache un être «philosophe», penseur de l’histoire avec un grand H.
Bien sûr, une expo comme celle-ci ne peut donner la mesure d’un demi-siècle d’interrogations et de créations. Mais elle en présente une partie conséquente. Le BAC et le curateur allemand Achim Borchardt-Hume ont ainsi le mérite d’offrir au public libanais un immense artiste, mondialement connu (dont les œuvres se vendent à des millions de dollars), et de rendre un formidable hommage à un perpétuel créateur. Car Gerhard Richter pour l’art contemporain est un peu comme Madonna pour la musique pop. Il possède cette même faculté à se réinventer, à se transformer et, à chacun des tournants que prend son travail, à défendre une nouvelle vision de son art. Mais arrêtons là les comparaisons. Et intéressons-nous aux expérimentations de l’artiste allemand dont plusieurs exemples sont présentés à Beyrouth.
D’un univers à l’autre
On l’aura dit et redit. Richter soumet la peinture à une remise en question prolongée, en explorant une foule de formes, de styles et de sujets. Trépignant d’un univers à l’autre, son pinceau amer signe de magnifiques portraits aussi bien que des aplats de couleurs bien gras ou des abstractions au «DayGlo» bien «pollockiennes».
Autant de fenêtres sur le monde qui sont voilées parfois. Mais qui invitent mieux ainsi au vagabondage de l’esprit, à des pérégrinations contemplatives. À cet égard, une pause devant un chef-d’œuvre de l’artiste, la toile intitulée Betty et qui représente sa fille, ou plutôt son dos et sa nuque, dans une pose rappelant la Baigneuse Valpinçon d’Ingres. Betty porte des vêtements éclatants de couleurs et de fleurs. Betty regarde derrière elle. Vers un passé couleur gris sale, foncé. Non loin de là, portrait en gris de Rudi, l’oncle de l’artiste, en uniforme nazi. Sur un mur adjacent, les portraits (en fait des photographies de ses peintures) de huit infirmières assassinées en 1966 aux États-Unis prennent de la hauteur.
Dans War Cut, Richter confronte 216 détails d’une seule et même peinture abstraite (en gros plan ou en flou, variant la focale) à des articles de presse publiés dans le New York Times pendant les premiers jours de la guerre en Irak. Un reportage de guerre? Plutôt un témoignage poignant très ciblé.
«Je n’obéis à aucune intention, à aucun système, à aucune tendance; je n’ai ni programme, ni style, ni prétention. J’aime l’incertitude, l’infini et l’insécurité permanente», affirme celui qui, après ses fameuses «photos-peintures» réalisées à partir de photographies au début des années 1960, a mis en place, dans les années 1970, un type d’abstraction où coexistent des grilles colorées, une abstraction gestuelle et des monochromes. Pour, dans les années 1980, réinterpréter de manière érudite et inédite les genres de l’histoire de l’art: portraits, peintures d’histoire, paysages. Après avoir exploré un nouveau type de tableaux abstraits aux couleurs acides, où les formes gestuelles et géométriques s’entremêlent, Richter met au point une technique, qui devient sa signature, consistant à étaler de la peinture encore fraîche à l’aide d’une grande planche en bois ou en métal (pour voir l’artiste à l’œuvre, un documentaire est au programme du BAC le mercredi 23 mai à 20h – allemand sous-titré en anglais).
«Méfiez-vous de l’image de la réalité que vos sens vous transmettent. Elle est limitée et incomplète», aime à répéter Richter qui, en faisant côtoyer la figuration et l’abstraction, montre que les deux ne sont pas si éloignées et que c’est dans le «flou» entre les deux que la peinture peut
se déployer.
Ni noir ni blanc, Gerhard Richter. Plutôt gris. Et c’est mieux ainsi.
* Beirut Art Center, Jisr el-Wati, Adlieh, de 12h00 à 20h00, jusqu’au 16 juin. Tél. : 01/397018.
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